Focus sur les Recommandations sur le diagnostic et le traitement de l’Hypertension Pulmonaire, présentées lors du congrès de l’ESC Barcelone 2022

Auteur:
Charles Fauvel
Membre du Collège des Cardiologues en Formation,
Rouen

Relecteur :
Jean-Luc Vachiery
Bruxelles
En direct de l'ESC Congress 2022
Les recommandations tant attendues sur le diagnostic et le traitement de l'hypertension pulmonaire viennent de sortir au congrès de l’ESC 2022 !
On vous résume tout ici !
Les 10 messages clés à retenir pour la pratique clinique :
- La classification de l’HTP en 5 groupes ne change pas.
- Actualisation de la définition hémodynamique de l’hypertension pulmonaire : PAPm > 20 mmHg. On parle d’HTP pré-capillaire si la PAPO ≤ 15 mmHg et les RVP > 2 UW. Dans le cas où la PAPO > 15 mmHg elle est dite post-capillaire : isolée si les RVP ≤ 2 UW, combinée si les RVP > 2 UW.
- L’efficacité des traitements ciblant la maladie vasculaire pulmonaire pour une PAPm comprise entre 21-24 mmHg et des RVP entre 2-3 UW n’est pas encore connue. Il est donc conseillé un suivi rapproché dans ce cas, mais sans instauration de traitement, faute de preuves.
- L’algorithme de suspicion diagnostique est simplifié, avec une approche en 3 étapes : suspicion clinique, dépistage échographique, confirmation par cathétérisme cardiaque droit.
- Le dépistage des patients à haut risque, et notamment ceux atteints de sclérodermie, ou après une embolie pulmonaire, est précisé.
- La lecture attentive de l’échocardiographie et de l’angioscanner thoracique au moment du diagnostic d’une embolie pulmonaire est nécessaire afin de remédier au sous-diagnostic des formes post-emboliques chroniques (groupe IV).
- Chez les patients porteurs d’HTAP (groupe I), la stratification du risque (risque de décès dans l’année) est la pierre angulaire de la prise en charge. Elle détermine le pronostic, la stratégie thérapeutique, et enfin le suivi. Une stratification du risque non-invasive, en 4 strates (bas risque, intermédiaire bas, intermédiaire haut, haut risque) est valide pour le suivi.
- L’algorithme de traitement des patients porteurs d’HTAP (groupe I) est basé sur la stratification du risque et les comorbidités :
- traitement combiné (IPDE5 + ERA) pour les risques bas et intermédiaires, et trithérapie (IPDE5 + ERA + prostacycline) pour les hauts risques en l’absence de comorbidités cardiopulmonaires (classe I,A)
- en présence d'une comorbidité, monothérapie (IPDE5 ou ERA) au cas par cas (classe IIa)
- Les traitements ciblant la maladie vasculaire pulmonaire, utilisés dans l’HTAP, ne sont pas recommandés dans le traitement de l’hypertension pulmonaire post-capillaire (groupe II)
- L’algorithme de traitement des formes post-emboliques chroniques est multimodal, au cas par cas, après évaluation dans un centre de référence, et inclut traitement médical, chirurgical (endartériectomie) et endovasculaire (angioplastie pulmonaire).
Introduction
Sept années séparent les anciennes des nouvelles recommandations sur l’hypertension pulmonaire, élaborées conjointement par les sociétés Européennes de cardiologie et de pneumologie (ESC/ERS).
Nouveaux seuils hémodynamiques, nouveautés en dépistage, nouveautés en traitement, on vous résume tout ci-dessous !
Définitions et classifications
L’hypertension pulmonaire (HTP) est désormais définie par une pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) > 20 mmHg.
On distingue ensuite :
- Les formes pré-capillaires (groupes 1, 3 à 5) : PAPO ≤ 15 mmHg + résistances vasculaires pulmonaires (RVP) > 2 UW
- Les formes post-capillaires (groupe 2) : PAPO > 15 mmHg + résistances vasculaires pulmonaires :
- ≤ 2 UW pour les formes post-capillaires isolées
- > 2 UW pour les formes post-capillaires combinées
- L’hypertension pulmonaire d’effort : pente de la droite PAPm/débit cardiaque entre le repos et l’exercice > 3 mmHg/L/min.
