L’alpha et l’oméga de la prévention

Mis à jour le vendredi 21 octobre 2022
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Dr François Paillard

Dr François Paillard
Centre de prévention cardiovasculaire
Rennes

Introduction

La supplémentation en oméga 3 serait-elle le nec plus ultra de la prévention cardiovasculaire ? En tous cas, c’est ce que suggèrent les recommandations incitant à une supplémentation sous forme alimentaire, en consommant notamment des poissons gras ou des compléments alimentaires.

Or, une méta analyse Cochrane en 20201 montre que l’augmentation de l’EPA et de la DHA n’a qu’un effet limité sur la mortalité et les évènements cardiovasculaires.

Elle aurait néanmoins un effet bénéfique sur le risque de décès d’origine coronaire et sur les évènements coronaires en général…

Pour démêler le vrai du faux ! 

Contexte

L'intérêt d'une consommation régulière de poisson et produits de la mer en prévention cardiovasculaire est bien documenté dans de nombreuses études épidémiologiques.

Au cours des dernières années, des avancées importantes en recherche fondamentale, et les résultats très positifs d'études cliniques, ont apporté un éclairage nouveau sur l'intérêt d'un acide gras oméga-3 spécifique, l’EPA (acide eicosapentaénoique).

Que sont les oméga-3 ?

La famille des acides gras polyinsaturés (AGPI) oméga 3 constitue, avec les AGPI omega-6, l’une des 2 grandes familles d’AGPI. Les composés de ces 2 familles sont en compétition pour des enzymes impliquées dans la désaturation et l’élongation des chaînes d’acides gras.

Les composés à longue chaîne de ces 2 familles sont à l’origine de nombreux médiateurs de grande importance pour la physiologie et la physiopathologie cardiovasculaires.

Les oméga-3 à longue chaîne sont essentiellement l’EPA (C20 :5 n-3) et le DHA (C22 :6 n-3).

Les apports nutritionnels conseillés en EPA et DHA sont de 250 mg x 2 par jour.

Ces oméga-3 à longue chaîne ont pour source principale les poissons gras et les produits de la mer. Par l'alimentation, on peut apporter jusqu'à 1 g/jour d’oméga-3 à longue chaîne. Pour des apports supérieurs, il faut recourir à une supplémentation de type pharmacologique.

Effet des Omega-3 sur la physiologie cardiovasculaire2

  • EPA et DHA ont tous deux un effet hypotriglycéridémiant (- 15 à - 20 %) à forte posologie (2-4 g/j). La baisse du non-HDLc était plus importante avec l'EPA pur dans l'étude REDUCE-IT3 (Cf ci-dessous) qu'avec l'association EPA + DHA (étude STRENGHT4) : - 13 % vs - 5 %.
  • Ils baissent la fréquence cardiaque de repos et d'effort et ont démontré des effets de prévention des arythmies ventriculaires, en particulier dans des modèles animaux.
  • Ils ont un effet de baisse mineure des chiffres tensionnels.
  • Ils ont des propriétés antithrombotiques.
  • Enfin, ils ont un effet anti-inflammatoire au niveau artériel qui a été beaucoup mieux documenté au cours des dernières années.

Les oméga-3 sont à l’origine d’importants médiateurs de la physiologie cardiovasculaire, en particulier des prostaglandines et des leucotriènes. Les médiateurs issus des oméga-3 réduisent l'effet pro agrégant plaquettaire des dérivés de l'acide arachidonique, de la famille « rivale » constituée par les oméga-6.

Les oméga-3 sont également des précurseurs de médiateurs lipidiques qui participent activement à la résolution de l'inflammation : les résolvines5. Au sein de la plaque d'athérosclérose, la « stabilité » est assurée par un équilibre entre les facteurs pro-inflammatoires, que représentent notamment les lipoprotéines athérogènes, et les résolvines anti-inflammatoires générées à partir des oméga-3. Cette stabilité peut être compromise en présence d'un excès de lipoprotéines et de médiateurs proinflammatoires, ou au contraire lorsqu'il existe un déficit des défenses anti-inflammatoires représentées par les résolvines, notamment si l’apport en oméga-3 est insuffisant.

Des différences entre EPA et DHA ?

