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Le syndrome du caméléon : quand la cardiomyopathie hypertrophique se fait passer pour une autre
Publié le vendredi 22 décembre 2023
Antoine Deney
Service "insuffisance cardiaque"
CHU Toulouse Rangueil
Étudiez, étape par étape, le cas d'un patient de 29 ans qui consulte pour des palpitations suite à un accident sur la voie publique ayant entraîné une fracture cervicale de C2 traitée de façon orthopédique.
Contexte clinique
Présentation du patient
Un patient de 29 ans, qui travaille dans la pâtisserie, consulte au CHU de Toulouse Rangueil pour des palpitations après une fracture cervicale de C2 provoquée par un accident sur la voie publique et traitée de façon orthopédique (Figures 1 à 3).
Ledit patient n'a aucun antécédent, aucune hérédité cardiovasculaire et ne suit aucun traitement particulier.
Son IMC est de 18,5 kg/m2, mesurant 1m87 et pesant 65 kg.
Figure 1 : le traitement orthopédique de la facture cervicale C2 du patient provoque des palpitations
Figure 2 : les palpitations du patient deviennent inquiétantes
Figure 3 : le patient est amené à consulter d'urgence au CHU de Toulouse Rangueil
Examens du patient
ECG (Figure 4) :
- Rythme sinusal et régulier à 63 bpm
- PR normal
- QRS élargis à 104 ms, avec aspect de BBG incomplet et normo-axés
- HVG électrique
- Trouble de repolarisation diffus
- QTc normal
Figure 4 : ECG
Biologie :
- Troponine à 15 ng/l
- NT-pro BNP à 649 pg/ml
- CRP < à 0,6 mg/l
- Ferritinémie à 54 µg/l
- NFS normale
- Créatinémie 75 µmol/l
Echographie transthoracique (Vidéos 1 à 3 et Figure 5)
Vidéo 1
Vidéo 2
Vidéo 3
Figure 5
Powered by Quiz Maker
Les bonnes réponses au quiz de la première partie sont D et E :
- Réponse D : un scanner cardiaque
- Réponse E : une IRM myocardique
Pour aller plus loin dans l'analyse du cas de ce patient, nous avons choisi de lui faire passer un scanner cardiaque et une IRM myocardique, dont vous trouverez les images ci-après.
Scanner cardiaque (Figures 6 et 7)
Figure 6
Figure 7
IRM Cardiaque (Vidéos 4 à 6 et Figure 8)
Vidéo 4
Vidéo 5
Vidéo 6
Figure 8
Powered by Quiz MakerNotre choix s'est porté sur le TEP TDM, dont voici les résultats (Vidéo 7 et Figure 9):
Vidéo 7 : TEP TDM 18F-FDG
Figure 9 : Résumé de l'imagerie de notre patient à ce stade
Quiz 3 - La bonne réponse est A : une biopsie
Vous trouverez ci-dessous les images de la biopsie myocardique (Figure 10) et de la biopsie par thoracotomie (Figures 11 à 13) qui ont été effectuées.
Pour compléter ces examens, nous avons en outre sollicité un holter ECG, qui s'est avéré négatif (Figure 14).
Figure 10 : biopsie myocardique par voie endovasculaire (guidage échographique et scopique)
Figure 11 : biopsie par thoracotomie : l'hypothèse
Figure 12 : biopsie par thoracotomie : les visuels
Figure 13 : holter ECG qui s'est avéré négatif
Une amylose cardiaque ?
Pour parfaire notre diagnostic, nous décidons de procéder à une scintigraphie (Figure 14) et à une électrophorèse (Figure 15).
Figure 14 : scintigraphie au diphosphonate, qui se révèle négative
Figure 15 : électrophorèse des protéines sériques, sans point d’appel
Une enquête génétique
Nous poursuivons nos investigations par une enquête génétique (Figure 16)
Figure 16 : panel 2 négatif
Diagnostic
Au vu de tous les éléments rassemblés, nous concluons tout d'abord à la présence d'une masse intra-cardiaque (Figure 17), ce qui nous amène à conclure plus précisément à une cardiomyopathie hypertrophique obstructive latérale (Figure 18).
