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Peu d’hypertrophie, beaucoup d’oedème

Publié le mercredi 21 août 2024

Silhouette

Walid Zenini
CH de Narbonne - Narbonne

Un homme de 62 ans consulte son cardiologue pour un bilan cardiaque systématique. Il n’a aucun symptôme de la lignée cardiaque. 

Contexte clinique

Enquête

Il ne présente aucun antécédent spécifique, personnel ou familial.
Ses facteurs de risques sont représentés par un tabagisme sevré et un surpoids (1m84 pour 105 kg).
L’examen clinique est sans particularité.
Son électrocardiogramme (Figure 1) retrouve des troubles de repolarisation, à type d’onde T négative de V4 à V6 et DI aVL.

Electrocardiogramme

Figure 1 : électrocardiogramme

L’échocardiographie est peu contributive chez ce patient en surpoids très peu échogène (Vidéo 1).

peu-d-hypertrophie-beaucoup-d-oedème-video1-img

Vidéo 1

Le patient est alors adressé pour une scintigraphie myocardique d’effort pour éliminer une cardiopathie ischémique.

Cet examen retrouve un défect perfusionnel limité au niveau antéromédian et antéroapical. 
La coronarographie ne retrouve pas de lésion coronaire.

Le bilan biologique retrouve une hémoglobinémie à 14.5 g/dl ; créatininémie 77 µmol/l soit un DFG à 95 ml/min. La troponine est normale, le NTproBNP est à peine au-dessus de la normale à 129 pg/ml.

Le patient est alors adressé pour une IRM cardiaque pour poursuivre les explorations :

  • Au niveau basal : le segment antéroseptal est mesuré à 13 mm ; les autres parois mesurent 6 mm
  • Au niveau apical : septum 5 mm ; paroi antérieure 11 mm ; paroi latérale 13 mm ; paroi inférieure 11 mm

Vidéo 2 : séquences ciné petit axe au niveau basal

Vidéo 3 : séquences ciné petit axe au niveau médian 

Vidéo 4 : séquences ciné petit axe au niveau basal apical

Vidéo 5 : séquence ciné apical 4 cavités

Séquences STIR au en petit axe basal, médian, et apical, et en apical 4 cavités

Figure 2 : séquences STIR au en petit axe basal, médian, et apical, et en apical 4 cavités

Séquences de rehaussement tardif en petit axe

Figure 3 : séquences de rehaussement tardif en petit axe

Séquences de rehaussement tardif en apical 4 et 2 cavités

Figure 4 : séquences de rehaussement tardif en apical 4 et 2 cavités

Séquences paramétriques : de gauche à droite : T2 mapping, T1 mapping, ECV mapping

Figure 5 : séquences paramétriques : de gauche à droite : T2 mapping, T1 mapping, ECV mapping

Carte polaire montrant les valeurs de T2 dans le ventricule gauche

Figure 6 : carte polaire montrant les valeurs de T2 dans le ventricule gauche

Dans notre centre, valeurs normales : T2 < 55 ms, T1 < 1015 ms, ECV < 30%.

Diagnostic final

Il s’agit d’une cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique apicale dite « relative », caractérisée par :

  • Des anomalies ECG évocatrices (ondes T négatives)
  • Une hypertrophie inappropriée de l’apex n’atteignant pas les critères classiques de CMH (≥ 15 mm), mais supérieure à ce qui est attendu (par exemple supérieure aux segments basaux)
  • Des anomalies morphologiques ou tissulaires (rehaussement tardif diffus)

Analyse de l’IRM :

  • L’IRM est en faveur de ce diagnostic, montrant des segments apicaux hypertrophiés (13 mm, mais à comparer à plus du double du segment septoapical ne mesurant que 5 mm, ou des segments basaux mesurant 6 mm)
  • Le rehaussement tardif est typique, mesopariétal de type mosaïque au niveau des jonctions VG/VD inférieure et supérieure, ainsi que dans les segments hypertrophiés. Le T1 mapping et l’ECV montrent une expansion du secteur extracellulaire, mais qui est au moins en partie lié à de l’œdème (T2 mapping > 55 ms). Cet œdème est aussi retrouvé sur les séquences non paramétriques (hypersignal en séquence STIR de l’apex et de la jonction VG/VD supérieure). Le rehaussement est extrêmement étendu, calculé à 30% de la masse ventriculaire gauche
  • T1 mapping élevé : 1027 ms dans le septum, 1137 ms au maximum dans la paroi latérale (N < 1015 ms)
  • ECV : 30% dans le septum, jusqu’à 70% dans la paroi latérale

Traitement et gestion du cas

Diagnostic différentiel :

