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Sept recommandations pour mieux former les soignants hospitaliers à la mort et prendre en compte leur souffrance
Publié le mardi 16 décembre 2025
Un rapport, réalisé dans le cadre d'un projet baptisé "Les Survivants", propose sept "pistes" pour mieux former les futurs soignants à la fin de vie et à la mort de patients et pour mieux prendre en compte leur souffrance dans ces situations.
Ces pistes, destinées aux établissements de santé, aux institutions de formation et aux décideurs publics, sont prononcées à la suite d'une enquête réalisée auprès de 384 soignants hospitaliers de différentes régions françaises, sous la direction du Pr Thibaud Damy, cardiologue (hôpital Henri-Mondor, Créteil), qui a lui-même accompagné plus de 750 patients jusqu'à leur décès, au cours de sa carrière.
Parmi les agents ayant répondu entre mars et juin, figurent 31,2% d'infirmiers diplômés d'Etat (IDE), 28,1% d'aides-soignants, 9,4% de cadres de santé, 4,1% de psychologues, 3,1% de kinésithérapeutes et 3,1% d'infirmiers en protocole de coopération.
Les répondants travaillent surtout en Ile-de-France (26,4%), Nouvelle-Aquitaine (18,7%) et Centre-Val de Loire (16,4%). Les CHU représentent 37,5% des lieux d'exercice, suivis des centres hospitaliers (CH) (33,3%).
L'enquête montre que "la mort n'est ni rare ni exceptionnelle" puisqu'"un soignant y est confronté en moyenne 27 fois par an" et que "15% de ces décès surviennent de manière brutale", indiquent les auteurs, dans un communiqué diffusé sur cette enquête.
"A cette fréquence, la mort n'est plus un événement, mais une répétition, parfois plusieurs fois par semaine, dans des conditions souvent éprouvantes", commentent-ils. L'enquête montre aussi que 93% des professionnels interrogés estiment n'avoir reçu aucun enseignement adapté sur la manière d'y faire face, ce qui montre, selon les auteurs, que "l'accompagnement de la fin de vie reste un angle mort de la formation".
Ils ajoutent que 64% des soignants ayant répondu "ne bénéficient d'aucun soutien institutionnel après un décès". "Le soutien des collègues, noté 6,7 sur 10, constitue parfois la seule soupape d'équilibre" tandis que le soutien des structures hospitalières est évalué à seulement "3,5 sur 10". "Les soignants apprennent sur le terrain à affronter ces situations, souvent par mimétisme ou instinct, sans repères ni accompagnement théorique", commentent les auteurs.
Forte proportion d'épuisement professionnel élevé
L'utilisation d'outils psychométriques (échelle d'impact événementiel révisée, Maslach Burnout Inventory, Hospital Anxiety and Depression Scale, HAD) permet de mettre en évidence une "fatigue émotionnelle", une "perte de repères" et un "épuisement professionnel", déclarent-ils. En effet, 28,8% se sentent émotionnellement "vidés", 38,5% se disent "à bout" en fin de journée, 34,6% ressentent "une frustration fréquente" et 17,3% se sentent "au bout du rouleau".
"L'analyse du Maslach Burnout Inventory met en évidence des niveaux critiques", poursuivent les auteurs, qui indiquent que 48% des soignants présentent un "épuisement professionnel élevé", 92% une "dépersonnalisation marquée, signe d'un détachement de protection" et 90% un "faible sentiment d'accomplissement personnel".
"Ces données traduisent un déséquilibre profond", puisque si "les soignants continuent à s'engager auprès des patients", leur engagement "s'exerce souvent au détriment de leur propre santé mentale". "Malgré ces conditions éprouvantes, le lien humain demeure une source de sens pour le personnel hospitalier", observent les auteurs qui précisent que 83% jugent leurs relations avec les patients bonnes et 69,7% décrivent des échanges positifs avec les familles.
Mais si cette qualité relationnelle "constitue une force", elle "accentue aussi la vulnérabilité" et "plus la proximité émotionnelle est forte, plus le choc du décès est intense", pointent-ils en précisant notamment que 41,5% des soignants rapportent des images mentales intrusives et 39,6% des rappels émotionnels, et 20,8% des réactions physiques liées au souvenir d'un décès. "Ces symptômes d'intrusion et d'hypervigilance, typiques du stress post-traumatique, traduisent un état d'alerte chronique." "Face à ce fardeau, 36,46% déclarent des relations conflictuelles au travail, conséquence indirecte d'un épuisement partagé", ajoutent-ils.
Les données recueillies "renvoient à un malaise plus global", puisque 43,5% jugent leur rémunération "mauvaise, avec une note moyenne de 4,25/10" et près de 30% montrent des signes de dépression certaine ou probable, selon l'échelle HAD.
La durée moyenne de travail hebdomadaire atteint 37,8 heures, et est "souvent accompagnée d'astreintes ou d'heures supplémentaires", ajoutent les auteurs, observant que "la pandémie de Covid-19 a accentué ces déséquilibres" et "joué un rôle de révélateur".
Sept recommandations
Ne souhaitant pas se limiter à un constat, les initiateurs du projet formulent sept recommandations destinées à "replacer la santé psychologique du personnel hospitalier au cœur des politiques publiques de santé":
- intégrer la fin de vie dans les formations initiales et continues, en y ajoutant un volet émotionnel et relationnel
- mettre en place des dispositifs de soutien psychologique post-décès, systématiques et encadrés
- valoriser les compétences relationnelles et émotionnelles dans les parcours professionnels
- renforcer la prévention des conflits et du stress, notamment par des formations à la communication et à la médiation
- développer des programmes de prévention du burn-out et des espaces de parole réguliers
- soutenir durablement les soignants exposés à la crise Covid, dont les séquelles psychiques persistent
- faire de l'accompagnement de la fin de vie et de la mort une mission officielle de l'hôpital, comme recommandé par le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2010 sur "la mort à l'hôpital"
Ayant lui-même connu un stress post-traumatique après des décès, Thibaud Damy, qui avait déjà alerté sur ce sujet en 2022 a également effectué un parcours de plus de 900 km en France pour engager le dialogue sur le sujet dans de nombreux hôpitaux, à travers notamment vingt réunions-débats.
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