Quelle place pour les biomarqueurs cardiaques en cardio-oncologie ?

Pr Alain COHEN-SOLAL
Membre du CoDIR du GCO
Paris
Le rôle des peptides natriurétiques (BNP/NT Pro BNP) et de nécrose myocytaire (us TnI ou us TnT) a été largement exploré dans des situations variables telles que la prédiction du risque de dysfonction systolique VG ou du risque d’insuffisance cardiaque, notamment pour les patients traités par anthracyclines, anti HER 2 ou thérapies ciblées (anti VEGF, ou Inhibiteurs du protéasome).
La publication ESC 2022 de cardio-oncologie attribue une place importante aux biomarqueurs, différenciant, en fonction de la chimiothérapie administrée, sa place en amont ou au cours de la prescription d’une chimiothérapie.
Avant chimiothérapie
Faut-il faire un dosage des biomarqueurs cardiaques AVANT tout traitement anti-cancéreux ?
Certaines études ont montré qu’avant traitement, certains patients pouvaient présenter une élévation de la troponine ultra-sensible ou des peptides natriurétiques. Ces patients avaient un pronostic cardiovasculaire plus sévère que ceux qui avaient des peptides normaux.
Les peptides natriurétiques sont également intéressants avant l’instauration du traitement anti-cancéreux. Dans le myélome par exemple, les patients qui ont des taux de peptides natriurétiques augmentés avant un traitement par carfilzomib ont des complications cardiovasculaires 10 fois supérieures à ceux avec des taux normaux. De ce fait, le dosage des peptides natriurétiques est recommandé chez les patients à haut risque défini par le score HFA-ICOS avant traitement. Le niveau de preuve est cependant moins robuste pour les patients classés à bas risque ou à risque modéré selon le score HFA-ICOS. Dans l’étude CARDIOTOX, une augmentation initiale du NT-proBNP ou de la troponine cardiaque n’était pas associée au développement de complications cardiaques sévères ultérieurement.
De ce fait, avant un traitement cardiotoxique, l’ESC recommande une mesure initiale des peptides natriurétiques et/ou de la troponine cardiaque chez tous les patients cancéreux à risque de complications cardiovasculaires si ces biomarqueurs sont recontrôlés au cours du traitement pour détecter une toxicité cardiaque (recommandations de niveau Ic).
Faut-il faire un dosage des biomarqueurs cardiaques PENDANT l’administration d’un traitement anti-cancéreux ?
Anthracyclines
En ce qui concerne la toxicité cardiaque des anthracyclines et les biomarqueurs, il est recommandé un dosage avant traitement des peptides natriurétiques et de la troponine cardiaque chez les patients à très et haut risque (recommandations de classe Ib), selon la classification HFA-ICOS.
Ces mesures sont recommandées, mais avec un niveau de preuve plus bas, IIaC, chez les patients à risque faible ou modéré.
Le monitoring de ces biomarqueurs avant chaque cycle d’anthracyclines, et 3 et 12 mois après chaque fin de traitement, est très largement recommandé chez les patients à haut et très haut risque (recommandations IB) (figure 1).
Ce monitoring doit être réalisé tous les deux cycles de traitement par anthracyclines, et dans les 3 mois suivant la fin du traitement chez les patients avec risque modéré ou faible qui reçoivent une dose cumulative de doxorubicine équivalente ou supérieure à 250 mg/m² (recommandations IIaC).
Enfin, le monitoring de ces peptides tous les deux cycles de traitement par anthracyclines, et dans les 3 mois après fin du traitement, peut être considéré chez les patients à faible risque (recommandation IIb, C).
Anti-HER2
La surveillance par les biomarqueurs d’un traitement par anti HER2, type trastuzumab, est moins bien codifiée que pendant ou après un traitement par anthracyclines.
Il est suggéré de mesurer la troponine cardiaque chez des patients avec cancer du sein traité par anthracyclines avant de débuter un traitement par trastuzumab, car une augmentation de la troponine dans ces conditions oblige à identifier les patients à haut risque de complications cardiaques. Dans ce cas-là, des mesures des peptides natriurétiques semblent plus sensibles que la troponine cardiaque pour prédire une baisse ultérieure de la FEVG sous traitement par trastuzumab.
De ce fait, la mesure des peptides natriurétiques et de la troponine est recommandée chez les patients à haut et très haut risque avant un traitement par trastuzumab (recommandation IC).
Leur surveillance, tous les 2 ou 3 cycles pendant le traitement, et 12 mois après la fin du traitement, doit être considérée chez les patients à haut et très haut risque et chez les patients HER2+ EBC (recommendation IIa C).
Chez les patients avec un risque faible ou modéré, après traitement par anthracyclines mais avant traitement par trastuzumab, le dosage de troponine cardiaque doit être considéré (recommendation IIa A).
Le monitorage de ces peptides à l’état initial ,et tous les 3 et 12 mois après la fin du traitement, peut être considéré chez les patients à risque modéré HERII+ 2BC (recommandations IIbC).
Inhibiteurs du VEGF
Chez les patients recevant un inhibiteur du VEGF, on peut envisager un dosage initial des peptides natriurétiques, et ensuite tous les 4 mois durant la première année de traitement, chez les patients à risque modéré (recommandations IIb C).
Chez les patients à haut et très haut risque recevant un inhibiteur VEGF, ce dosage doit être considéré initial, 4 semaines après le début du traitement, et tous les 3 mois durant la première année (recommandations IIa C).
Myélome
Dans le myélome, la mesure des peptides natriurétiques est recommandée avant un traitement par inhibiteur du protéasome chez les patients à haut et très haut risque (recommandations I C).
Ce dosage doit être considérée avant traitement chez les patients à risque faible ou modéré (recommandations IIa C).
Chez les patients qui reçoivent du carfilzomib ou du bortezomib, la mesure des peptides natriurétiques est considérée au repos et à tous les cycles durant les 6 premiers cycles (recommandations IIaB).
Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "L’essentiel des recommandations ESC 2022 en cardio-oncologie par le groupe de cardio-oncologie de la SFC"