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Prise en charge lipidique en prévention primaire : s’il faut un traitement, comment faire ?

Publié le lundi 29 avril 2024

François Schiele

Pr François Schiele
Cardiologie et maladies vasculaires
Hôpital Jean-Minjoz, CHU Besançon

À la seconde consultation, STEP2

Se pose la question de l’atteinte de l’objectif thérapeutique du LDL-c : haut risque < 70 mg/dL, et très haut risque < 55 mg/dL.

Les traitements validés et disponibles pour la prévention primaire sont les statines et l’ezétimibe ; à part chez les patients porteurs d’une hypercholestérolémie familiale, les inhibiteurs du PCSK9 n’ont pas de place en prévention primaire (et avec le seuil de LDL-c sous traitement oral particulièrement élevé).

La stratégie de prescription en prévention primaire qui a été utilisée pour montrer le bénéfice clinique de la prévention par les statines consiste à donner une intensité de traitement fixe, sans s’occuper du résultat sur le LDL-c (Fire and Forget). Elle est peu pratique dans la routine, en tous cas moins qu’une stratégie basée sur l’atteinte d’un objectif de LDL-c (Treat to Target) laquelle, si elle n’est pas validée scientifiquement, est utile pour le médecin dans la pratique, et facilite l’adhérence du patient au traitement. On va donc traiter pour abaisser le LDL-c en dessous d’une valeur considérée comme l’objectif.

Pour atteindre l’objectif, la stratégie par étapes reste la règle

Il est admis qu’en prévention, il faut choisir l’intensité minimale du traitement de façon à éviter de traiter trop intensément et trop cher. De plus, l’idée ancienne d’une baisse substantielle possible du LDL-c par les mesures diététiques justifiaient de ne pas traiter de façon trop intensive et de faire pression sur le patient pour atteindre ses objectifs thérapeutiques par des efforts supplémentaires.

Cependant, les études observationnelles montrent de façon répétée que cette stratégie par étape ne fonctionne pas. En 2020, l’observatoire DA VINCI(5) rapportait que seuls 18% patients à très haut risque cardiovasculaire (en prévention secondaire)  étaient à leur objectif de LDL-c.

En 2023, l’étude SANTORINI incluant des patients en prévention primaire et secondaire(6) a donné le même message : seuls  20.1% des patients atteignent l’objectif thérapeutique. Commun aussi aux deux études, le fait que les traitement hypolipémiants ne sont pas donnés aux intensités nécessaires, 20% des patients n’ont aucun traitement médicamenteux, 50% ont une statine en monothérapie et 24% une association statine et ézétimibe.

Enfin, le registre EuroAspire V, a montré que l’échec d’atteinte des objectifs s’explique à la fois par la prescription d’un traitement d’intensité trop faible et par l’absence d’optimisation durant le suivi(7).

Considérer la « distance à l’objectif»8

Il s'agit d'une stratégie qui permet de mieux calibrer l’intensité du traitement hypolipémiant dès la première prescription. C’est la même démarche que celle discutée actuellement pour la prescription après un syndrome coronarien aigu(9, 10). Il s’agit de déterminer l’importance de la baisse du LDL-c nécessaire en fonction de la cible et du niveau basal : par exemple pour un patient à très haut risque (et dont l’objectif idéal de LDL-c est <55mg/dL), une baisse de 35% devient insuffisante dès que le LDL-c basal est au-dessus de 80 mg/dL, et donc il faut sélectionner une statine de forte intensité.

Compte tenu des objectifs de LDL-c pour les patients à haut et très haut risque et du niveau moyen du LDL-c dans les populations Européenne, le calcul de la distance à l’objectif montre qu’il faut une baisse de plus de 50%  et donc l’utilisation de l’association statines forte intensité et ézétimibe en première intention risque d’être nécessaire pour une grande proportion de patients(11). (Figure 1).

STEP2 : stratégie de choix de traitement hypolipémiant en prévention primaire

Figure 1 : STEP2 = stratégie de choix de traitement hypolipémiant en prévention primaire, basée sur la distance à l’objectif. Adapté de Poli et al 20238. L’étape initiale (1) est de reconsidérer la catégorie de risque après les mesures hygiéno-diététiques. L’objectif thérapeutique (2) est conditionné par la catégorie de risque et le souhait du patient. La distance à l’objectif (4) est calculée à partir du LDL-c sans traitement et de l’objectif. Le choix de traitement est dicté par la distance à l’objectif (5).

Considérer la réduction maximale du risque

De façon contre intuitive, l’association de statines et ézétimibe s’avère également indispensable pour réduire de façon substantielle le risque cardio vasculaire des patients à haut est très haut risque dont le LDL-c basal n’est pas élevé. En effet, chez un patient dont le LDL-c basal serait de 100mg/dL, même si un traitement par statines seule permet d’abaisser le LDL-c de 50% et d’atteindre l’objectif, ces 50% ne correspondent qu’à une baisse de 50mg/dL et donc à une baisse du risque d’à peine plus de 20% par an.

En traitant le même patient avec statine + ézétimibe, la réduction du LDL-c serait de 65mg/dL, correspondant à une baisse du risque plus importante, de 30%. Tant qu’à prescrire un traitement hypolipémiant, pourquoi ne pas proposer celui qui réduit le plus de risque dans la mesure où cette intensification ne comporte pas de risque thérapeutique, pas d’augmentation du nombre de comprimés si association fixe et avec un surcout très modeste ?