Ainsi, on note, par rapport à 2015, une diminution du seuil des PAPm de 25 à 20, et des RVP de 3 à 2.
De plus, les gradients diastoliques et transpulmonaires ne sont plus retenus pour la définition des formes post-capillaires.
La classification en 5 groupes, elle, reste d’actualité (Figure 1).
Figure 1. Classification en 5 groupes de l’hypertension pulmonaire
Stratégie diagnostique
1. Une stratégie en 3 étapes
Chez les patients avec une dyspnée inexpliquée et/ou avec des symptômes évocateurs, la suspicion diagnostique de l’HTP doit se dérouler en 3 étapes (Figure 2).
- La suspicion clinique
- La détection, où l’échographie cardiaque joue un rôle prépondérant pour établir une probabilité d’HTP
- La confirmation en centre de référence de l’HTP en cas de probabilité intermédiaire à haute, via la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit.
Figure 2. Algorithme diagnostique de l’hypertension pulmonaire
2. Les nouveautés en screening
Malgré des progrès, le délai entre l’apparition des symptômes et le diagnostic est souvent supérieur à 2 ans, avec encore trop souvent la découverte de formes sévères.
Ainsi, le dépistage doit être renforcé chez les populations suivantes :
- Dépistage des patients asymptomatiques à haut risque : sclérodermie, mutation BMPR2, patient au premier degré d’une forme familiale d’HTAP, avant transplantation hépatique
- Dépistage plus précoce des patients symptomatiques suivants : infection par le VIH, connectivite (excepté la sclérodermie)
- Dépistage dans la population générale après une embolie pulmonaire et/ou dyspnée inexpliquée.
Ainsi, les patients avec une sclérodermie doivent :
- Bénéficier d’une évaluation annuelle à la recherche d’une HTAP (grade 1, B)
- En cas de sclérodermie diagnostiquée depuis > 3 ans, avec une capacité vitale fonctionnelle ≥ 40 % et une DLCO < 60 %, l’algorithme DETECT est recommandé pour identifier les formes asymptomatiques (grade 1, B)
- Bénéficier d’un cathétérisme cardiaque droit en cas de dyspnée inexpliquée afin d’exclure une HTAP (grade 1, C)
Concernant le dépistage des formes post-emboliques chroniques :
- Il est recommandé après une embolie pulmonaire après apparition d’une dyspnée ou limitation à l’effort (grade 1, C)
- En cas de dyspnée persistante à 3 mois d’une embolie pulmonaire anticoagulée, l’orientation vers un centre de référence est recommandée, après évaluation échographique et des peptides natriurétiques cardiaques (grade 1, C).
3. Les nouveautés en échocardiographie
L’échographie cardiaque transthoracique de repos, via la vitesse maximale du flux d’insuffisance tricuspide, reste la pierre angulaire du dépistage de l’HTP (Figure 3).
D’autres signes « évocateurs » doivent être ensuite recherchés. Contrairement à 2015, on note l’apparition du rapport TAPSE/PAPs < 0.55 mm/mmHg et du diamètre de l’artère pulmonaire supérieur au diamètre de l’aorte comme deux « nouveaux » signes évocateurs à rechercher (Figure 3).
Figure 3. Stratégie de dépistage basée sur l’échocardiographie
Hypertension artérielle pulmonaire (groupe I)
1. Stratification du risque
Après diagnostic dans un centre de référence, la stratification du risque (c'est à dire du risque de décès dans l’année) est la pierre angulaire de la prise en charge de l’hypertension artérielle pulmonaire car elle conditionne :
- Le pronostic
- La stratégie thérapeutique à initier
- Le suivi
Celle-ci est multiparamétrique (Figure 4) et permet d’établir la stratification du risque en 3 « strates » :
- Risque faible (< 5 % de risque)
- Risque intermédiaire (5 à 10 % de risque)
- Risque élevé (> 10 % de risque)
La stratification du risque doit être faite au moment du diagnostic, et, ensuite, lors de chaque suivi, avec pour objectif d’obtenir le plus de critères de bas risque possible.
Contrairement à 2015, on note l’apparition de nouvelles variables d’IRM cardiaque (FEVD, VESi, volume télé-systolique VD indexé), et d’une nouvelle variable hémodynamique (VESi).
