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Le carnet de route de Thibaud Damy : de Chartres à Vendôme
Publié le vendredi 11 avril 2025
"À travers les champs de colza, jaune d’or, qui commencent à éclore, et les pousses vert tendre de blé qui finissent de germer, je vois poindre la cathédrale Notre-Dame de Chartres. Je pense immédiatement au poème de Charles Péguy sur cette cathédrale « La route de Chartres », décédé en 1914 sur les champs de la Marne, et que l’on cite beaucoup là où j’habite, car ma ville fut sa dernière demeure.
La première réunion-débat a lieu à l’hôpital le 4 avril, et je suis rejoint par Benjamin, cinéaste, pour mettre en images cette arrivée, cette première étape. Accueilli par Grégoire Rangé, nous visitons le service. Depuis les fenêtres du hall des ascenseurs à chaque étage, on patiente en observant la cathédrale qui pointe au-dessus des champs. Ici l’attente est un plaisir.
Soignants face à la mort : marchons ensemble pour changer les choses - Thibaud DAMY à Chartres
Après une introduction réalisée par le Dr Franck Albert, mon premier topo d’une longue série commence. Vais-je trouver les mots justes ? Je vois, au fur et à mesure, l’intérêt de ce partage, les émotions et sentiments se libérer, positifs ou négatifs. Les yeux, par moments, s’humidifient. Nous partageons nos vies de soignants. Oui, la mort, dans notre métier, est souvent présente, brutale, inattendue, pendant ou après une intervention, attendue ou peut même toucher un collègue, ici aussi. La parole est libérée. La seule issue est de briser cet isolement, de partager entre collègues nos émotions, et de se réparer ensemble pour rester debout et poursuivre collectivement notre passion, prendre soin des autres, mais sans s’oublier soi-même. Applaudissements. Remerciements. Il y avait un avant, il y aura un après. On espère un changement. On va s’améliorer. Merci d’être venu, d’être venu à pied.
Franck m’invite à faire une pause et à aller visiter la cathédrale avant la conférence. Magnifique cathédrale ! Puis la conférence se lance, organisée avec talent, avec une dizaine d’intervenants de toutes professions et de tout horizons. Entre 80 et 100 spectateurs. Plus de deux heures de présentation, la parole se libère, les émotions également. Enfin on parle librement de ce que l’on ressent — que cela fait du bien de pouvoir parler ! Oui, nous avons des émotions, et les accueillir, c’est mieux les gérer ; les partager, c’est mieux se réparer. Une psychologue réalise le dernier topo que je résumerai ainsi : S-O-S : Savoir ce qui se passe en nous, Oser agir, pour se Sauver soi-même en restant debout pour nous mais également pour les patients et nos collègues qui ont besoin de nous. Appeler à l’aide quand on est submergé, c’est possible et c’est même un devoir. Le don de soi ne doit pas être un oubli de soi. À la fin de la conférence, nous recueillons, avec nos collègues, beaucoup de témoignages en ce sens et de remerciements pour cette conférence.
Hébergé par Franck, nous partageons, nos liens se tissent, la fraternité se construit autour d’un « petit » verre de chartreuse. Avant de partir, Franck témoigne. Merci Franck et Catherine pour votre accueil si chaleureux.
Thibaud DAMY à Chartres : Conférence & Débat avec les soignants – Témoignages poignants
Puis il faut repartir. Courte journée. Je m’arrête à Thivars, chez Hervé Gorka, un des rythmologues de l’équipe. Nous nous étions connus à l’HEGP, il y a 21 ans. Accueil merveilleux par Hervé et Natacha, et partage avec deux de leurs enfants, étudiants en médecine, dont l’un déjà futur cardiologue. Nous partageons notre confrontation à la mort dès nos plus jeunes âges, alors que nos amis non médecins restent dans l’insouciance de leur jeune âge. La maison d’Hervé était sur le chemin — il n’y a pas de hasard dans la vie. Et c’est reparti vers Bonneval, la « Venise » de Beauce, puis Châteaudun, entre montées vers plateaux jaune d’or et vert tendre, et descentes dans les vallées le long du Loir, avec ses arbres, ses ombrages, et le flot de l’eau qui a alimenté tant de moulins désormais restaurés en maisons de vacances. Après 34 km de marche, arrivée à Châteaudun sous son château perché à flanc de colline et illuminé par les derniers rayons du soleil. Que cette vision est belle et hors du temps.
Le soleil brille depuis 10 jours, la nature explose. Le printemps est là, de multiples fleurs, partout, dans les bois, aux bords des chemins, illuminent mon chemin… L’esprit vagabonde, se répare. Mais les ampoules — pied droit puis pied gauche — me ramènent au prochain pas vers Bonneval, puis vers Châteaudun, puis Morée.
Je marche avec mon logo « Les Sûrvivants » sur le thorax et à l’arrière de mon sac à dos. Cela interpelle. Et, au hasard des rencontres avec les marcheurs, les riverains, nous partageons sur ce sujet : la mort, le soin, l’évolution du système de santé, les déserts médicaux (Lien vidéo 5). La parole des citoyens se libère. Je rencontre, à 50 km d’écart, deux couples qui viennent d’enterrer chacun un ami âgé suicidé, faute d’accès aux soins et de ne pouvoir être soulagé. On en est donc arrivé là ? Anne, psychomotricienne rencontrée au hasard du chemin témoigne du changement bouleversant du système de soin.
Accueilli par de multiples personnes m’ouvrant leur maison, me faisant visiter Bonneval et le Centre de psychiatrie dirigé par Henri Ey, un des pères de la psychiatrie moderne, nous avons des discussions poignantes, des partages de 30 ans de vie, où bien sûr la mort était présente : maladie de Charcot, accident de la route, mort subite, cette mort est bien présente et a guidé des trajectoires de vie. Oui, la mort fait partie de la vie. Pourquoi était-elle tant taboue dans notre société ? Elle donne sens à la vie. Discuter de ce sujet, c’est si rare. La parole se libère, le rythme ralentit, on s’écoute. Cela nous rapproche. Est-ce cela, la fraternité ?
La marche se poursuit, rejoint par deux journalistes de Paris qui veulent comprendre la démarche. Vendôme en vue, et c’est le clocher de l’abbaye de la Trinité qui se distingue au loin. Quelle belle ville, où l’eau — le Loir à nouveau —, son histoire, ses monuments en pierre taillée qui se reflètent dans cette eau, et ses rues piétonnes confèrent à cette ville une dimension plus humaine parce que l’on retrouve le plaisir de la marche et de la rencontre.
À suivre…"
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