Assurer l’adhérence au long cours

C'est particulièrement important pour les prescriptions hypolipémiantes en prévention primaire, le patient ne pouvant en ressentir ni le besoin, ni l’effet bénéfique. Une partie des arrêts de traitement est la conséquence d’intolérance mais l’oubli, le manque d’information sur le bénéfice attendu ou même l’opposition aux statines expliquent les prises médicamenteuses irrégulières ou les interruptions du traitement et finalement une prévention peu efficace.

La prescription d’une association statine + ézétimibe en mono-comprimé peut être une réponse car une statine d’intensité modéré associée à l’ézétimibe est mieux tolérée (moins d’intolérances musculaires déclarées), plus efficace sur le plan biologique (plus de patients ayant atteint leur objectif) et clinique (moins d’événements cliniques cardiovasculaires majeurs) qu’une monothérapie de statine de forte intensité(12).

En conclusion, la stratégie de traitement hypolipémiant en prévention primaire a indiscutablement évolué

Elle a évolué, non seulement parce qu’elle est basée sur le risque et non plus sur le seul niveau du LDL-c, mais aussi par l’implication indispensable des patients aux décisions. Ceux-ci sont d’abord incités à réduire leur risque par les moyens non médicamenteux. C’est la constatation de la persistance d’un risque élevé ou très élevé qui justifie la baisse médicamenteuse du LDL-c.

Les stratégies d’introduction et optimisation du traitement sont sujet de débat. Si on accepte qu’il soit important d’atteindre des objectifs thérapeutiques de LDL-c, il faut aussi admettre que la méthode d’incrémentation progressive ne fonctionne pas, et qu’il est temps de considérer une prescription basée sur la « distance à la l’objectif ».

Références :

1. Visseren FLJ, Mach F, Smulders YM, Carballo D, Koskinas KC, Back M, et al. 2021 ESC Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice: Developed by the Task Force for cardiovascular disease prevention in clinical practice with representatives of the European Society of Cardiology and 12 medical societies With the special contribution of the European Association of Preventive Cardiology (EAPC). Rev Esp Cardiol (Engl Ed). 2022;75(5):429.
2. Rees K, Dyakova M, Ward K, Thorogood M, Brunner E. Dietary advice for reducing cardiovascular risk. Cochrane Database Syst Rev. 2013(3):CD002128.
3. Finicelli M, Di Salle A, Galderisi U, Peluso G. The Mediterranean Diet: An Update of the Clinical Trials. Nutrients. 2022;14(14).
4. Shepherd J. Resource management in prevention of coronary heart disease: optimising prescription of lipid-lowering drugs. Lancet. 2002;359(9325):2271-3.
5. Ray KK, Molemans B, Schoonen WM, Giovas P, Bray S, Kiru G, et al. EU-Wide Cross-Sectional Observational Study of Lipid-Modifying Therapy Use in Secondary and Primary Care: the DA VINCI study. Eur J Prev Cardiol. 2021;28(11):1279-89.
6. Ray KK, Haq I, Bilitou A, Manu MC, Burden A, Aguiar C, et al. Treatment gaps in the implementation of LDL cholesterol control among high- and very high-risk patients in Europe between 2020 and 2021: the multinational observational SANTORINI study. Lancet Reg Health Eur. 2023;29:100624.
7. Bacquer D, Smedt D, Reiner Z, Tokgozoglu L, Clays E, Kotseva K, et al. Percentage low-density lipoprotein-cholesterol response to a given statin dose is not fixed across the pre-treatment range: Real world evidence from clinical practice: Data from the ESC-EORP EUROASPIRE V Study. Eur J Prev Cardiol. 2020;27(15):1630-6.
8. Poli A, Catapano AL, Corsini A, Manzato E, Werba JP, Catena G, et al. LDL-cholesterol control in the primary prevention of cardiovascular diseases: An expert opinion for clinicians and health professionals. Nutr Metab Cardiovasc Dis. 2023;33(2):245-57.
9. Sabouret P, Puymirat E, Kownator S, Abdennbi K, Lebeau F, Meltz M, et al. Lipid-lowering treatment up to one year after acute coronary syndrome: guidance from a French expert panel for the implementation of guidelines in practice. Panminerva Med. 2022.
10. Krychtiuk KA, Ahrens I, Drexel H, Halvorsen S, Hassager C, Huber K, et al. Acute LDL-C reduction post ACS: strike early and strike strong: from evidence to clinical practice. A clinical consensus statement of the Association for Acute CardioVascular Care (ACVC), in collaboration with the European Association of Preventive Cardiology (EAPC) and the European Society of Cardiology Working Group on Cardiovascular Pharmacotherapy. Eur Heart J Acute Cardiovasc Care. 2022;11(12):939-49.
11. Ray KK, Reeskamp LF, Laufs U, Banach M, Mach F, Tokgozoglu LS, et al. Combination lipid-lowering therapy as first-line strategy in very high-risk patients. Eur Heart J. 2022;43(8):830-3.
12. Kim BK, Hong SJ, Lee YJ, Hong SJ, Yun KH, Hong BK, et al. Long-term efficacy and safety of moderate-intensity statin with ezetimibe combination therapy versus high-intensity statin monotherapy in patients with atherosclerotic cardiovascular disease (RACING): a randomised, open-label, non-inferiority trial. Lancet. 2022;400(10349):380-90.

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