  • Vis-à-vis des paramètres lipidiques, l'effet hypotriglycéridémiant est similaire : environ - 20 % avec des fortes posologies d’EPA et DHA, 4 g/jour.
  • Les marqueurs d'inflammation comme la CRP US, la LP-PLA2 et les LDL oxydées sont diminués après 12 semaines de fortes posologies d’EPA, 4 g/jour.
  • L'oxydation des LDL est réduite de façon dose dépendante en présence d’EPA5 et cet effet n'est pas retrouvé en présence d'autres agents hypotriglycéridémiants comme les fibrates. Par contre, cet effet de protection d’EPA vis-à-vis de la peroxydation lipidique se potentialise avec celui des statines, ce qui contribue à diminuer la dysfonction endothéliale associée à l’athérosclérose.
  • Les oméga-3 s'intègrent dans la bicouche membranaire phospho lipidique, mais de façon différente en raison de leurs propriétés physicochimiques:
    • L’EPA s’incorpore de façon régulièrement ordonnancée dans la membrane grâce à ses propriétés physicochimiques, ce qui lui permet de concourir à bloquer les radicaux libres et leur progression intra membranaire, exerçant ainsi un effet antioxydant.
    • Le DHA subit des modifications de conformation dans la membrane, qui favorisent la fluidité, en particulier au niveau des neurones. Par contre, ces propriétés vont favoriser la constitution de domaines membranaires riches en cholestérol, davantage susceptibles de subir l'oxydation.
    • Des modèles cellulaires ont montré que cet effet de protection membranaire vis-à-vis de la constitution de domaines riches en cholestérol était spécifique de l’EPA et de façon dose dépendante.

Relation avec les études cliniques

Ces propriétés différentes entre EPA et DHA peuvent expliquer les résultats divergents d'études cliniques.

L'étude REDUCE-IT3 a évalué l’effet de la supplémentation en EPA 4 g/jour par rapport à un placebo (huile minérale) chez des sujets à très haut risque cardiovasculaire (dont 70 % avec une maladie cardiovasculaire avérée) ayant une hypertriglycéridémie modérée (1,5 à 5 g/l) et un LDLc < 1 g/l. La supplémentation en EPA a entraîné une réduction de 25 % des événements cardiovasculaires majeurs.

Des résultats similaires avaient été observés dans l'étude japonaise JELIS (étude randomisée mais non contrôlée) avec également de l’EPA pur.

Au contraire, l'étude STRENGHT4, qui proposait également une forte posologie d'oméga-3, 4 g/jour, mais sous forme d’une association EPA + DHA (donc en pratique près de 50 % d’EPA en moins), n'a montré aucun bénéfice cardiovasculaire chez des patients dont le profil était similaire à celui des patients de l'étude REDUCE-IT.

Or les études EPA pur (REDUCE-IT et JELIS) résultaient en une concentration plasmatique d’EPA qui était environ le double de celle observée dans l'étude STRENGHT.

Des études avec EPA forte dose 4 g/jour, en association avec une statine, ont également montré une évolution favorable (régression) des plaques d'athérosclérose au niveau coronaire, avec une diminution des plaques non calcifiées riches en lipides, ce qui n’a pas été le cas dans des études associant EPA et DHA.

Quelles recommandations pour les oméga-3 ?

En prévention primaire, la consommation de poisson est encouragée, à raison de 2 repas hebdomadaires de poisson (dont un avec du poisson gras). Cette consommation est associée à une baisse moyenne du risque d'événements coronaires d'environ 16 %.

Au contraire, les sujets qui ne consomment pas de poisson ou en très faible quantité sont à plus haut risque.

En prévention secondaire, sur la base des études récentes, la prescription de fortes posologies d’EPA pur (4 g/jour) peut être envisagée chez les sujets à très haut risque conservant une hypertriglycéridémie modérée (1,5 – 5 g/l), en association avec une statine (recommandation ESC 2019 de classe IIa)6.

Références

  1. Abdelhamid AS, Brown TJ, Brainard JS, Biswas P, Thorpe GC, Moore HJ, Deane KHO, Summerbell CD, Worthington HV, Song F, Hooper L. Omega-3 fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database of Systematic Reviews 2020, Issue 3. Art. No.: CD0031
  2. Mozaffarian D, Wu JH. Omega-3 fatty acids and cardiovascular disease: effects on risk factors, molecular pathways, and clinical events. J Am Coll Cardiol. 2011, 58:2047-67
  3. Bhatt DL, Steg PG, et al. Cardiovascular risk reduction with Icosapent Ethyl for hypertriglyceridemia. N Engl J Med 2019; 380:11e22
  4. Nicholls SJ, Lincoff AM, Garcia M, et al. Effect of high-dose omega-3 fatty acids vs corn oil on major adverse cardiovascular events in patients at high cardiovascular risk: the STRENGTH randomized clinical trial. JAMA 2020;324:2268e80
  5. Mason RP: New Insights into Mechanisms of Action for Omega-3 Fatty Acids in Atherothrombotic Cardiovascular Disease. Curr Atheroscler Rep : 2019, 21: 2
  6. The Task Force for the management of dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and European Atherosclerosis Society (EAS) : 2019 ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias. Eur Heart J 2020, 41:111-188

 

 

Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Risque résiduel et prévention cardiovasculaire - actualités à l’ESC 2022"

 

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