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Tout le monde en parle … mais saurez-vous la reconnaître ?

Publié le lundi 4 mars 2024

Benjamin Schurr

 Benjamin SCHURR
Interne de Cardiologie
Service de Cardiologie, CHU Lariboisière, APHP, Paris

Dr Trecy Goncalves

Dr. Trecy Gonçalves
Cardiologue imageur
Service de Cardiologie et de Radiologie,
CHU Lariboisière, APHP, Paris 

Théo Pezel

Dr. Théo Pezel
Cardiologue imageur
Service de Cardiologie et de Radiologie,
CHU Lariboisière, APHP, Paris

 

Hopital lariboisiere

Imagerie cardiaque : cas cliniques en direct de Lariboisière

Monsieur L, 39 ans, occupe le poste de responsable logistique. Il est tabagique actif, avec une consommation estimée à 5 paquets-années, associée à une consommation occasionnelle d’alcool. Il est actuellement suivi pour un mélanome scapulaire gauche compliqué de métastases ganglionnaires et sous-cutanées (T4BN3CM0 = Stade IIID) NRAS sauvage, BRAF muté.

Présentation du cas

Contexte clinique

Une exérèse a été effectuée en janvier 2023. Depuis, monsieur L. est traité par immunothérapie associant l’Ipilimumab (inhibiteur de CTLA-4, administration de 3 mg/kg) et le Nivolumab (inhibiteur de PD-1, administration de 1 mg/kg). Il a bénéficié d’une première cure le 12 avril 2023.

Lors d’un bilan biologique systématique effectué début mai, une élévation fortuite de la troponinémie Ic à 1.800 ng/l est détectée (N<34 ng/l), sans autre anomalie notable, motivant son hospitalisation en unité de soins intensifs cardiologiques.

Le patient ne présente aucune plainte fonctionnelle cardiaque. Il ne décrit ni douleur thoracique, ni dyspnée. L’examen cardio-vasculaire est sans particularité.
L’ECG s’inscrit en rythme sinusal, et ne présente aucun signe d’ischémie.

L’échocardiographie retrouve un ventricule gauche non dilaté, sans trouble de cinétique segmentaire ou globale. La FEVG est préservée à 65%. Le péricarde apparaît sec.

Le bilan biologique montre :

  • GB : 7.3 G/L 
  • Hb : 12.1 g/dl
  • Plaquettes : 385 G/L
  • D-dimères : 580 ng/ml
  • K : 4.2 mmol/l
  • Créatinine : 64 µmol/l 
  • CRP : 6 mg/l
  • ASAT : 71 U/L (N : < 34 U/L), ALAT : 148 U/L (N : < 55 U/L)
  • PAL : 102 U/L (N 40-150 U/L), GGT : 61 U/L (N : 12-64 U/L)
  • Bilirubine totale : 5 µmol/l
  • Troponine Ic :  1800 ng/l (N < 34 ng/l)
  • NTpro-BNP : 580 ng/l

Un angioscanner thoracique est effectué et ne retrouve pas d’embolie pulmonaire.

Une coronarographie est également réalisée, montrant un réseau coronaire indemne de lésion significative.

Lors de son hospitalisation, la télémétrie révèle une salve de tachycardie ventriculaire non soutenue de 9 complexes …

Dans ce contexte, une IRM cardiaque est réalisée !

Résultats de l’IRM cardiaque :

Figure 1 : Coupes petit-axe basal (A), médian (B) et apical (C) et coupes 2-cavités (D), 3-cavités (E) et 4-cavités (F)

Figure 1A : coupes petit-axe basal

Figure 1B : coupes petit-axe médian 

Figure 1C : coupes petit-axe apical

Figure 1D : coupes 2-cavités

Figure 1E : coupes 3-cavités

Figure 1F : coupes 4-cavités

Figure 2 : séquence T2 STIR – Coupes petit-axe basal (A), médian (B) et apical (C)

Figure 3 : cartographie T1 mapping – Coupe petit-axe basal

Figure 4 : cartographie T2 mapping – Coupe petit-axe basal

Figure 5 : séquences de rehaussement tardif – Coupes petit-axe basal (A), médian (B) et apical (C) et coupes 2-cavités (D), 3-cavités (E) et 4-cavités (F)

resultat-cas-clinique

La bonne réponse est la réponse D : Myocardite aiguë aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) 

Figure 1 à la vidéo 1F :

  • Ventricule gauche modérément dilaté (VTDVG 115 ml/m²), non hypertrophié
  • Absence d’anomalie de la cinétique segmentaire ou globale
  • Présence d’un renforcement systolique (hypersignal systolique) latéro-basal et inféro-basal à prédominance sous-épicardique pouvant correspondre à de l’œdème myocardique (séquence pondérée T2/T1 à prédominance T2)
  • Lame d’épanchement péricardique prédominant en regard de la paroi inférieure

Figure 2 : 

  • Visualisation d’un œdème myocardique focal de la paroi inféro-basale (flèches)

Figure 3 :

  • Allongement du T1 mapping natif localisée dans le territoire inféro-basal (1220 ms versus 1020 ms au niveau du myocarde sain). Pour rappel, la norme du T1 mapping natif est de < 1050 ms chez ce patient jeune de < 65 ans.  

