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Greffe cardiaque: le ratio de masse cardiaque entre donneur et receveur prédictible de la mortalité des greffés français
Publié le jeudi 12 décembre 2024
Les patients greffés d'un cœur de masse prédite inférieure de 17,5% ou plus à celle du cœur initial auraient une mortalité à trois ans accrue, montre une étude française présentée au congrès de la Société francophone de transplantation (SFT) qui confirme dans la population française des résultats américains.
La masse cardiaque prédite (ou PHM, predicted heart mass en anglais) est un paramètre pouvant être calculé simplement à partir de l'âge, du sexe, du poids et de la taille d'une personne. Dans le cadre de la greffe cardiaque, l'International Society for Heart and Lung Transplantation (ISHLT) recommande d'éviter de greffer un cœur de masse trop faible par rapport au cœur initial du receveur, c'est-à-dire quand le ratio de PHM donneur sur receveur est trop inférieur à 1.
Des études réalisées dans des populations de greffés américains ont en effet mesuré un surrisque de mortalité chez les receveurs de cœurs trop petits. Il y a cependant de grandes différences entre les populations américaines et françaises, tant du côté des donneurs (plus âgés en France, avec des causes de décès différentes) que des receveurs (la France greffe par exemple beaucoup plus de patients à risque sous oxygénation extracorporelle par membrane -ECMO), qui font que l'association entre ratio de PHM et mortalité établie aux Etats-Unis n'est pas forcément applicable en France.
Pour vérifier cela, une analyse de la cohorte des 6.405 Français greffés d'un cœur entre 2000 et 2022 et de leurs donneurs a été réalisée par le Dr Antoine Buschiazzo, chirurgien cardio-thoracique au CHU de Nantes, et ses collègues. Ont été exclus tous les greffés présentant déjà un surrisque de mortalité post-opératoire, c'est-à-dire avec transplantation multi-organes, déjà opérés, équipés d'un cœur artificiel, retransplantés, ou atteints d'une étiologie congénitale ou de tumeurs cardiaques. Cette cohorte de couples donneur/receveur a été divisée en 11 groupes selon leur ratio PHM, avec un groupe des meilleurs appariements ("best-match") ayant des ratios proches de 1, cinq groupes avec des ratios de plus en plus petits (cœurs sous-dimensionnés) et cinq groupes avec des ratios de plus en plus grands (cœurs surdimensionnés). Cette analyse est plus fine que l'étude américaine de référence, qui n'a utilisé que sept septiles, a précisé le Dr Buschiazzo. La survie de ces groupes a été comparée sur trois ans. Au-delà de cette période, il est "très probable que le décès n'est peut-être pas lié à un mismatch d'appariement morphologique", a justifié le chirurgien nantais. En analyse multivariée, les deux groupes avec les plus faibles ratios de PHM, inférieurs à 0,775 et 0,825 (c'est-à-dire que la masse cardiaque du donneur est au moins 22,5% ou 17,5% plus faible que celle du receveur), ont montré une mortalité à trois ans significativement plus importante que le groupe best-match.
Précisément, l'étude mesure une augmentation significative du risque de décès à trois ans quantifié par un hazard ratio (HR) de 1,62 pour les receveurs avec un ratio de PHM inférieur à 0,775 et par un HR de 1,27 pour les receveurs avec un ratio entre 0,775 et 0,825. Les greffes avec des ratios de PHM très élevés n'ont en revanche pas été associées à une surmortalité des receveurs.
Le ratio de PHM fait mieux sur la mortalité précoce que les critères en vigueur
Des analyses univariées ont également été réalisées sur la survie à un mois, un an et trois ans des greffés, et permettent de comparer les performances du ratio de PHM à celles de deux autres critères: le critère "historique" de ratio de poids entre donneur et receveur, et le critère de ratio de surface corporelle actuellement utilisé par l'Agence de la biomédecine (ABM) dans son système d'allocation des greffons cardiaques.
Le logiciel Cristal de l'ABM utilise en effet un ratio de surface corporelle donneur sur receveur de 0,8 pour rejeter automatiquement les greffons trop petits selon ce critère. Pour le ratio de poids, la limite historiquement utilisée est un ratio de 0,7 en général et de 0,8 pour les couples de receveur homme et donneuse femme.
Sur les trois critères utilisés, seul le ratio de PHM s'est montré discriminant concernant la mortalité précoce à un mois, avec une survie significativement diminuée pour les ratios de PHM faibles (sous 0,775 ou 0,825), tandis qu'aucune réduction significative de survie à un mois n'a été identifiée chez les patients avec un ratio de surface corporelle faible ou un ratio de poids faible. Les résultats à un an ne montrent en revanche aucune association entre la survie des receveurs et le ratio de PHM ou le ratio de surface corporelle, mais une survie significativement diminuée en cas de ratio de poids faible.
Antoine Buschiazzo a avancé deux hypothèses pour justifier ce manque de résultats significatifs à un an pour le ratio de PHM: d'abord une mortalité à un an très faible car la majorité des décès ont lieu dans les trois premiers mois post-greffe; ensuite une cohorte trop petite malgré ses 6.400 patients. Une étude américaine a bien montré une réduction de survie à un an pour les ratios de PHM faibles, mais avec une cohorte de plus de 19.000 patients, a-t-il précisé. Enfin, sur la survie à trois ans, les trois critères se sont montrés performants avec des survies significativement diminuées pour les receveurs de ratio faible.
Cette étude montre donc qu'à l'instar de ce qui est fait aux Etats-Unis, le ratio de PHM est un critère qui peut être utilisé dans la population française pour les patients rentrant dans le cadre d'étude. Pour le Dr Buschiazzo, il ne faudrait pas que le critère soit utilisé de manière coercitive dans l'attribution des greffons, c'est-à-dire que des greffes avec un ratio de PHM trop faible soient immédiatement refusées, mais il serait intéressant que le paramètre "fasse partie des éléments qui apparaissent au niveau de Cristal parce que du point de vue anthropométrique il est pertinent".
Alors que certaines équipes de greffe cardiaque utilisent déjà de manière informelle le ratio de PHM en le calculant grâce à un outil en ligne, des discussions vont désormais devoir être menées avec l'ABM et avec l'ensemble des équipes au niveau du comité médical et scientifique pour formaliser son utilisation dans des outils officiels comme Cristal. Sur 22 ans de greffe cardiaque en France, 212 patients sont décédés avec un ratio de PHM inférieur à 0,825, a comptabilisé Antoine Buschiazzo, mais ces décès ne sont pas forcément liés au mésappariement entre le greffon et le receveur.
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