Figure 17 : masse intra cardiaque
Figure 18 : RCP nationale, avec confirmation de CMH fixant TEP
Discussion
Tumeurs cardiaques - Epidémiologie (Figure 19)
Ce cas clinique présente une manifestation exceptionnellement rare de cardiomyopathie hypertrophique obstructive (CMHO) latérale, qui, initialement ressemblait à une masse intracardiaque, et probablement à une tumeur cardiaque.
La prévalence des tumeurs intracardiaques se situe entre 0,001 % et 0,03 %. Environ les trois quarts sont bénignes, les myxomes représentant près de la moitié de tous les cas.
Sur le spectre malin, les métastases cardiaques sont plus fréquentes, tandis que les tumeurs cardiaques primaires, ne représentant que 10 %, proviennent principalement d'étiologies lymphomateuses.
La rareté de ces entités, associées à leurs diverses présentations cliniques, rend l'établissement d'un diagnostic définitif très difficile ,et explique l'absence de recommandation pour une approche diagnostique standardisée.
- Prévalence 0,001 % à 0,03 %
- 75 % tumeurs bénignes - 50 % myxomes
- Tumeurs malignes: métastases ++
- Primitive : Sarcome 90 % ou Lymphome
Figure 19 : tumeurs cardiaques - épidémiologie
Tumeurs cardiaques - Diagnostic (Figures 20 et 21)
Afin d’être le plus efficient dans notre approche diagnostique, nous avons réalisé une analyse multimodale d’imagerie cardiaque, comprenant la tomodensitométrie cardiaque (TDM), l'imagerie par résonance magnétique myocardique (IRM) et la tomographie par émission de positrons au 18F-FDG (PET-TDM).
Lemasle, M. & al. Contribution and performance of multimodal imaging in the diagnosis and management of cardiac masses. Int J Cardiovasc Imaging 2020
Figure 20 : tumeurs cardiaques - diagnostic
Lemasle, M. & al. Contribution and performance of multimodal imaging in the diagnosis and management of cardiac masses. Int J Cardiovasc Imaging 2020
Figure 21 : tumeurs cardiaques - diagnostic
Alors que notre TDM a fourni des informations limitées, l'IRM myocardique est apparue contributive, révélant un hypersignal T2 proéminent en regard de la masse, et un retard hétérogène de clairance du gadolinium faisant penser à une hypervascularisation orientant vers une étiologie néoplasique.
De même, le PET-TDM au 18F-FDG a révélé un hypermétabolisme intense en regard de la masse, sans autre atteinte (Figure 22). Cela suggérait fortement un processus néoplasique, bien que dépourvu d'implication métastatique.
Rahbar K, & al. Differentiation of malignant and benign cardiac tumors using 18F-FDG PET/CT. J Nucl Med. 2012
Figure 22 : tumeurs cardiaques – TEP TDM 18F FDG
L'activité hypermétabolique sur le PET-TDM à la 18F-FDG, bien qu'atypique dans la CMHO, est décrite dans les CMH obstructives et non obstructives (Figure 23). Il existait une corrélation entre l'intensité de la fixation et le degré d'obstruction.
Aoyama R & al Evaluation of myocardial glucose metabolism in hypertrophic cardiomyopathy using 18F-fluorodeoxyglucose positron emission tomography. PLoS One. 2017
Figure 23 : CMH – TEP-TDM 18F-FDG
Dans la CMHO, le passage du métabolisme des acides gras au métabolisme énergétique glycolytique signifie une demande énergétique élevée dans le myocarde hypertrophié. Cette transformation métabolique est exacerbée par la prolifération de cellules inflammatoires dans le myocarde, la microangiopathie et l'ischémie due à un déséquilibre (Figure 24).
Dans ce contexte, le gradient intraventriculaire de repos maximal substanciel (40 mmHg) associé à des taux élevés de hs-cTnT et de NT-proBNP donnait du crédit à la fixation du radiotraceur, suggérant un lien mécanistique entre l'offre et la demande, constitue les fondements physiopathologiques caractéristiques.
