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Le carnet de route de Thibaud Damy : de Vendôme à Tours

Publié le vendredi 18 avril 2025

Thibaud DAMY

Thibaud Damy

Créteil

La marche se poursuit vers Vendôme, le long du Loir, bordé de petits jardins de pêcheurs verdoyants et arborés. Le soleil brille généreusement. À Lisle, charmant village du Loir-et-Cher niché entre la rivière et la route départementale, deux journalistes venus de Paris me rejoignent pour mieux comprendre le sens de cette "dé-marche". Leur article sera cité dans la revue de presse radiophonique de France Inter le lendemain.

De longues discussions s’engagent, ponctuées d’arrêts pour approfondir certains points.

Absorbés par nos échanges, nous perdons le fil du GR655 et devons poursuivre un temps sur la route. L’arrivée dans le centre historique de Vendôme est saisissante : les monuments se reflètent dans les eaux tranquilles du Loir, les jardins publics dévoilent leurs vieux arbres majestueux et de jeunes tulipes écloses en quelques jours à peine, sous le soleil printanier.

Nous sommes chaleureusement accueillis par M. Thomas Guinamard, directeur de l’EHPAD « Bon Secours » de Vendôme. Le lendemain, je découvre l’établissement. Je suis touché par l’atmosphère qui y règne : des familles jouent aux cartes avec les résidents dès le matin, des enfants gardés par les aînés du béguinage s’amusent au cœur même de l’EHPAD, et le cuisinier, passionné, prépare lui-même les plats avec des produits majoritairement locaux. Les échanges avec les aides-soignantes et infirmières, libres et sincères, prennent le temps d’exister.

Un déjeuner délicieux, celui fait pour les résidents, est organisé avec la cellule éthique de l’établissement. La motivation du personnel, leur parole libérée et leur enthousiasme m’étonnent. Ce climat contraste fortement avec nos habitudes et le manque de temps qui pèse tant dans notre CHU. Ici, la mort n’est pas cachée, elle fait partie de la vie. De nombreuses actions sont entreprises pour diminuer l’impact de la mort sur les soignants et c’est bien nécessaire, car un tiers des résidents décèdent chaque année dans les EHPAD.

Témoignages des soignants de l’EPHAD

 

La réunion-débat débute ensuite à l’EHPAD, en présence du personnel, mais également du Dr Stéphane Brun, président de la CME du Centre Hospitalier Vendômois, et de sa directrice, Mme Valérie Boismartel. L’auditoire est réactif et bienveillant. La collaboration est très étroite avec les soignants du territoire. Ici, on se tient les coudes. 

À l’issue de mon témoignage, le Dr Brun, gériatre, me remercie avec émotion. Il souligne avec humilité combien il est important de briser le tabou de l’impact de la mort sur les soignants. Il partage son expérience, notamment durant la canicule prolongée et, bien sûr, pendant la pandémie de Covid-19.

Le soir, une nouvelle conférence a lieu au CH du Vendômois, en présence de Stéphane Brun, de la directrice et de soignants venus de disciplines diverses, de l’hôpital comme de la ville. Là encore, la parole se libère. Les idées émergent, les échanges nourrissent une volonté commune d’avancer sur ce sujet en lien avec la ville, le CH et l’EHPAD. Pari gagné ! Christine infirmière dans l’EPHAD avec une longue expérience en clinique témoigne de la modification du système de soin et de la course à l’acte qui l’a conduit à deux « burn-out ».

Témoignage de Christine infirmière 

Le lendemain, je reprends la marche, en direction de Tours, à travers la petite « Beauce », sur le plateau surplombant Vendôme. Le soleil m’accompagne tandis que je traverse champs de colza, de blé et terres fraîchement labourées. M. Guinamard « décélère » avec moi jusqu’à Prunay-Cassereau et, au hasard des chemins et des rencontres, nous visitons un élevage de poules qui produit 30 000 œufs par jour. Le lieu semblait tellement calme et désert entre deux champs, qu’il nous était impossible d’imaginer la présence de 30 000 poules dans ces deux bâtiments allongés. La consommation moyenne est de 275 œufs par habitant. Il faut bien nous nourrir ! Cela fait quand même écho aux propos de M. Guinamard et à son souhait de ne pas concevoir les EHPAD comme des ghettos, mais de les ouvrir sur la ville.

