Un anticorps monoclonal anti-DPP3 efficace dans le choc cardiogénique

Auteur :
Benjamin Sacristan, Membre du Collège des Cardiologues en Formation, Bordeaux.
D'après Alexandre Mebazaa (Paris, France), Late Breaking Science "Circulating dipeptidyl peptidase 3 is a myocardial depressant factor: dipeptidyl peptidase 3 inhibition rapidly and sustainably improves haemodynamics"

En direct depuis l'ESC Congress 2019
La DPP3 est une enzyme libérée dans les états de choc et est associée avec un pronostic défavorable chez l’Homme. Dans cette étude préclinique, le traitement par procizumab, un anticorps monoclonal anti-DPP3, montre une amélioration hémodynamique significative sur un modèle murin d’insuffisance cardiaque aiguë sévère.
Contexte de l’étude
Les thérapies actuellement recommandées reposent sur l’optimisation de la fonction cardiaque par des moyens médicamenteux (traitement inotrope) et instrumentaux (angioplastie percutanée, assistance ventriculaire). Les autres aspects faisant la gravité du choc cardiogénique sont moins bien étudiés et disposent de peu de moyens thérapeutiques satisfaisants.
L’hypothèse formulée par cette étude préclinique est que la DPP3 (dipeptidyl-peptidase 3, enzyme intracytosolique ubiquitaire connue pour dégrader des protéines clés telles que l’angiotensine 2), qui est libérée lors d’états de choc avec lyse cellulaire, peut aggraver les paramètres hémodynamiques.
L’essai OptimaCC comparant l’adrénaline à la noradrénaline dans le choc cardiogénique présente une analyse complémentaire sur le niveau de DPP3 circulant. En analyse en sous-groupes, il est noté que la concentration de DPP3 circulant est significativement plus élevée dans les chocs cardiogéniques réfractaires. Par ailleurs, la persistance d’une concentration de DPP3 élevée est associée à une mortalité à 90 jours supérieure.
L’objectif de cette étude est de détailler l’association entre la concentration de DDP3 circulant (cDPP3) et la mortalité chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque sévère, et de déterminer via des données précliniques chez la souris l’impact de cDPP3 sur l’hémodynamique cardiaque et rénale. Enfin, l’usage de procizumab (PCZ), anticorps monoclonal anti-DPP3, est employé afin de prouver la pertinence de l’inhibition de DPP3 comme piste pour le traitement futur de l’insuffisance cardiaque.
Méthodes
Les niveaux de DPP3 circulants ont été analysés dans la cohorte CardShock incluant 174 patients en choc cardiogénique avec recueil de leur survie à 90 jours.
L’analyse de l’activité biologique du cDPP3 est étudiée en réalisant une injection IV de cDPP3 humain à des souris saines et menant des analyses biologiques sanguines et histologiques sur les cœurs des souris, comparées à des souris saines soumises à une injection de sérum salé..
Le modèle murin d’insuffisance cardiaque aiguë est mis au point par l’injection sous-cutanée d’isoprotérénol pendant deux jours et confirmée par la mesure échocardiographique de la fraction de raccourcissement. Les souris reçoivent ensuite une injection IV de procizumab ou de sérum salé pour le groupe contrôle.
Résultats principaux
Dans la cohorte CardShock, la valeur médiane de cDPP3 est de 33.4 ng/mL (IQR 20.0-65.3). Les patients décédés à 90 jours (72, soit 41 % des patients) présentent des taux de cDPP3 à l’admission significativement supérieurs (42.9 ng/mL vs. 26.5 ng/mL, p=0.0002) aux patients survivants. Par ailleurs, les patients gardant un cDPP3 élevé ont un pronostic défavorable par rapport aux patients présentant une baisse de leur taux en dessous de la valeur médiane à 24h. Ces mêmes patients présentaient une moindre nécessité de support vasopresseur et une meilleure fonction rénale en moyenne dans cette étude.
L’analyse des effets cardiovasculaires du cDPP3 chez la souris saine montre une dégradation notable des paramètres hémodynamiques chez les sujets avec une diminution de la fraction de raccourcissement (FR 61.6 ± 2.6 % vs 53.4 ± 2.0 %, p = 0.019). L’hémodynamique intra-rénale estimée par l’index de résistance rénal (IRR) à 60 min de l’injection est également affectée, ceci se manifestant par une augmentation significative de l’IRR (0.77 ± 0.07 vs. 0.58±0.06, p = 0.027).
Chez les souris insuffisantes cardiaques, l’injection d’isoprotérénol entraîne une apparition de signes d’insuffisance cardiaque, associés à une majoration de l’activité cDPP3 significative par rapport aux souris contrôle (51.6 ± 19 U/L vs 22.1± 5.1 U/L, p = 0.0423). L’injection de procizumab a normalisé rapidement la fraction de raccourcissement par rapport aux souris traitées avec de la solution saline (60.7 ± 4.36% vs. 48.1 ± 3.96%, p= 3.32 × 10-7), et celle-ci reste normale même 14 jours après l’injection. Le volume d’éjection systolique et le débit cardiaque augmentent également. L’IRR diminue également sans atteindre une différence statistiquement significative par rapport au contrôle (0.66 ± 0.14 vs. 0.81 ± 0.15, p = 0.073).
Discussion
Cette étude démontre l’impact de la DPP3 sur plusieurs paramètres hémodynamiques dans un contexte d’insuffisance cardiaque aiguë sévère, et l’impact d’une inhibition de cette enzyme dans ce contexte. Ces résultats, pourraient faire de cette entité une potentielle cible thérapeutique dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque sévère. Néanmoins, la physiopathologie de la DPP3 sur la fonction myocardique reste encore à déterminer précisément. De plus, le modèle d’insuffisance cardiaque utilisé dans l’étude est unique, basé sur des lésions tissulaires diffuses par augmentation de la consommation en oxygène du myocarde sous isoprotérénol ; l’extrapolation sur d’autres modèles, notamment à la situation du syndrome coronarien aigu (première cause de choc cardiogénique) mérite d’être investiguée. De même, l’inhibition du DPP3 par le PCZ repose sur des mécanismes non élucidés et des études supplémentaires sont nécessaires avant de l’envisager comme un sujet d’essai clinique chez l’homme.
En conclusion, cette étude suggère un rôle de la DPP3 dans les mécanismes physiopathologiques associés à un mauvais pronostic chez le patient en choc cardiogénique. Les explorations précliniques sur modèle murin montrent que l’inhibition de la DPP3 par le PCZ a un impact bénéfique sur la fonction cardiaque et l’hémodynamique dans un contexte d’insuffisance cardiaque aiguë. Cependant, le mécanisme d’action du PCZ nécessité d’être exploré sur des séries animales puis humaines de plus grande taille avant de discuter sa place dans le traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë sévère.

Figure 1 : Analyse de survie à 90 jours dans la cohorte CardShock en fonction du taux de cDPP3 à l’admission chez 174 patients en choc cardiogénique, séparés par quartiles.

Figure 2 : Analyse de la fraction de raccourcissement à l’échographie sur des souris insuffisantes cardiaques traitées par PCZ (ISO-HF + PCZ) ou solution saline (ISO-HF + PBS). Des souris saines sont représentées comme groupe contrôle (Sham + PBS)
Pour en savoir plus, consultez les résultats détaillés en langue anglaise présentés lors de l'ESC 2019 : "Circulating dipeptidyl-peptidase 3 is a myocardial depressant factor: procizumab restored hemodynamics in heart failure"