Figure 4. Tables de stratification du risque en 3 strates, multiparamétriques
Une stratification du risque « non invasive » à 4 strates (risque intermédiaire divisé en haut et bas risques), uniquement basée sur la NYHA, le NTproBNP (ou BNP) et le test de marche des 6 minutes, peut être utilisée au suivi (Figure 5).
Figure 5. Stratification du risque non invasive, simplifiée
2. Stratégie thérapeutique
La stratégie thérapeutique découle directement de la stratification du risque (Figure 6).
- En l’absence de comorbidités cardiopulmonaires, les patients à risque faible ou intermédiaire doivent recevoir un traitement par bithérapie comprenant un inhibiteur de la phosphodiestérase 5 et d’un antagoniste des récepteurs de l’endothéline (classe I). Les patients à haut risque doivent recevoir une trithérapie (classe IIa) comprenant les traitements précédents associés à un analogue des prostacyclines (per os ou parentéral).
- La présence de comorbidités cardiopulmonaires doit faire débuter une monothérapie avec une réévaluation rapprochée (classe IIa).
Figure 6. Stratégie thérapeutique pour les patients porteurs d’une HTAP
3. Le suivi
Là encore, le suivi est conditionné par la stratification du risque. Le timing et le type d’examen à réaliser sont résumés dans la table ci-dessous (Figure 7).
Figure 7. Suivi des patients porteurs d’une HTAP.
Hypertension pulmonaire post-capillaire (groupe II)
La définition de l’HTP post-capillaire ayant été rappelée, les recommandations insistent sur le fait que :
- En cas de pathologie cardiaque gauche, l’optimisation du traitement de la cardiopathie est la première chose à faire avant de considérer le diagnostic d’HTP (classe I,A)
- Un cathétérisme cardiaque droit est recommandé en cas de suspicion d’HTP chez un patient porteur de cardiopathie gauche, uniquement si une décision thérapeutique en découle (classe I,C)
- Un cathétérisme cardiaque droit est recommandé chez les patients avec une insuffisance tricuspide sévère et avec ou sans cardiopathie gauche connue avant d’envisager une intervention (chirurgicale ou percutanée) (classe I,C)
- En cas de doute, l’adressage à un centre de référence de l’HTP est recommandé (Classe I,C)
- En cas de cardiopathie gauche et d’HTP post-capillaire combinée, sévère (RVP > 5 WU), un traitement ciblant la maladie vasculaire pulmonaire peut être recommandé au cas par cas (classe I,C)
- En cas de cardiopathie gauche et/ou multiples facteurs de risque cardiovasculaires et une PAPO borderline (13-15 mmHg), un « fluid challenge » est recommandé pour démasquer une HTP post-capillaire (classe IIb).
- Les traitements « usuels » de l’HTAP ne sont pas recommandés dans cette forme d’http (classe III, A)
Afin de ne pas multiplier inutilement les cathétérismes cardiaques droits, notamment chez les patients âgés et/ou avec de multiples facteurs de risque cardiovasculaires, il est important d’établir une probabilité pré-test d’HTP post-capillaire (Figure 8).
Figure 8. Probabilité pré-test d’une atteinte cardiaque gauche
Hypertension pulmonaire post-embolique chronique (groupe IV)
Dans ce domaine aussi, de nombreux progrès ont été faits, et l’algorithme diagnostique d’hypertension pulmonaire post-embolique chronique mis à jour (Figure 9).
Celui-ci insiste sur la nécessité de combiner l’échocardiographie et une imagerie de perfusion en cas de suspicion clinique avant l’adressage en centre de référence pour la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit et l’initiation du traitement.
Figure 9. Stratégie diagnostique pour l’HTP post-embolique chronique
Concernant la prise en charge, il faut noter que l’endartériectomie pulmonaire est recommandée en classe I chez un patient opérable.
Dans le cas contraire, et/ou s’il persiste des symptômes ou récurrence d’HTP en post endartériectomie, un traitement médical combiné à un traitement par angioplastie pulmonaire est recommandé (classe I) (Figure 10).
Là encore, l’importance de l’adressage des patients en centre expert et leur suivi rapproché est rappelée dans ces recommandations.
Figure 10. Stratégie de prise en charge de l’hypertension pulmonaire post embolique chronique
Pour en savoir plus, consultez les guidelines complètes, en langue anglaise, présentées lors de l'ESC 2022 : "2022 ESC-ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension"
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