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ACT : chez les patients COVID ambulatoires ou hospitalisés COLCHICINE, ASPIRINE, et ASPIRINE + RIVAROXABAN faible dose n’ont pas de bénéfice démontré sur les décès ou les événements thromboemboliques

Publié le mardi 30 août 2022

Louis Perrard

Auteur :
Louis Perrard
Membre du Collège des Cardiologues en Formation,
Amiens

Guillaume Bonnet

Relecteur :
Guillaume Bonnet
Membre du Collège des Cardiologues en Formation,
Bordeaux

Albert Hagège

Sous la supervision de :
Albert Hagège
Président du Comité Éditorial de Cardio-online,
Paris

En direct de l'ESC Congress 2022

D'après les présentations de John William Eikelboom (Hamilton, Canada) : "ACT Outpatient Trial" et Sanjit Jolly (Hamilton, Canada) : "ACT Inpatient Trial"

Messages clés

  • Chez les patients ambulatoires atteints de la COVID-19, la COLCHICINE ou l’ASPIRINE n’apportent aucun bénéfice à 45 jours.
  • Chez les patients hospitalisés, atteints de la COVID-19, la COLCHICINE ou l’ASPIRINE associée au RIVAROXABAN n’apportent aucun bénéfice à 45 jours.
  • La vaccination reste le meilleur moyen de prévention vis-à-vis de la COVID-19.

Introduction

Les patients atteints de la COVID-19 présentent majoritairement une symptomatologie légère. L’aggravation de la maladie s’accompagne d’un état d’hypercoagulabilité et d’une dysrégulation de la réponse immunitaire, et peut parfois évoluer vers la défaillance respiratoire, multiviscérale puis le décès1,2. Seules quelques molécules ont montré une efficacité dans ce contexte3,4,5. Parmi les autres thérapeutiques, le vaccin paraît comme un pilier de la prévention6,7.

À visée anti-inflammatoire, les corticoïdes et certains immunomodulateurs (anti-IL6) ont montré une efficacité, mais uniquement chez les patients hospitalisés pour COVID-19. La COLCHICINE, inhibe l’inflammasome NLR3P, activé par le COVID-198. Plusieurs essais randomisés rassemblant des milliers de patients (COLCORONA en ambulatoire, COLCOVID et RECOVERY en hospitalisation) ont retrouvé une tendance favorable, mais n’ont pas démontré de bénéfice à son utilisation9.

Concernant l’hypercoagulabilité, l’infection au COVID-19 s’accompagne d’une activation de la coagulation marquée par une élévation des D-dimères10. Des études observationnelles ont montré une incidence élevée de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) chez les patients hospitalisés pour COVID-1911, tandis que des études post-mortem ont mis en évidence une dysfonction endothéliale avec thrombose microvasculaire touchant les poumons et d’autres organes12.

Plusieurs essais randomisés ont évalué l’utilisation d’antithrombotiques chez des patients ambulatoires et hospitalisés pour COVID-19, avec des résultats mitigés, la réduction des MTEV s’accompagnant d’une augmentation des saignements sans bénéfice sur la mortalité13. L’ASPIRINE et le RIVAROXABAN, utilisés séparément ou en association, sont des antithrombotiques dont l’efficacité a été démontrée dans la prévention d’évènements thromboemboliques, avec, dans la littérature, des résultats contradictoires dans cette indication.

Le programme ACT a cherché à déterminer si chez les patients COVID-19 symptomatiques, des thérapeutiques anti-inflammatoires comme la COLCHICINE et antithrombotiques comme l’ASPRINE ou l’association ASPIRINE et RIVAROXABAN pouvaient prévenir la progression de la maladie ou la mort.

Principe du programme ACT

Le « programme ACT » inclut les essais « ACT inpatient trial », pour les patients hospitalisés, et « ACT outpatient trial », pour les patients ambulatoires. Nous allons aborder les résultats de ces deux études.

La comparaison anti-thrombotique vs contrôle et anti-inflammatoire vs contrôle a été réalisée séparément dans chaque essai, puis analysée en combinant les 2 populations. Cela a permis d’avoir un large panel de gravité, allant du COVID-19 léger, modéré à sévère.

