Choc électrique et FA : Il faut taper fort d'entrée de jeu ! Analyse détaillée.

Mis à jour le mardi 24 septembre 2019
dans
Guillaume Domain
Collège des Cardiologues en Formation

Guillaume Domain

Toulouse
Membre du Collège des Cardiologues en Formation

 

 

D'après AS Schmidt, Randers Ne, DK, “Maximum find energy shocks for cardioverting Atrial fibrillation”

En direct de l'ESC Congress 2019

Détermination de la stratégie la plus efficace pour permettre la cardioversion électrique de fibrillation atriale. Intensité maximale d’emblée et fixée (360 joules) en comparaison à une augmentation progressive de l’énergie (125, 150 puis 200 Joules).

Messages clés

La cardioversion électrique élective de fibrillation atriale est plus efficace lorsque le ou les chocs sont délivrés à énergie d’emblée maximale et constante en comparaison aux chocs à énergie croissante, 88% contre 66% ou différence de 22% (IC-95% 13-32), p < 0,001.

Contexte

La progression de la fibrillation atriale (FA) paroxystique vers la fibrillation atriale persistante est évaluée entre 4 et 15 % par an.

Elle est modulée par certains facteurs de risque comme l’âge, le sexe et le facteur de risque cardio-vasculaire.

La restauration et le maintien d’un rythme sinusal est beaucoup plus difficile à atteindre chez les patients présentant des formes persistantes de FA.

La cardioversion électrique de FA est une pratique clinique courante et le choix de l’énergie délivrée est une question quotidienne.

Dans les dernières Guidelines de l’ESC 2016 sur la gestion de la FA, on ne retrouve pas de recommandation sur l’énergie à utiliser en cas de cardioversion électrique.

Une seule étude randomisée à ce sujet a été réalisée en 2008, BEST-AF Trial.

Ce travail comparait une énergie maximale et constante de défibrillation à 200 Joules avec une énergie croissante 100-150-200 Joules, mais aucune différence n’a été mise en évidence sur les succès de cardioversion de FA. 

Deux stratégies s’opposent concernant la stratégie de cardioversion :

  • Une augmentation progressive de l’énergie pour limiter les dommages cutanés et myocardiques.
  • Une énergie maximale d’emblée, plus efficace et plus sûre.

Les défibrillateurs actuels sont capables de délivrer une énergie maximale de 360 Joules.

L’objectif de ce travail est donc de comparer deux stratégies de défibrillation :

  • Chocs à énergie maximale et fixe (360-360-360 Joules)
  • Chocs à énergie croissante (125-150-200 Joules)

Méthologie

Mise en place d’une étude de supériorité prospective monocentrique au sein de l’Hôpital régional de RANDERS au Danemark.

Les patients ont ensuite été randomisés en deux groupes de cardioversion biphasique :

  • Chocs à énergie maximale fixe (360-360-360 Joules)
  • Chocs à énergie croissante (125-150-200 Joules)

Les critères d’inclusion étaient :

  • Adulte de plus de 18 ans
  • Pris en charge pour une cardioversion élective de FA
  • Consentement recueilli

Les critères d’exclusion étaient :

  • Une arythmie supra-ventriculaire autre que de la FA
  • Mauvaise tolérance hémodynamique de la FA
  • Hyperthyroïdie non traitée
  • Grossesse
  • L’inclusion dans un autre essai

Le critère de jugement principal d’efficacité était le retour à un rythme sinusal 1 minute après la cardioversion. Les critères de jugements secondaires de sécurité étaient :

  • Les troubles rythmiques : Arythmies, bradycardies ou troubles conductifs.
  • Souffrance myocardique définie par une élévation de Troponine I (HS)
  • Rougeur et brûlure cutanée
  • Inconfort ou douleurs rapportées par le patient avec une échelle visuelle analogique

Résultats principaux

Après le screening, 296 patients étaient éligibles et 20 ont été exclus : refus de participation (6), impossibilité de donner son consentement (2), rythme sinusal (11), hyperthyroïdie non traitée (1).

276 patients ont finalement été randomisés dans les 2 groupes :

  • 129 soit 47% dans le bras énergie maximale
  • 147 soit 53 % dans le bras énergie croissante

Les caractéristiques initiales étaient comparables entre les groupes (énergie maximale et énergie croissante) :

  • Age moyen de 68 ans dans le 2 groupes
  • Prédominance de sexe masculin (70 % et 74 %)
  • IMC de 30 et 29 kg/m2
  • Dilatation atriale (volume respectivement à 37 mL/m2 et 39 mL/m2)
  • Ancienneté de la FA entre 1 et 12 mois dans la majorité des cas (77 % et 85 % respectivement), plus de 12 mois dans 29 % et 31 % des cas.
  • Peu d’antiarythmique (8 % bénéficiaient d’un traitement par Amiodarone dans chaque groupe)
  • Anticoagulation principalement autre que des AVK (74 et 78 % respectivement)

Le taux de retour en rythme sinusal 1 minute après la cardioversion était supérieur dans le groupe énergie maximale (88%) en comparaison au groupe énergie croissante (66%) avec une différence de 22 % IC 95 % [13 ; 32] p-value < 0,001.

