Consensus d’experts de l’ESC et de EAPCI sur la dénervation rénale endovasculaire dans la prise en charge de l’HTA en 2023
Référence: "Renal Denervation in the Management of Hypertension in Adults. A Clinical Consensus Statement of the ESC Council on Hypertension and the European Association of Cardiovascular Interventions (EAPCI)" De Barbato E, Azizi M, Mahfoud F et al.

Professeur Michel Azizi
Centre d’Excellence en Hypertension Artérielle, HEGP
Paris
L'hypertension artérielle (HTA) est l'un des principaux facteurs de risque cardio-vasculaire (CV). C’est un facteur de risque fréquent : plus du quart de la population adulte de plus de 20 ans est hypertendue dans le monde. En France, on estime la prévalence de l’HTA à 13 millions de personnes entre 18 et 74 ans, soit 31 % de la population adulte. Son incidence ne fait qu’augmenter du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’incidence de l’obésité. En dépit du nombre de classes d’antihypertenseurs disponibles et des multiples recommandations françaises, européennes, et internationales, l’HTA reste insuffisamment contrôlée en France et dans le monde pour des raisons multifactorielles dont la mauvaise adhésion thérapeutique des patients, l’inertie thérapeutique, les comorbidités associées…
C’est dans ce contexte et en l’absence de nouvelles thérapeutiques médicamenteuses qu’a été proposé un traitement invasif comme la dénervation rénale [DR] par voie endovasculaire à la fin des années 2000. La DR consiste à réaliser la destruction thermique des fibres nerveuses sympathiques afférentes et efférentes cheminant dans l’adventice des artères rénales par des ultrasons focalisés ou un courant de radiofréquence de faible intensité.
Du fait de nombreux problèmes méthodologiques et de l’utilisation de cathéters de 1ère génération ne permettant pas une DR optimale et complète, les premiers essais randomisés contrôlés et les études observationnelles initiales publiés jusqu’en 2016 ont donné des résultats très hétérogènes en termes d’efficacité tensionnelle de la DR. Sur la base des données disponibles alors, les Sociétés européennes de cardiologie et d'hypertension artérielle (ESC/ESH) n’ont pas retenu la DR comme option thérapeutique pour le traitement de l'hypertension artérielle sauf dans le contexte d'essais contrôlés randomisés.
Depuis, 5 essais contrôlés de validité interne optimale comparant la DR par ultrasons ou RF avec des cathéters de 2ème génération à une intervention factice (sham), ont apporté la preuve concordante et répétée de l’efficacité de la DR à réduire la pression artérielle de façon cliniquement pertinente à moyen/long terme dans toutes les formes d’HTA (de modérées à sévères et résistantes à une trithérapie antihypertensive), et ce, avec une sécurité périprocédurale ainsi qu’à moyen et long terme bonne.
En s’appuyant sur les résultats de ces essais, l’ESC et EAPCI ont rédigé un document de consensus d’experts sur la DR dans la prise en charge de l'HTA pour éclairer la pratique clinique. Certaines des propositions sont résumées ci-dessous.
Indications
- La DR peut être proposée comme option thérapeutique chez des patients adultes pour une HTA résistante au traitement non contrôlée selon les critères ci-dessous :
- PA en consultation non contrôlée ≥140/≥90 mmHg malgré un traitement par ≥ 3 médicaments antihypertenseurs, confirmée par une PAS moyenne ≥ 130 mmHg en MAPA des 24 heures ou une PAS moyenne ≥ 135 mmHg en MAPA diurne
- DFG estimé ≥40 ml/min/1,73 m2.
- La DR peut être discutée pour des patients incapables de tolérer les médicaments antihypertenseurs à long terme et exprimant leur préférence à avoir une DR dans un processus de prise de décision partagée.
- La décision de DR doit tenir compte du risque CV global du patient (SCORE2 et SCORE 2-sujets âgées), de l’atteinte des organes cibles et des complications CV.
- Des équipes multidisciplinaires en HTA impliquant des experts de l'HTA et des interventions CV percutanées doivent évaluer l'indication de la DR.
- Pour optimiser la prise de décision partagée, les patients doivent être pleinement informés des avantages/limites et des risques associés à la DR.
- Il est déconseillé d'effectuer une DR dans les conditions suivantes :
- Transplantation rénale
- Insuffisance rénale sévère (KDIGO stade 4 ou 5)
- Hémodialyse
- Dysplasie fibromusculaire artérielle rénale
- HTA secondaire non traitée
- Rein fonctionnel unique
Eligibilité anatomique
Une imagerie non invasive des artères rénales par angioscanner ou angio-IRM préférentiellement à l'échodoppler est nécessaire pour vérifier entre autres :
- La présence d'artères accessoires
- Les critères d'inéligibilité anatomiques (diamètre artériel inadapté, bifurcation courte, sténose athéroscléreuse ou dysplasique, stenting de l'artère rénale…)
- L’étendue de la maladie athérothrombotique de l'aorte abdominale/artères ilio-fémorales, la présence de tumeurs surrénaliennes, etc.
L'artériographie rénale immédiatement avant la DR reste l’examen de référence pour vérifier les critères anatomiques d’éligibilité avant le geste de DR. Des procédures opératoires standard doivent être rédigées pour chaque dispositif afin d'obtenir une DR la plus efficace dans des conditions optimales de sécurité des patients.
Conditions d’expertise pour 1) les cardiologues/radiologues interventionnels, et 2) le centre réalisant des DR
- Les cardiologues/radiologues interventionnels doivent avoir une expertise dans les interventions rénales et bénéficier d'une formation spécifique dans les procédures de DR. Ils doivent être en mesure de traiter toutes les complications périprocedurales spécifiques (disposer par exemple de stents de taille adaptée aux artères rénales en cas de dissection). La liste des prérequis est consultable dans le document de consensus.
- Pour être admissible à un programme DR, le centre devrait disposer d'une clinique d'HTA, d'un service d'hospitalisation, d'un service d’imagerie, d'un laboratoire spécialisé en dosages hormonaux, d'une salle de cathétérisme, d'une unité de soins intensifs et d'un accès à un service de chirurgie vasculaire sur place ou à distance. En France, les centres d’excellence ESH et les BP clinics répondent à ces critères (coordonnées consultables sur https://www.sfhta.eu/liste-des-centres-dexcellence/).
- Une équipe multidisciplinaire d'HTA devrait superviser les programmes DR et inclure des experts de l'HTA et des interventions CV percutanées. Cette équipe peut également impliquer un cardiologue, un angiologue et/ou un néphrologue. Le spécialiste en HTA doit avoir une expertise dans l'évaluation des HTA secondaires, idéalement reconnu comme spécialiste de l'HTA par des organismes accrédités tels que la Société Européenne d'Hypertension (ESH), ou en France, la SFHTA.
Référence
"Renal Denervation in the Management of Hypertension in Adults. A Clinical Consensus Statement of the ESC Council on Hypertension and the European Association of Cardiovascular Interventions (EAPCI)" De Barbato E, Azizi M, Mahfoud F et al EuroIntervention 2023;18. DOI: 10.4244/EIJ-D-22-00723