Optimisation de la prescription hypolipémiante post SCA : vers une nouvelle stratégie
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Auteur :
Pr François Schiele |
Les célèbres locutions « Fire and Forget » et « Treat to Target », correspondent à deux stratégies de traitement. Elles sont apparues en 2002 dans un commentaire sur l’étude de prévention primaire WOSCOPS. Un calcul simple montrait qu’à coût égal, on pouvait éviter plus d’événements cardio-vasculaires (CV) en traitant 30 000 patients avec une dose de 10 mg/j de Pravastatine qu’en en traitant 10 000 avec une dose de 30 mg/j, dose nécessaire pour atteindre la cible thérapeutique pour cette population. On arrivait à la conclusion qu’une stratégie « Fire and Forget » (on traite sans s’occuper de la cible) était plus avantageuse que « Treat to Target », visant à ajuster des doses pour atteindre un LDL-c donné1. Malgré sa logique, avec la baisse du coût des statines, ce raisonnement a perdu beaucoup de son intérêt.
L’opposition des deux stratégies a eu un regain médiatique en 2014, avec la mise à jour des recommandations Nord-Américaines de prévention : basées sur l’absence de preuve scientifique pour la recherche de cible, les experts américains ont proposé de s’en tenir à l’utilisation de statines de forte intensité en post SCA, sans chercher de cible de LDL-c. De l’autre côté du Pacifique, les auteurs des recommandations ESC ont également retenu l’utilisation systématique de statines de forte intensité comme prescription initiale, mais en associant une cible de LDL-c < 70 mg/dL. En 2021, ce problème n’est toujours pas solutionné ; les preuves cliniques sont toujours pour l’utilisation de statines de forte intensité, mais le bénéfice clinique d’y associer ezétimibe et/ou inhibiteurs de PCSK9 est également démontré. En pratique, en cas de SCA, il s’agit donc bien de prescrire le traitement hypolipémiant le plus intense sans délai et sans se soucier du LDL-c d’amission. Donc adopter la stratégie « Fire » ; reste à savoir s’il faut « ... and Forget ».
« Treat to Target ». Les arguments pour vérifier le niveau du LDL-c sous traitement sont de deux ordres :
- vérifier que l’intensité du traitement produit bien, chez un patient donné, l’effet biologique attendu
- et donner des renseignements sur l’adhérence au traitement.
En accord avec la notion du rôle causal du LDL-c dans l’athérosclérose2, les études de progression / régression de plaque d’athérome coronaire qui ont montré une relation linéaire entre l’évolution du volume de la plaque et le niveau de LDL-c plaident pour une cible de LDL-c entre 50 et 70 mg/dL. Une méta-analyse de 5 000 patients coronariens publiée en 2007 a montré que la plaque coronaire progresse en 12 à 18 mois dès que le LDL-c est > 80 mg/dL3. Inversement, avec un LDL-c < 50 mg/dL, il n’y a pas de progression. Pour le prescripteur et pour le patient, savoir que l’intensité du traitement choisie permet de bloquer la progression de l’athérosclérose est rassurant. Maintenir cette cible au long cours revient à vérifier régulièrement le niveau du LDL-c durant le suivi. C’est le second avantage d’une stratégie « Treat to Target », mais elle assigne au prescripteur la responsabilité de vérifier à la fois la tolérance et l’adhérence au traitement. Dans une étude de cohorte anglaise publiée en 2007, l’adhérence au traitement par statines avait été comparée entre 13 387 patients chez qui il y avait un suivi biologique du LDL-c et 2 976 patients sans suivi. Au bout de 5 ans, moins de 10 % des patients sans suivi étaient « adhérents », c’est-à-dire prenaient leur traitement au moins 8 jours sur 10, alors qu’avec une stratégie de suivi, le taux d’adhérents était stable à 60 %.
« Fire and Follow to Target » pourrait résumer une stratégie moderne de traitement des patients post SCA. Prescrire les statines de forte intensité, sans se soucier du LDL-c basal, correspond aux données de la science et aux recommandations (« Fire »). S’inquiéter de la tolérance et de l’adhérence fait partie du métier de prescripteur car correspond à la réalité : les manifestations d’intolérance existent et le médecin doit y apporter une réponse (« Follow »). Reste la recherche de l’atteinte d’une cible, critiquée pour son manque de preuve d'efficacité : deux études randomisées récentes ont comblé cette lacune et montrent que la recherche d’une cible de LDL-c apporte un bénéfice clinique. L’une, avec des statines et ezétimibe, chez les patients avec un AVC ou AIT athéromateux récent (TNT, « Treat New Target ») a démontré que l’atteinte d’une cible de LDL-c < 70mg/dL est associée à une réduction des événements cardiovasculaires majeurs par rapport à une cible de LDL-c entre 90 et 110 mg/dL. L’autre étude validant la recherche d’une cible est l’étude ODYSSEE-OUTCOMES qui testait non seulement l’intérêt d’associer l’alirocumab aux statines à dose maximale tolérée, mais aussi à une stratégie de recherche de cible de LDL-c, entre 30 et 50 mg/dL.
Traiter de façon intense (avec des statines et éventuellement l’ezétimibe) et assurer un suivi pour surveiller tolérance, adhérence et efficacité, avec une optimisation utilisant les inhibiteurs de PCSK9 en fonction d’une cible est une stratégie complète qui correspond aux données modernes. Et elle est tout à fait applicable en routine en France car elle correspond à la disponibilité et au remboursement des traitements.
Références :
- Shepherd J. Resource management in prevention of coronary heart disease: optimising prescription of lipid-lowering drugs. Lancet 2002; 359(9325): 2271-3.
- Ference BA, Ginsberg HN, Graham I, et al. Low-density lipoproteins cause atherosclerotic cardiovascular disease. 1. Evidence from genetic, epidemiologic, and clinical studies. A consensus statement from the European Atherosclerosis Society Consensus Panel. Eur Heart J 2017; 38(32): 2459-72.
- Nicholls SJ, Tuzcu EM, Sipahi I, et al. Statins, high-density lipoprotein cholesterol, and regression of coronary atherosclerosis. JAMA 2007; 297(5): 499-508.
Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Traitement hypolipémiant lors des syndromes coronariens aigus : quand, comment et pourquoi ?"
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