Figure 24 : CMH – TEP-TDM 18F-FDG
Relation entre le pourcentage de myocarde avec un signal T2 élevé et la concentration sérique de troponine T cardiaque de haute sensibilité (hs-cTnT) chez les patients atteints de cardiomyopathie hypertrophique.
La présence simultanée d'un hypersignal T2 et d'un retard de la clairance du gadolinium hétérogène peu important s'écartait du profil de la CMHO attendu (Figure 25). Cette observation semblait impliquer une phase œdémateuse transitoire sans fibrose fixe, particulièrement remarquable chez ce jeune patient au début de sa maladie.
Chen S & al T2-weighted cardiac magnetic resonance image and myocardial biomarker in hypertrophic cardiomyopathy. Medicine (Baltimore). 2020 Jun
Figure 25 : CMH – IRM
Prise en charge
En ce qui concerne les considérations thérapeutiques, étant donné l'absence de symptômes du patient, les paramètres CPET normaux, l'absence d’altération fonctionnelle et l'absence d'arythmie, la thérapie par bêtabloquants n’est pas recommandée. Cette décision était en accord avec les directives européennes et américaines. Reste donc à savoir si la pose d'un défibrillateur est envisageable (Figure 26).
Figure 26 - Risque de mort subite : défibrillateur ou non ?
En ce qui concerne la prévention de la mort subite, conformément aux directives européennes sur la cardiomyopathie hypertrophique, le calculateur de risque HCM Risk-SCD a attribué un faible score de risque de 2,2 %. Compte tenu du faible niveau de fibrose à l'IRM et de la fonction ventriculaire gauche préservée, ces directives ne recommandaient pas la pose d'un défibrillateur implantable.
Cependant, en accord avec les directives de l'American Heart Association/ACC de 2020, la pose d'un ICD pourrait être envisagée en raison de la présence d'un marqueur de risque majeur élevé. Par conséquent, l'épaisseur antérolatérale substantielle du ventricule gauche du patient, dépassant 30 mm, justifiait la pose d’un def selon ces directives (Figure 27).
Figure 27 - Risque de mort subite : défibrillateur ou non ?
Tout comme l'hypersignal T2, l'activité hypermétabolique sur le PET-TDM à la 18F-FDG était corrélée à des taux élevés de troponine cardiaque de haute sensibilité (hs-cTnT) et de peptide natriurétique cérébral (BNP) (Figures 28 et 29).
Figure 28 - Risque de mort subite : : défibrillateur ou non ?
Figure 29 - Risque de mort subite : défibrillateur ou non ?
Les résultats de l'IRM et du PET-TDM à la 18F-FDG, associés à des marqueurs cardiaques élevés indiquant une détresse myocardique continue et une susceptibilité aux arythmies, ont motivé notre décision d'opter pour la pose d'un ICD sous-cutané, conformément aux directives américaines.
Conclusion
Ce cas clinique souligne les rôles essentiels de l'IRM et du TEP-TDM au 18F-FDG dans le diagnostic des cardiomyopathies, en particulier celles présentant des caractéristiques obstructives, tout en contribuant simultanément à l’aide à la décision sur la prévention de la mort subite dans des présentations atypiques.
De plus, il met en évidence l'importance cruciale de prendre en compte à la fois les directives américaines et européennes lors de scénarios cliniques rares et complexes.
Références
- Tyebally S, Chen D, Bhattacharyya S, Mughrabi A, Hussain Z, Manisty C, et al. Cardiac Tumors: JACC CardioOncology State-of-the-Art Review. JACC CardioOncology. 1 juin 2020;2(2):293‑311
- 1.Aoyama R, Takano H, Kobayashi Y, Kitamura M, Asai K, Amano Y, et al. Evaluation of myocardial glucose metabolism in hypertrophic cardiomyopathy using 18F-fluorodeoxyglucose positron emission tomography. PloS One. 2017;12(11):e0188479.
- 1.Arbelo E, Protonotarios A, Gimeno JR, Arbustini E, Barriales-Villa R, Basso C, et al. 2023 ESC Guidelines for the management of cardiomyopathies. Eur Heart J. 1 oct 2023;44(37):3503‑626.
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