ACT Outpatient

L’essai « ACT outpatient » est randomisé (en 1:1 puis 1:1), multicentrique, international, ouvert, contrôlé, incluant des patients COVID-19 à « haut risque » (soit au moins un élément parmi un âge ≥ 70 ans, être un homme, IMC ≥ 30 Kg/m², présenter une maladie chronique, un cancer actif ou être diabétique).

Les patients alloués dans le groupe expérimental recevaient COLCHICINE 0,6 mg 2 fois/jour pendant 3 jours puis 0,6 mg 1 fois/jour pendant 25 jours (dose réduite pour les patients avec un eGFR ≤ 30 mL/min/1m73²). Puis, les patients étaient de nouveau randomisés pour recevoir dans le groupe expérimental ASPIRINE 100 mg/jour pendant 28 jours.

Figure 1. Flow Chart de l’étude ACT outpatient.

Figure 1. Flow Chart de l’étude ACT outpatient

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Le critère de jugement principal était composite avec, pour le bras COLCHICINE, l’hospitalisation ou la mort à 45 jours, et pour le bras ASPIRINE, un évènement thrombotique majeur (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, ischémie aiguë de membre, embolie pulmonaire), l’hospitalisation ou la mort à 45 jours.

3 917 patients provenant de 11 pays, sur 3 continents (dont plus de 50 % d’Égyptiens), ont été inclus entre août 2020 et février 2022, avec, dans le bras COLCHICINE, principalement des hommes (60 %), d’âge moyen 45 ans ; 13 % étaient diabétiques, 22 % faisaient de l’hypertension artérielle et 20 % étaient complètement vaccinés. Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes.

L’analyse statistique du critère de jugement principal ne retrouve pas de différence significative entre les groupes dans le bras COLCHICINE  (Figure 2 : HR 1,02, IC 95 % [0,72–1,43], p = 0.93) et dans le bras ASPIRINE (Figure 3 : HR 0,80, IC 95 % [0,57–1,13], p = 0,21).

Figure 2. Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (Hospitalisation ou décès toute cause) en fonction de la prise de COLCHICINE

Figure 2. Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (hospitalisation ou décès toute cause) en fonction de la prise de COLCHICINE

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Figure 3 : Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (Thrombose majeur, Hospitatlisation, décès) en fonction de la prise d’ASPIRINE.

Figure 3 : Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (thrombose majeure, hospitatlisation, décès) en fonction de la prise d’ASPIRINE

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Les analyses en sous-groupes et sur les autres critères de jugement ne retrouvent pas de différence significative entre les groupes dans les 2 bras, avec toutefois une tendance à la réduction de thrombose dans le groupe Aspirine.

ACT INpatient

L’essai « ACT inpatient » est construit de manière similaire. Il incluait les patients COVID-19 avec une admission hospitalière ou aggravation clinique. Les patients alloués dans le groupe expérimental recevaient COLCHICINE 1,2 mg en dose de charge, puis 0,6 mg 2 heures après et 0,6 mg 2 fois/jour pendant 28 jours (dose réduite pour les patients insuffisants rénaux). Puis, les patients étaient de nouveau randomisés pour recevoir dans le groupe expérimental ASPIRINE 100 mg/jour et RIVAROXABAN 2,5 mg 2 fois/jour pendant 28 jours.

Figure 4. Flow Chart de l’étude ACT InPatient

Figure 4. Flow Chart de l’étude ACT InPatient

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Le critère de jugement principal était composite avec, pour le bras COLCHICINE, l’utilisation d’oxygène haut débit, de ventilation mécanique, ou le décès toute cause à 45 jours et, pour le bras ASPIRINE+RIVAROXABAN, la survenue d’un évènement thrombotique majeur, le recours à la ventilation mécanique, ou le décès toute cause à 45 jours.

2 611 patients provenant de 62 centres, dans 11 pays, sur 3 continents (dont un quart d’Argentins), ont été inclus entre aout 2020 et février 2022, principalement des hommes (60 %), d’âge moyen 55 ans ; 22 % étaient diabétiques, 36 % faisaient de l’hypertension artérielle, et 11 % étaient complètement vaccinés.

Il s’agissait de patients plus sévères mais avec peu de formes graves (60 % de fièvre, 83 % de dyspnée, 12 % d’hospitalisation en réanimation, 80 % sous oxygène et 2 % sous ventilation mécanique).