Figure 4 :

  • Absence d’anomalie retrouvée du T2 mapping (entre 45 et 48 ms)

Focus technique :

Il peut paraître surprenant d’avoir un hypersignal en faveur d’un œdème inféro-basal en séquence T2-STIR sans retrouver d’élévation du T2 mapping dans la même zone. Mais attention cela peut s’expliquer par le fait que la résolution du T2-STIR est meilleure avec donc la possibilité de mettre en évidence un gradient d’œdème entre le sous-épicarde et le sous-endocarde avec plus de sensibilité. Enfin, la coupe petit axe de T2 mapping ne passe pas forcément exactement au même endroit avec un risque de passer à côté de la zone d’intérêt.
Ce cas incarne bien la vraie vie ! Et c’est aussi pour cela qu’au sein du CHU Lariboisière nous réalisons systématiquement T2 mapping et T2-STIR pour être « ceinture et bretelles » sur toutes nos suspicions de myocardite aiguë.

Figure 5 : 

  • Présence d’un rehaussement tardif à point de départ sous-épicardique inféro-basal (flèche sur la coupe petit-axe basal (A) et 2-cavités (D))
  • Présence d’un rehaussement tardif à point de départ sous-épicardique latéro-basal (flèche sur la coupe 4-cavités (F))

Conclusion

Diagnostic confirmé de myocardite aiguë selon les critères de Lake Louise modifiés 2018 :

  • Critère T1 : présence de rehaussement tardif sous-épicardique en territoire inféro-basal et latéro-basal (2 segments sur 17) et élévation du T1 natif en inféro-basal
  • Critère T2 : œdème myocardique inféro-basal en séquence T2-STIR
  • Présence d’une lame d’épanchement péricardique (critère supplémentaire)

Ici le diagnostic de myocardite aiguë reste le plus probable par rapport au diagnostic de myocardite chronique au vu du tableau clinique, de la cinétique de la Troponine et de la présence d’une activité aiguë mise en évidence sur la séquence T2-STIR.

Ces résultats d’IRM cardiaque ne sont pas du tout spécifiques d’une myocardite aiguë d’origine virale ou induite par les ICI ! Il n’existe pas de signe en IRM cardiaque permettant de distinguer les deux étiologies ! Cependant, au vu de l’histoire clinique récente l’imputation des ICI est ici importante.

Discussion  : 

Indications et effets indésirables des ICI

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) représentent une nouvelle catégorie de traitement en oncologie. Agissant sur l’activation du système immunitaire, ils aident à reconnaître et cibler les cellules cancéreuses. Fréquemment utilisés dans les carcinomes broncho-pulmonaires non à petites cellules et les mélanomes, ils ne sont pas dénués d’effets indésirables. De fait, la suppression de la régulation immunitaire est associée à la survenue d’évènements auto-immuns. Parmi les effets indésirables recensés, nous retrouvons des phénomènes de toxicité cardiaque dominés par la myocardite. S’il s’agit d’une manifestation assez rare (entre 0,04 % et 1,14 % selon les cohortes (1)), la mortalité associée à ces myocardites est très élevée (25 à 50 %) (2) (3), rendant indispensable une surveillance rapprochée des patients sous immunothérapie. La majorité des cas recensés surviennent sous monothérapie (66 %), mais le risque individuel est significativement augmenté lors d’une bithérapie, l’association anti-CTLA4 et anti-PD1 étant la plus fréquemment rapportée. 

Toxicité cardio-vasculaire directe et indirecte associée aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (4)

Poser ou non le diagnostic de myocardite auto-immune est un enjeu majeur pour des patients parfois sans alternative thérapeutique. La suspension du traitement antinéoplasique risque d’aggraver le pronostic oncologique du patient, quand sa poursuite expose au risque de myocardite fulminante et de décès prématuré d’origine cardiaque. Il est donc important d’éliminer tout diagnostic différentiel pouvant être à l’origine d’une insuffisance cardiaque aiguë, d’une douleur thoracique et/ou d’une élévation de troponine. Doivent être envisagés entre autres la survenue d’un syndrome coronarien aigu, d’une embolie pulmonaire, une toxicité myocardique liée à d’autres traitements anticancéreux (anthracyclines, trastuzumab), des causes extracardiaques comme un sepsis, une insuffisance rénale, ou encore une myocardite d’origine virale.

