Le risque cardiovasculaire résiduel : toujours présent et toujours d'actualité !

Pr Jean Ferrières
Fédération de cardiologie
Toulouse
Introduction
Peut mieux faire…
Dans cet article, Jean Ferrières dresse, de manière exhaustive, l’état des lieux du risque cardiovasculaire lié aux lipides.
Il y a d’une part les facteurs bien identifiés que nous pourrions mieux gérer et d’autre part ceux identifiés également mais que nous ne savons pas prendre en charge.
Constat d’échec ? Non, constat des « gaps » qui nous restent à combler et des progrès attendus.
Contexte
Le risque cardiovasculaire résiduel lié à l'athérosclérose semble se résumer aux yeux de tous au risque lipidique.
D'une part, on connait encore très mal les facteurs déclenchants de l'infarctus du myocarde, tels que les facteurs professionnels, les facteurs liés à la pollution atmosphérique, ou encore les facteurs associés à une maladie inflammatoire rhumatologique ou digestive.
D'autre part, l'athérosclérose vasculaire est liée aux 4 facteurs principaux bien connus, que sont le tabagisme, l'hypercholestérolémie, l'hypertension artérielle, et le diabète1. Tous les cardiologues qui pratiquent savent bien que l'on baisse souvent les bras chez un patient vasculaire qui continue à fumer et qui pourtant nous appelle à l'aide…
Nous passerons également sous silence les efforts énormes qui peuvent être faits sur le plan nutritionnel ou sur le plan de l'exercice physique, qui méritent tous les deux un accompagnement personnalisé par un professionnel de santé.
Si on part du postulat que le patient est traité correctement par une association statine à la dose maximale tolérée et ézétimibe, nous avons 5 axes d'amélioration du risque cardiovasculaire et donc de diminution du risque cardiovasculaire résiduel (Figure).
Il s'agit du risque cardiovasculaire résiduel lié au LDL cholestérol, du risque cardiovasculaire résiduel lié à la lipoprotéine (a), du risque cardiovasculaire résiduel lié au couple triglycérides élevés et HDL bas, du risque cardiovasculaire résiduel lié à l'état inflammatoire vasculaire, et du risque cardiovasculaire résiduel lié à l'état thrombotique.
1. le risque cardiovasculaire résiduel lié à l'état thrombotique
Ce risque peut être amélioré par une association aspirine et ticagrelor, comme cela a été démontré dans l'étude Pegasus2.
Le risque thrombotique peut-être également amélioré par une association aspirine et rivaroxaban, comme cela a été démontré dans l'étude Compass3.
2. Le risque cardiovasculaire résiduel lié à l'état inflammatoire vasculaire chronique
Ce risque n’est toujours pas résolu de manière définitive. Dans l'étude Jupiter, menée avec la rosuvastatine 20 mg par jour chez des sujets indemnes de maladie cardiovasculaire, mais ayant un taux de CRP élevé, il y a eu une amélioration du pronostic chez les patients traités avec la rosuvastatine 20 mg contre un placebo.
Le risque cardiovasculaire résiduel lié à l'inflammation chronique peut être également pris en charge par des médicaments liés aux interleukines, comme le canakinumab dans l’essai thérapeutique Cantos, ou avec des traitements plus simples mais néanmoins complexes comme la colchicine : cela a été montré dans les essais thérapeutiques Colcot et LoDoCo2.
3. Le risque cardiovasculaire résiduel lié au LDL cholestérol
Nous avons tous cru, en 1994, que l'avènement des statines allait tout régler vis à vis du LDL cholestérol. Dans l'étude 4S6, avec la simvastatine contre un groupe placebo, il y avait 22,6 % d'événements coronaires majeurs dans le groupe placebo contre 15,9 % d'événements coronaires majeurs avec la simvastatine : en d'autres termes, il reste 70,4 % des événements coronaires majeurs sous traitement par statine.
Dans l'étude TNT7, il y avait 10,9 % d'événements cardiovasculaires majeurs dans le groupe 10 mg d’atorvastatine et 8,7 % d'événements cardiovasculaires majeurs dans le groupe 80 mg d’atorvastatine ; il restait donc 79,8 % des événements cardiovasculaires majeurs dans le groupe 80 mg d’atorvastatine.
Ainsi, malgré l'augmentation de la puissance et de la dose de statine, la plupart des événements cardiovasculaires sont encore présents avec un traitement par statines bien conduit.
Il fallait donc imaginer de nouvelles voies thérapeutiques, telles que l'inhibition de l'absorption de cholestérol au niveau du tube digestif avec l’ézétimibe, ou une solution permettant un meilleur recyclage des récepteurs aux LDL, comme c'est le cas avec les anticorps monoclonaux anti-PCSK9.
L’essai thérapeutique Improve-It8 a permis de montrer l'efficacité clinique de l’ézétimibe dans la maladie cardio-vasculaire, et cette deuxième ligne de thérapeutique hypolipidémiante est devenue une obligation dans les recommandations et dans la pratique cardiologique.
Les anticorps monoclonaux anti-PCSK9 sont une découverte liée au hasard ! Une première famille ayant une mutation « gain de fonction » du gène de la synthèse de la protéine PCSK9 a été mise en évidence en France et 2 compagnies américaines ont permis la synthèse d'anticorps monoclonaux anti-PCSK9.
Deux études concurrentes et complémentaires ont été développées et ont réussi le pari : ce sont les études Fourier9 et Odyssey Outcomes10.
Depuis ces études, il n’y a désormais plus de limite inférieure pour le LDL cholestérol, et le bénéfice clinique est observé pour des valeurs aussi basses que 0,40 g/L pour le LDL cholestérol.