Maintien du rythme sinusal 4 heures après la cardioversion dans 85 % des cas pour le groupe énergie maximale contre 63 % pour le groupe énergie croissante, différence de 22 % IC 95 % [12 ; 32] p-value < 0,001.

Concernant la procédure de cardioversion comparativement entre le groupe énergie maximale et énergie croissante :

  • Nombre médian de choc délivré : 1 [1 ; 1] contre 2 [1 ; 3]
  • Énergie cumulative médiane (Joules) : 360 [360 ; 360] contre 275 [125 ; 475]
  • Dose médiane de Propofol utilisé (mg) : 80 [70 ; 90] contre 80 [70 ; 100]
  • Durée médiane de la procédure (min) : 1,9 [1,5 ; 2,7] contre 2,2 [1,7 ; 3,0]

 Concernant les critères de sécurité :

Les cas d’arythmies étaient identiques dans le 2 groupes (5%), les dysfonctions sinusales plus importantes dans le groupe énergie maximale (4% contre 3 %).

Quelques complexes ventriculaires prématurés ont été documentés (1% dans chaque groupe) mais aucun cas de tachycardie ventriculaire.

Absence de souffrance myocardique documentée dans les 2 groupes.

La présence d’une rougeur cutanée était plus importante dans le groupe énergie maximale : 33 % contre 31 % dans le cas d’une position antérieure des électrodes et 18 % contre 14 % en cas de positionnement postérieur.

La sensation d’inconfort ou de douleurs était plus importante dans le groupe énergie croissante 35 % contre 30 % en cas de position antérieure des électrodes et 15 % contre 14 % en cas de positionnement postérieur.

Discussion

Concernant les limites méthodologiques, on note le caractère monocentrique de ce travail rendant difficile son extrapolation à d’autres structures hospitalières ou d’autres pays.

Les résultats d’efficacité sont encourageants au vu des données de la littérature avec un succès de défibrillation allant de 66 à 98 %.

La comparaison est cependant difficile compte tenu des patients inclus, des protocoles de défibrillation et des critères de jugement très hétérogènes.

De plus, un seul matériel a été utilisé (LEFEPAK series defibrillator) avec un protocole de défibrillation tronqué et exponentiel. Il s’agit du seul dispositif capable de délivrer une énergie maximale de 360 Joules.

La généralisation de ces résultats est donc difficile du fait de l’hétérogénéité des dispositifs utilisés et des ondes de défibrillation appliquées (tronquée exponentielle, rectiligne biphasique, pulsée biphasique).

L’effectif a été calculé pour l’évaluation de l’efficacité, ainsi la puissance statistique est insuffisante pour pouvoir conclure sur les critères de sécurité.

Conclusion

La stratégie consistant à utiliser un choc électrique maximal d’emblée à 360 Joules est plus efficace que l’utilisation d’une énergie croissante de 125 à 200 joules pour la cardioversion de la fibrillation atriale élective.

Travail réalisé dans un seul centre hospitalier danois sur une population de patients présentant principalement une FA diagnostiquée récemment (entre 1 et 12 mois principalement).

Les données de sécurité semblent ne pas mettre en évidence de différence entre les deux groupes, mais la puissance statistique est insuffisante pour conclure.

Commentaires

Mettre un niveau d’énergie plus élevé pour la cardioversion électrique a pu être un pressentiment clinique pour certains cardiologues.

Une belle idée de recherche clinique pour répondre à une question pragmatique. Il faut encore des données pour évaluer la « sécurité », mais les résultats sur l’efficacité à 4 heures semblent encourageants.

On pourrait faire un lien avec une étude récente2 du NEJM sur la cardioversion retardée, non inférieure en termes de contrôle rythmique à 4 semaines (https://www.cardio-online.fr/Actualites/Revues-de-la-litterature/Cardioversion-precoce-ou-retardee-chez-les-patients-presentant-une-fibrillation-atriale-d-apparition-recente). Face à une FA paroxystique bien tolérée, il ne faudrait pas se précipiter à réduire en urgence, car elle peut se réduire spontanément.  Mais au moment où on décide la cardioversion électrique, il faudrait plutôt mettre une énergie maximale de 360Joules.

Figures clés :

Figure 1

 

Figure 2

 

Figure 3

 

Figure 4

 

Figure 5

 

Figure 6

 

Pour en savoir plus, consultez les résultats détaillés en langue anglaise publiés lors de l'ESC 2019 : "Maximum-fixed energy shocks for cardioverting atrial fibrillation"

Références bibliographiques

  1. Schmidt AS, Lauridsen KG, Rickers H, Løfgren B, Torp P, Bach LF. Maximum-fixed energy shocks for cardioverting atrial fibrillation. EHJ 2019;1–6.
  2. N Engl J Med 2019; 380:1499-1508 DOI: 10.1056/NEJMoa1900353