Le jour suivant, cap sur Vouvray. Le paysage évolue : les vignes remplacent peu à peu les cultures, le relief se dessine, les maisons se parent de tuffeau et d’ardoise, et les caves troglodytes percent les collines.

À midi, la pluie commence à tomber et ne cessera plus. Six heures plus tard, après 29,9 kilomètres, je suis trempé jusqu’aux os. Mes pieds pataugent dans mes chaussures. Il me faudra le dimanche entier pour sécher et ce qui me permettra de découvrir la belle ville de Tours.

Le lundi 14 avril a lieu l’intervention au CHU de Tours et à l’Université. Je suis accueilli avec chaleur par le Pr Anne Bernard, cheffe du service de cardiologie, et le Pr Thierry Bourgignon, chef du service de chirurgie cardiaque qui témoignera le lendemain au milieu de marche. Nous échangeons sur l’article paru dans Le Monde sur les conjoints et conjointes de soignants décédés qui portent plainte contre les membres des gouvernements. Nous ne pouvons nous empêcher de faire le listing des soignants qui se sont suicidés… ici aussi, il y en a.

La réunion dans le service est, là encore, vécue très positivement et se prolonge bien au-delà du temps prévu.

Il faut filer en urgence à l’Université Bretonneau où la conférence est introduite par le doyen, le Pr Denis Angoulvant.

 

Après mon témoignage, une historienne sociologue replace la mort dans l’histoire à travers l’analyse de peintures. L’une d’elles représente la douleur des familles d’antan confrontées à la mortalité infantile, où les enfants décédés apparaissent couchés (yeux fermés à la naissance, ouverts après) aux côtés des vivants, debout.

Dans ces temps anciens, la mort était plus présente, mais était également traumatisante. Elle cite la célèbre phrase de Michel de Montaigne : "Qui apprendrait les hommes à mourir, leur apprendrait à vivre". Oui évoquer notre mort permet de donner du sens à notre vie. Donatien Mallet et Anaïs Rouxel, engagés en soins palliatifs, insistent sur l’importance du corps dans l’accompagnement en fin de vie.

Les échanges sont vifs, profonds, sur la nécessité de former les plus jeunes – et les moins jeunes – à la gestion de la mort, à son accompagnement. Le témoignage de Karine, cardiologue de ville, est particulièrement touchant : il montre combien cet impact se vit aussi en médecine de ville.

Témoignage de Thierry Bourguignon 

Le lendemain, je quitte Saint-Avertin pour Sorigny, en traversant les forêts qui bordent Tours. Je passe au-dessus de la voie du TGV, filant à toute vitesse. Décélérer fait du bien. À Sorigny, je suis accueilli par Béatrice, son fils Marc, et leurs petits-enfants. Nous échangeons, et j’explique ma "dé-marche".

Marc me dit soudain : "Ce matin, j’ai entendu un médecin sur France Inter qui fait exactement ce que vous faites (pause)… mais c’était vous !" Rires partagés.

Le monde est décidément bien petit. Avant mon départ matinal, Béatrice – rare femme pilote d’ULM dans la région – évoque avec émotion les récents accidents d’ULM et d’hélicoptère survenus autour des aérodromes locaux. Malgré tout, elle continue à voler. Ses mots font écho à une discussion sincère que j’ai eue avec Thierry Bourgignon : il évoquait l’analogie entre chirurgie cardiaque et aviation, cette part de risque inévitable, et le fait que, tout comme le pilote ne rappelle pas tous les dangers avant chaque décollage, le chirurgien ne peut tout dire à chaque intervention. Mais peut-on, en médecine, faire ce même pari de confiance et de silence partiel avant le "vol", quand le vol est nécessaire pour sauver la vie ?

Témoignage de Thibaud Damy 

En Marche vers Poitiers et je repense aux événements et échanges de la veille, à suivre…

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