Quelle stratégie thérapeutique sur les lipides en pratique ?

Jean-Philippe Collet1

Michel Zeitouni1
1 : Sorbonne Université Médecine - Unité de Soins Intensifs de Cardiologie, Institut de Cardiologie, Pitié-Salpêtrière, Paris
Introduction
Cette année, la sécurité sociale française a autorisé le remboursement de l’alirocumab et de l’évolocumab en prévention secondaire des maladies cardiovasculaires, en basant les indications sur les critères d’inclusion des essais cliniques ODYSSEY OUTCOMES et FOURIER. Les deux molécules sont recommandées lorsque le LDL-C reste supérieur à 0.7 g/L malgré une statine à dose maximale tolérée et ézétimibe. L’évolocumab est ainsi indiqué en cas de maladie cardiovasculaire établie définie par un antécédent d’infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou artériopathie oblitérante des membres inférieurs. L’alirocumab est indiqué en prévention secondaire des syndromes coronariens aigus.
Quelle stratégie thérapeutique sur les lipides en pratique ?
« Treat to target » plutôt que « Treat and forget ».
La stratégie recommandée par l’ESC et l’EAS dans les guidelines de 2019 est claire : c’est l’objectif de LDL-C qui guide l’escalade thérapeutique des anti-lipidiques. Il est fixé pour chaque patient, par la catégorie de risque cardiovasculaire auquel il appartient, qu’on soit en prévention primaire ou secondaire (Figure 1). Cette stratégie de «treat to target» est en contraste avec l’AHA/ACC qui préconise une stratégie de « Treat and forget » où l’intensité du traitement anti-lipidique est basée sur le LDL-c mesuré au moment du dépistage. L’approche européenne est pourtant étayée par un large éventail de preuves, à commencer par la méta-analyse des Cholesterol Treatment Trialists, démontrant que chaque réduction de 30 mg/dL des taux de LDL-C réduit le risque d'événements ischémiques majeurs de 40 à 50%.
Figure 1: le continuum du risque cardiovasculaire
Le pilier de la stratégie anti-lipidique sont les statines administrées à la dose maximale tolérée par le patient jusqu’à ce que l’objectif de LDL-C correspondant à sa catégorie de risque cardiovasculaire soit atteint. Le LDL-C doit être mesuré et contrôlé entre 4 à 6 semaines après chaque ajustement thérapeutique.
En cas de LDL-C en dehors de la cible thérapeutique malgré la dose maximale tolérée de statines, l’escalade thérapeutique s’effectue en premier lieu avec l’ajout d’ézétimibe à la dose de 10 mg par jour. Cette combination permettrait d’atteindre un LDL-C inférieure à 0.55 g/L chez un patient sur 2 (Figure 2).
Figure 2 : réduction du LDL-C avec ézétimibe, alirocumab et évolocumab
Escalade thérapeutique vers les inhibiteurs du PCSK9 : dans quels cas ?
En prévention secondaire
En prévention secondaire, l’ESC/EAS recommande la prescription des inhibiteurs du PCSK9 lorsque la cible de LDL-C de 0.55 g/L n’est pas atteinte avec des statines à dose maximale et de l’ézétimibe (IA). Dans les essais cliniques FOURIER et ODYSSEY-OUTCOMES, plus de 90 % des patients se retrouvaient sous la cible de 0.55 g/L de LDL-C (Figure 2). Cette cible de LDL-C est fixée à 0.40 g/L en cas de récidive d’évènements cardiovasculaires en moins de 2 ans.
En prévention primaire
L’ESC/EAS 2019 ouvrent la voie à une intensification du traitement hypolipémiant avec l’utilisation au cas par cas des inhibiteurs de PCSK9 dans le très haut risque cardiovasculaire défini par un SCORE de risque>10%, un diabète rénal chronique, un diabète avec trois autres facteurs de risque, lorsque le LDL-C est non contrôlé sous statine et ézétimibe (IIb, C). Cette recommandation repose sur une extrapolation des preuves fournies par les essais cliniques sur les inhibiteurs de PCSK9 et l'ézétimibe, car les essais FOURIER et ODYSSEY n'ont inclus que des patients en prévention secondaire (maladie coronaire stable symptomatique ou syndrome coronarien aigu récent). L’essai clinique de phase III VESALIUS-CV (NCT03872401) évalue actuellement les effets de l’évolocumab en prévention primaire des patients à haut risque cardiovasculaire.
Quels traitements anti-lipidiques pour demain ?
Inhibition permanente par ARN interférent
Les études ORION-1, 10 et 11 ont démontré que l'inclirisan - un petit ARN interférent qui inhibe la traduction hépatique des PCSK9 - permet une réduction soutenue du LDL-C (de 30% à 40% à 1 an) avec une ou deux doses par an. L’essai clinique de phase III ORION 4 (NCT03705234) évalue l'efficacité clinique de l'inclisiran en prévention secondaire de la maladie athérothrombotique.
HDL-C, apolipoprotéine A-1 comme thérapeutiques cibles fonctionnelles
L’amélioration de la fonction HDL-C (plutôt que le taux de HDL-C) et de la capacité d'efflux de cholestérol sont actuellement étudiées avec des perfusions de CSL112 (apolipoprotéine A-1 dérivée du plasma). Quatre perfusions de CSL112 étaient associées à une augmentation des niveaux d'apoA-I et à une amélioration efflux de cholestérol dans l'essai AEGIS I (Apo-I Event Reducing in Syndromes ischémiques). AEGIS II (NCT03473223) évalue l’effet de la perfusion de CSL112 sur la réduction des événements cardiovasculaires indésirables majeurs après syndromes coronariens aigus.
Les triglycérides : le débat reste ouvert
L'hypertriglycéridémie est associée aux évènements cardiovasculaires et considérée comme un marqueur de risque important. REDUCE-IT a démontré que l'icosapent éthyl en plus des statines était associé à une réduction du risque relatif de 25% et à une réduction du risque absolu de 4,8% des événements cardiovasculaires indésirables majeurs chez les diabétiques à haut risque ou les coronariens stables. l’ESC / EAS pour l'icosapent d'éthyle 2 g deux fois par jour est recommandé dans le haut risque cardiovasculaire associé à un taux de triglycérides entre 1,5 et 5,6 mmol/L (135 et 499 mg/dL) sous statines. À contrario, l’essai clinique SRENGTH (n=13000) présenté cette semaine à l’AHA, n’a pas démontré de bénéfice des molécules voisines, l’acide eicosapentaenoique et docosahexaénoique (EPA et omega-3) pour diminuer les évènements cardiovasculaires. Le débat reste ouvert. En attendant, la recherche sur les oligonucléotides antisens pour diminuer la synthèse des triglycérides continue avec l’étude AKCEA-APOCIII-LRX.
Conclusions
Traiter pour baisser le LDL-C et réduire les évènements cardiovasculaires en utilisant une stratégie d’escalade thérapeutique est pour le moment la stratégie recommandée par l’ESC. Plusieurs questions sont encore en suspens : quid de l’inclusion des inhibiteurs du PCSK9 dans le traitement direct post-infarctus? Quelle place pour les omégas 3 après les résultats discordant de REDUCE-IT et STRENGTH ? Comme souvent, « more research is needed ! ».
Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Optimiser le LDL en post SCA : pourquoi, comment et avec quoi ?"
Ce contenu vous est proposé avec le soutien institutionnel de Sanofi