  • Même si la localisation de l’hypertrophie et le T1 élevé n’étaient pas en faveur, nous avons réalisé le dosage de l’activité alphagalactosidase afin d’éliminer une maladie de Fabry, qui est revenu normal
  • La localisation de l’hypertrophie et le rehaussement étendu ne sont pas en faveur d’une cardiopathie hypertensive, d’autant plus que le patient n’a jamais été hypertendu
  • Le contexte (bilan systématique, absence de douleur thoracique ou fièvre, de syndrome inflammatoire ou d’élévation de la troponine) n’est pas en faveur d’une myocardite aiguë

Suite des examens :

  • L’épreuve d’effort réalisée lors de la scintigraphie d’effort ne retrouvait pas de trouble rythmique à l’effort
  • Le Holter ECG ne retrouve pas de trouble du rythme
  • Le risque de mort subite est faible, calculé d’après le score HCM Risk-SCD à 0.94% par an. Cependant, les recommandations européennes et américaines considèrent que le rehaussement de plus de 15% de la masse VG constitue un facteur de risque rythmique indépendant. Devant le rehaussement et l’oedème diffus, un avis rythmologique a été pris, qui ne retient pas d’indication d’implantation de défibrillateur en prévention primaire actuellement
  • Un bilan génétique a été réalisé, les résultats sont en attente

Discussion

Ce cas clinique soulève plusieurs points :

  • Le diagnostic de cardiopathie hypertrophique apicale, qui peut se présenter sous deux formes :
    • La forme classique, avec aspect en as de pique, hypertrophie franche des segments apicaux correspondant aux critères diagnostiques classiques (≥ 15 mm), associée à de la fibrose et parfois à un anévrysme de l’apex
    • La forme relative, avec une hypertrophie inappropriée mais < 15 mm des segments apicaux, une épaisseur supérieure à celles des segments basaux. Il existe des anomalies de repolarisation à l’ECG (ondes T négatives, peu profondes dans 25% des cas), et un rehaussement évocateur. Le diagnostic ne doit pas être négligé sous prétexte que l’hypertrophie est moindre, car la prise en charge est identique

Le rehaussement tardif est un indicateur d’expansion du secteur extracellulaire, qui n’est pas toujours liée à de la fibrose pure, mais parfois aussi à de l’œdème (comme dans les myocardites aiguës par exemple). Cet œdème a été décrit dans la CMH, bien qu’il ne s’agisse pas d’une cardiopathie inflammatoire à proprement parler. Il résulterait de troubles microvasculaires et de phénomènes de nécrose localisés, qui finiraient par aboutir à du remplacement fibrotique. Une étude récente a démontré qu’à rehaussement tardif équivalent, les patients présentant une CMH avec un T2 mapping (quantification de l’œdème) élevé présentaient un risque encore accru de troubles du rythme ventriculaire.

Les troubles de perfusion retrouvés en scintigraphie ne sont finalement pas surprenants, puisqu’ils sont retrouvés dans la quasi-totalité des CMH apicales.

Conclusion

Cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique apicale relative avec :

  • Hypertrophie des segments apicaux < 15 mm
  • Anomalies ECG
  • Présence de rehaussement évocateur.

Le rehaussement tardif est un marqueur d’expansion du secteur extracellulaire, qui peut être de la fibrose, ou dans ce cas de l’œdème (ou une association des deux). Dans les CMH, la présence d’œdème est un marqueur de risque supplémentaire de troubles du rythme ventriculaire.

Références

1. Flett AS, Maestrini V, Milliken D, Fontana M, Treibel TA, Harb R, Sado DM, Quarta G, Herrey A, Sneddon J, Elliott P, McKenna W, Moon JC. Diagnosis of apical hypertrophic cardiomyopathy: T-wave inversion and relative but not absolute apical left ventricular hypertrophy. Int J Cardiol. 2015 Mar 15;183:143-8.2. Rebecca K. Hughes, João B. Augusto, Kristopher Knott, Rhodri Davies, Hunain Shiwani, Andreas Seraphim, James W. Malcolmson, Shafik Khoury, George Joy, Saidi Mohiddin, Luis R. Lopes, William J. McKenna, Peter Kellman, Hui Xue, Maite Tome, Sanjay Sharma, Gabriella Captur and James C. Moon, Apical Ischemia Is a Universal Feature of Apical Hypertrophic Cardiomyopathy, Circulation Cardiovascular imaging 2023 Mar;16(3):e014907. 3. Ziqian Xu, Jie Wang, Wei Cheng, Ke Wan, Weihao Li, Lutong Pu, Yuanwei Xu, Jiayu Sun, Yuchi Han, Yucheng Chen, Incremental significance of myocardial oedema for prognosis in hypertrophic cardiomyopathy, European Heart Journal - Cardiovascular Imaging, Volume 24, Issue 7, July 2023, Pages 876–884.

 

Clause de non-responsabilité

Ce cas ne représente pas l’opinion de la SFC ni de Cardio-online, et n’engage pas leur responsabilité.

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