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Le carnet de route de Thibaud Damy : de Dampierre à Chartres
Publié le jeudi 3 avril 2025
Le dimanche 30 mars a marqué le départ de cette longue marche de 800 km à pied à travers la France, pour sensibiliser à l’impact de la mort sur les soignants. De la région parisienne à l’Occitanie, de Dampierre à Toulouse, je marcherai seul ou accompagné, porté par un message : mieux accompagner les patients en fin de vie, leurs familles, celles des patients décédés brutalement, et surtout ceux qui les soignent — car ils sont la clé de cette prise en charge. Le point de départ ne pouvait être plus symbolique : la maison d’Agnès Farrugia, directrice de l’Association Française Contre l’Amylose (AFCA), complice de tant de combats communs. Agnès a voulu marquer ce départ d’une surprise touchante : elle a invité des patients et des compagnons d’engagement. Touché en plein cœur.
Entre émotions, difficultés techniques inattendues et gestes de solidarité — comme la batterie offerte par Jérôme — j’ai fait mes premiers pas sur le GR655, devant le portail de sa maison.
Coïncidence troublante... mais il n’y a pas de hasard dans la vie. La forêt de feuillus au-dessus du château de Dampierre est magnifique. Quelle chance de commencer ce chemin par une si belle traversée. Le temps est bruineux, mais agréable. L’odeur de la forêt, des feuilles en décomposition, m’apparaît comme un parfum voluptueux et bienfaisant. Elle me change de celle de l’hôpital. Le rythme de la marche s’impose, les pensées affluent. Les patients que j’ai appréciés, partis trop tôt, leurs familles. Je savais qu’ils m’accompagneraient. L’émotion ressurgit.
Je pense à ma propre famille. Tristesse de les quitter. Tristesse pour eux, pour moi, mais la vallée de Chevreuse splendide avec ses forêts de chênes et de bruyères, ses blocs de grès sculptés par le temps, comme posés sur le sable gris me remet dans la beauté de la vie. Je monte peu à peu sur les plateaux argileux. Je progresse sur des chemins forestiers transformés par les engins agricoles en pédiluves boueux, qui engluent mes pieds. Je ne sais pas dans quel état j’arriverai chez mes premiers hôtes. Après plusieurs heures de marche et un déjeuner solitaire savouré sur un tronc de chêne, en admirant un faisan sauvage et non mon ordinateur, j’atteins la forêt de Rambouillet et cherche le cabinet de mon hôte qui est cardiologue, installé à Rambouillet.
Guillaume et Gwenaëlle Ricard, cardiologue et infirmière libéraux, m’y accueillent. Rambouillet, ville magnifique par son histoire, son dynamisme, sa forêt. Nous nous étions connus à l’HEGP, il y au moins un quart de siècle, nous sommes croisés quelques fois et avons gardé contact par les patients atteints d’amylose cardiaque que Guillaume nous réfère au centre de référence. Je suis reçu comme un roi. Un quart de siècle à rattraper autour d’un Saint-Émilion grand cru. Soirée inoubliable. Le lendemain, avant de repartir vers Maintenon, j’interviewe Guillaume et Gwenaëlle sur leur vécu de la mort en tant que soignants mais s’ajoute la passion de Guillaume pour l’HTA, un exemple à suivre. Témoignages sincères : Guillaume souligne l’importance du travail en équipe face à la mort, mais regrette de n’avoir eu qu’un seul stage sur ce sujet, sans formation réelle. Gwenaëlle, elle, a changé de service après un événement qui a mis à mal ses mécanismes de défense. Le déni, sans doute, a volé en éclats.
Témoignage de Guillaume & Gwenaëlle RICARD
Il fait beau. Le GR traverse les jardins du château de Rambouillet. L’herbe est d’un vert éclatant, les jonquilles se reflètent dans les pièces d’eau. Un héron s’envole. Et je pense que ce sujet de la mort va s’élever lui aussi. Quelques minutes plus tard, Camille Stromboni, journaliste au Monde, m’appelle pour finaliser son article. J’ai confiance en la vie. Même si, ce soir-là, je n’ai aucun lieu pour dormir. La CPTS du Chartrain, pourtant informée quelques jours plus tôt, n’a trouvé aucun soignant pour accueillir un cardiologue randonneur. Difficile de partager un moment d’humanité dans un désert médical.
Arrivé dans les champs au-dessus d’Épernon, je contacte l’association Saint-Jacques-du-28. Ils me trouvent, en quinze minutes, le gîte et le couvert. J’ai confiance en la vie. Le lendemain, mardi 1er avril, je reprends la route vers Chartres, à travers la Beauce baignée de soleil, les champs recouverts de colza en fleurs et de pousses de blé. J’adore cette sensation d’être minuscule dans cette immensité. Mais bientôt, je suis perdu : les marques rouge et blanche du GR ont disparu, effacées par les herses des tracteurs. Je suis au beau milieu de la Beauce. Mon genou gauche et ma hanche droite commencent à se faire sentir. Je distingue deux panneaux au loin. Je m’en approche : « Houx » à 3 km, et « Hanche » à 6 km. Je ris : « Où suis-je ? À trois kilomètres de Houx ?! ». Une coïncidence troublante. Mon esprit se met en action. Voilà, un poisson d’avril parfait. Je sors mon matériel vidéo et tourne le plus beau canular de ma vie : un cardiologue « En Marche », perdu dans la Beauce, est contacté par l’Élysée … Esprit carabin, quand tu nous tiens !
Thibaud perdu en pleine marche… et l’Élysée l’appelle !
Je partage la vidéo, la technique assure le montage à Reims. Elle est envoyée à mes proches, postée sur LinkedIn. Les groupes WhatsApp s’agitent, mes filles flairent la blague et s’interpellent. « Il n’a pas fait cela, quand même !». Mes collègues sont à fond. Et je découvre, non sans angoisse, que la vidéo a été transmise à leurs responsables, cadres, et au doyen de la fac. L’arroseur arrosé… Mais au final, ils sont désormais tous au courant de cette aventure, et de la nécessité de parler de l’impact de la mort sur les soignants passé sous silence depuis tant d’années.
Faut-il en rire ou en pleurer ? À mon avis, il faut juste avancer et quand le doute me prend sur la suite de cette aventure, je reçois un message sms d’un très vif soutien du Pr Michel Desnos, notre maître et chef de service de l’HEGP devenu académicien, me le confirme, je suis sur le bon chemin. Merci Michel ! Il n’y a pas de hasard dans la vie.
Chartres est en vue, à suivre…
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