L’analyse statistique du critère de jugement principal ne retrouve pas de différence significative entre les groupes dans le bras COLCHICINE (368 [28,2 %] vs. 356 [27,2 %] évènements, HR 1.04, IC 95 % [0,90–1,28], p = 0,58) et dans le bras ASPIRINE+RIVAROXABAN (281 [26,4 %] vs. 300 [28,4 %] évènements, HR 0,92, IC 95 % [0,78–1,09], p = 0,32).

Figure 5. Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (recours à l’oxygène haute concentration, ventilation mécanique ou décès) en fonction de la COLCHICINE.

Figure 5 . Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (recours à l’oxygène haute concentration, ventilation mécanique ou décès) en fonction de la COLCHICINE

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Figure 6. Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (thrombose majeure, recours à l’oxygène haute concentration, ventilation mécanique ou décès) fonction de  ASPIRINE+RIVAROXABAN

Figure 6. Courbes de Kaplan-Meier du critère de jugement principal (thrombose majeure, recours à l’oxygène haute concentration, ventilation mécanique ou décès ) fonction de ASPIRINE+RIVAROXABAN

Source: présentation de John William Eikelboom (Hamilton, Canada), ESC 2022

Les analyses en sous-groupes et sur les autres critères de jugement ne retrouvent pas de différence significative entre les groupes dans les 2 bras, avec toutefois une tendance à la réduction de thrombose dans le groupe Aspirine+RIVAROXABAN.

L’analyse de sécurité retrouve une augmentation significative du risque de saignement, quel qu’il soit (p = 0,04), dans le groupe ASPIRINE+RIVAROXABAN versus contrôle, mais ne trouve pas de différence significative entre les groupes pour la survenue de saignements graves (p = 0,18).

Par ailleurs, une méta-analyse extensive a été faite. Parmi 23 000 patients COVID-19, un traitement par COLCHICINE versus contrôle n’avait pas d’effet sur la mortalité. Parmi plus de 7 000 patients hospitalisés pour COVID-19, une anticoagulation intensive versus contrôle permettait une réduction des MTEV (RR 0,57, IC 95 % [0,44-0,73, p = 0,25) non retrouvée sur la mortalité.

Conclusion

Chez les patients ambulatoires atteints d’une infection au COVID-19, la COLCHICINE ou l’ASPIRINE n’apportent pas de bénéfice sur l’évolution de la maladie.

Chez les patients hospitalisés pour une infection au COVID-19, la COLCHICINE ou ASPIRINE+RIVAROXABAN n’apporte pas de bénéfice sur l’évolution de la maladie.

Mais, la plupart des patients étaient déjà sous anticoagulation préventive durant l’hospitalisation, avec un risque thrombotique qui semble diminuer au cours du temps, une dose de RIVAROXABAN testée minime, et un mécanisme d’action de cet anticoagulant oral direct (AOD) limité à l’inhibition de l’activité anti-Xa quand l’HEPARINE joue sur plusieurs mécanismes, avec notamment une réduction de la fuite endothéliale et de l’entrée cellulaire du virus.

Plus globalement, ces deux études présentent plusieurs limites. Le protocole a été modifié en cours d’étude, devant un plus faible nombre d’évènements qu’attendu, avec un recrutement majoré et l’inclusion de la thrombose comme critère de jugement principal. La réalisation en ouvert implique un possible biais.

La méta-analyse réalisée ne retrouve pas de bénéfice de la COLCHICINE chez les patients atteints du COVID-19 (hospitalisés ou ambulatoires). Chez les patients hospitalisés pour COVID-19, une intensification de l’anticoagulation semble réduire les évènements thrombotiques mais n’a pas d’effet sur la mortalité ; le taux d’évènements thrombotiques chez ces patients semble diminuer au fil du temps (de 7 % en 2020 à moins de 2 % en 2022).

« FREEDOM COVID » est une étude à venir qui évaluera, sur des critères durs, 3 stratégies antithrombotiques chez des patients hospitalisés pour COVID-19 : une anticoagulation préventive par héparine de bas bois moléculaire (HBPM), une anticoagulation curative par HBPM, et une anticoagulation curative par un AOD, l’APIXABAN.

Références bibliographiques

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