4. Le risque cardiovasculaire résiduel lié aux lipides est également en rapport avec des taux trop élevés de la lipoproteine (a)
La lipoproteine (a) est une LDL à laquelle est attachée une nouvelle apolipoprotéine, l’apolipoproteine (a). La lipoproteine (a) est au carrefour entre l'athérosclérose et la thrombose, elle a également un impact sur la valve aortique.
Nous avons étudié le pronostic vital et cardio-vasculaire de 4 930 patients du service avec un suivi 8,6 ans11. Les patients avec un LDL cholestérol supérieur à 4 mmol/L ont 2 fois plus de chances de mourir et 2,16 fois plus de chances de mourir de mortalité cardiovasculaire.
Les patients avec des valeurs de la lipoproteine (a) supérieures à 0,50 g/L ont 1,52 plus de chances de mourir et ont 2,58 plus de chances de mourir de décès cardiovasculaires.
Lorsque les patients ont à la fois une élévation du LDL cholestérol supérieur à 4 mmol/L et une élévation de la lipoproteine (a) supérieure à 0,50 g/L, nous avons montré une synergie entre les deux lipoprotéines avec un risque de décès cardiovasculaire 5,68 fois plus élevé.
À ce jour, la LDL aphérèse est le traitement le plus efficace vis à vis du risque cardiovasculaire lié à une élévation anormale de la lipoproteine (a).
Sur le plan de l’avenir, un oligonucleotide anti-sens a été développé, nous attendons les résultats de l'essai clinique à long terme pour savoir si cela modifie le pronostic clinique.
5. Le risque cardiovasculaire résiduel lié aux triglycérides et au HDL cholestérol
Dans la méta-analyse des essais thérapeutiques avec les statines comportant 90 056 patients12, le taux d'événements cardiovasculaires majeurs passe de 14,2 % dans le groupe avec un HDL-cholestérol supérieur à 1,1 mmol/L à 22,7 % dans le groupe avec un HDL-cholestérol inférieur à 0,9 mmol/L.
De manière récurrente, le HDL-cholestérol est un marqueur fondamental du risque cardiovasculaire résiduel. Par conséquent, il faut continuer à interpréter de manière très stricte le bilan lipidique. Aux soins intensifs, il ne faut pas laisser passer les patients dont le HDL-cholestérol est effondré et qui pourraient bénéficier de mesures thérapeutiques complémentaires telles que l'arrêt du tabac, l'amélioration de la diététique ou la pratique d'une activité physique régulière. C'est aussi l'occasion d'intensifier le traitement hypolipidémiant s'il n'est pas aux objectifs recommandés pour le LDL cholestérol.
Le couple triglycérides élevés et HDL-cholestérol bas fait l'objet d'une littérature médicale très abondante. Il n'est pas question de citer ici l'ensemble de ces études depuis plus de 20 ans ; par exemple, dans l'essai Prove-It13, le risque cardiovasculaire résiduel sous statines est modulé par les taux de triglycérides et de HDL-cholestérol. Dans le groupe ayant un LDL cholestérol supérieur à 70 mg/dl et des triglycérides supérieurs à 150 mg/dl, le risque d'événements coronaires récurrents après 1 mois est de 17,9 % ; ce risque passe à 16,5 % dans le groupe dont le LDL cholestérol est inférieur à 70 mg/dl avec des triglycérides supérieurs à 150 mg/dl. Le risque est de 15 % dans le groupe ayant un LDL cholestérol supérieur à 70 mg/dl et des triglycérides inférieurs à 150 mg/dl ; dans le groupe avec un LDL cholestérol inférieur à 70 mg/dl et des triglycérides inférieurs à 150 mg/dl, le risque est le plus bas avec un taux de 11,7 % soit une baisse de 28 % du risque d’événements coronaires.
Dans cette même étude, si l'on considère trois paramètres, la CRP inférieure à 2 mg/L, le LDL cholestérol inférieur à 70 mg/dl et les triglycérides inférieurs à 150 mg/dl, le risque d'événements coronaires récurrents diminue de 41 % si les trois paramètres sont aux valeurs les plus basses.
On pourrait résumer tout ce qui a été dit plus haut en prenant un patient coronarien du service que je suis régulièrement et pour qui on penserait bien contrôler le pronostic. Les thérapeutiques hypolipidémiantes comportent 80 mg d’atorvastatine et 10 mg d’ézétimibe ; le bilan biologique lipidique est le suivant : le cholestérol total est à 1,60 g/L, les triglycérides sont à 2,50 g/L, le HDL cholestérol est à 0,33 g/L, le LDL cholestérol est à 0,77 g/L et la lipoproteine (a) est à 0,68 g/L. On comprend ici, avec cet exemple pratique, plusieurs écueils de notre prise en charge. Pour les paramètres lipidiques, et par rapport aux objectifs thérapeutiques recommandés, le risque cardiovasculaire est élevé car le HDL-cholestérol est effondré, les triglycérides sont très loin de la valeur normale de 1,50 g/L et le LDL cholestérol est assez éloigné de la valeur de 0,55 g/L… Enfin, la lipoproteine (a) est au-dessus de 0,50 g/L.
Ainsi, on peut, face à ce cas clinique, rapidement résoudre le problème du LDL cholestérol. Par contre, on ne peut pas facilement résoudre le problème de la lipoproteine (a). Enfin, les chapitres suivants vont nous aider à résoudre le traitement du couple triglycérides élevés et HDL bas, ainsi que le risque thrombotique et inflammatoire.
Références
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