Diagnostic de myocardite associée aux ICI

La majorité des myocardites associées aux ICI surviennent dans les 1 à 2 mois qui suivent l’initiation du traitement, généralement entre la 1ère et la 3ème perfusion. Le diagnostic peut donc être envisagé même après un cycle d’immunothérapie. Un dosage régulier des troponines permet une suspicion précoce. Dès lors que le diagnostic est suspecté, le traitement par ICI doit être suspendu, et le patient doit être surveillé de manière rapprochée (monitorage cardiaque), avec indication à la réalisation d’une IRM cardiaque (examen non invasif de référence pour le diagnostic de myocardite). 

Proposition d’algorithme pour le diagnostic de myocardite associée aux ICI (6)

Les critères diagnostiques à l’IRM cardiaque ne diffèrent pas des myocardites virales. Cependant, certaines études suggèrent une valeur prédictive négative moins bonne, avec un rehaussement tardif parfois pris en défaut dans les premiers jours (6). Ainsi, l’IRM cardiaque revient négative dans 52 % des cas, avec fréquemment la présence d’1 seul critère diagnostique retrouvé sur 2 (la sensibilité apparaît toutefois améliorée par les techniques de mapping).

On observe une meilleure performance diagnostique lorsque l’IRM est réalisée plusieurs jours après le début des symptômes (> 4 jours, a fortiori > 10 jours). Il n’est toutefois pas recommandé de retarder l’examen (éventuellement le répéter), le bénéfice d’une thérapeutique précoce étant bien démontré dans cette pathologie. En cas de doute diagnostique, il peut être intéressant d’effectuer une biopsie endomyocardique à la recherche d’infiltrats inflammatoires et de nécrose myocardique.

Critères diagnostiques à l’IRM cardiaque pour le diagnostic de myocardite aiguë

Critères de Lake Louise 2018 (7)

Si le diagnostic est confirmé, au-delà de l’arrêt du traitement par ICI, un traitement précoce par corticoïdes IV à forte dose est recommandé (8), associé à un meilleur pronostic (réduction des MACE) (9). 

Fiches de synthèse de l’ESC (4) (10)

Références

  1. Palaskas N, Lopez-Mattei J, Durand JB, Iliescu C, Deswal A. Immune Checkpoint Inhibitor Myocarditis: Pathophysiological Characteristics, Diagnosis, and Treatment. J Am Heart Assoc. 21 janv 2020;9(2):e013757.
  2. Wang DY, Salem JE, Cohen JV, Chandra S, Menzer C, Ye F, et al. Fatal Toxic Effects Associated With Immune Checkpoint Inhibitors: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Oncol. 1 déc 2018;4(12):1721‑8.
  3. Salem JE, Manouchehri A, Moey M, Lebrun-Vignes B, Bastarache L, Pariente A, et al. Spectrum of cardiovascular toxicities of immune checkpoint inhibitors: A pharmacovigilance study. Lancet Oncol. déc 2018;19(12):1579‑89.
  4. Lyon AR, López-Fernández T, Couch LS, Asteggiano R, Aznar MC, Bergler-Klein J, et al. 2022 ESC Guidelines on cardio-oncology developed in collaboration with the European Hematology Association (EHA), the European Society for Therapeutic Radiology and Oncology (ESTRO) and the International Cardio-Oncology Society (IC-OS). European Heart Journal. 1 nov 2022;43(41):4229‑361.
  5. Johnson DB, Balko JM, Compton ML, Chalkias S, Gorham J, Xu Y, et al. Fulminant Myocarditis with Combination Immune Checkpoint Blockade. N Engl J Med. 3 nov 2016;375(18):1749‑55.
  6. Zhang L, Awadalla M, Mahmood SS, Nohria A, Hassan MZO, Thuny F, et al. Cardiovascular magnetic resonance in immune checkpoint inhibitor-associated myocarditis. Eur Heart J. 7 mai 2020;41(18):1733‑43.
  7. Ferreira VM, Schulz-Menger J, Holmvang G, Kramer CM, Carbone I, Sechtem U, et al. Cardiovascular Magnetic Resonance in Nonischemic Myocardial Inflammation: Expert Recommendations. Journal of the American College of Cardiology. 18 déc 2018;72(24):3158‑76.
  8. Schneider BJ, Naidoo J, Santomasso BD, Lacchetti C, Adkins S, Anadkat M, et al. Management of Immune-Related Adverse Events in Patients Treated With Immune Checkpoint Inhibitor Therapy: ASCO Guideline Update. JCO. 20 déc 2021;39(36):4073‑126.
  9. Mahmood SS, Fradley MG, Cohen JV, Nohria A, Reynolds KL, Heinzerling LM, et al. Myocarditis in Patients Treated With Immune Checkpoint Inhibitors. J Am Coll Cardiol. 24 avr 2018;71(16):1755‑64.
  10. Théo Pezel, Jérôme Garot et al. French version, edition 2022. EACVI Cardiovascular Magnetic Resonance Pocket Guidelines.

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