Organisation des laboratoires de cathétérisme cardiaque pendant la pandémie de Coronavirus, par le Conseil interventionnel de l'American College of Cardiology (ACC) et par la Society for Cardiovascular Angiography and Interventions (SCAI)

Sélectionné dans JACC par Othmane Benmansour, François Deharo

Mis à jour le mardi 7 avril 2020
Othmane Benmansour
Othmane Benmansour (CCF, Tour)
François Deharo
François Deharo (CCF, Marseille)
GCF

 

Relecture par Vassili Panagides (CCF, Marseille).

Auteurs :
Welt FGP, Shah PB, Aronow HD, Bortnick AE, Henry TD, Sherwood MW, Young MN, Davidson LJ, Kadavath S, Mahmud E, Kirtane AJ.

Référence :
JACC. Doi/10.1016/j.jacc.2020.03.021

Date de publication :
16 Mars 2020

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Le résumé de Othmane Benmansour, François Deharo

Points clés

  • Différer toute procédure interventionnelle non urgente sous réserve qu’elle n’engage pas le pronostic du patient.
  • En cas de syndrome coronarien aigu avec sus décalage du segment ST (STEMI) :
    • Envisager une fibrinolyse pour les patients COVID 19 + stables.
    • Concernant les patients COVID 19+ ou suspects de l’être qui bénéficieront d’une procédure interventionnelle, cette dernière est envisageable sous réserve de la mise en œuvre de mesures de protection du personnel soignant sans attendre les résultats d’un éventuel test de diagnostic viral.
  • En cas de syndrome coronarien sans sus décalage du segment ST avec infarctus du myocarde (NSTEMI) :
    • Chez les patients instables : la conduite à tenir est identique à celle du STEMI.
    • Si le patient est suspect d’être COVID19 + : un test diagnostic viral par PCR doit être réalisé avant toute prise en charge.
    • Si le patient est COVID19+, il est recommandé d’envisager en première intention une prise en charge médicale non invasive. La durée d’hospitalisation doit être la plus courte possible avec un rôle capital de la télémédecine pour le suivi.
  • En cas d’intubation, d’aspiration nasotrachéale ou de réanimation cardiopulmonaire : réaliser ces actes à risque d’aérosolisation avant l’arrivée en salle de cathétérisme dans la mesure du possible.
  • Concernant les mesures de protection :
    • Tout patient COVID19+ ou suspect de l’être doit porter un masque chirurgical.
    • Les mesures de protection du personnel soignant avec équipement adapté doivent être respectées.
    • Consignes accompagnées de formations nécessaires quant à l‘habillage et au déshabillage.

L’infection à SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2), appelée COVID-19 (coronavirus disease 2019) a pris naissance en décembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine. Désormais déclarée comme pandémie depuis mars 2020 par le « World Health Organization », cette infection exerce sur le système de santé une pression inédite et exige des adaptations permanentes et actualisées.

Il s’agit d’une situation nouvelle pour laquelle peu de données sont disponibles, notamment sur l’attitude à adopter dans les salles de cathétérisme cardiaque.

Il est cependant important de noter que les précédentes épidémies par le MERS et le SARS ont apporté certaines informations pertinentes sur les risques rencontrés notamment en lien avec la haute contagiosité et aux atteintes respiratoires (1).

Le Conseil Interventionnel du Collège de Cardiologie Américain (ACC Interventional Council) ainsi que la SCAI (Society for Cardiovascular Angiography and Interventions) propose un guide des conduites à tenir dans les laboratoires de cathétérisme durant cette période.

Sélection des patients avec une indication de cathétérisme cardiaque

  • Prise en charge des patients ne présentant pas d’indication urgente 

Aux États-Unis, de nombreux établissements ont déjà placé un moratoire sur les procédures électives au sein des laboratoires de cathétérisme afin de préserver les ressources et d’éviter l'exposition des patients à l'environnement hospitalier où le COVID-19 peut être plus répandu. Cela semble certainement prudent dans les régions où la maladie est très présente.

En toute circonstance, pour préserver la capacité des lits d'hôpitaux, il semblerait raisonnable d'éviter des procédures électives chez les patients présentant des comorbidités importantes ou chez qui la durée prévue de séjour excèderai une à deux journées (ou devrait nécessiter un passage en unité de soins intensifs).
La prise en charge d’un angor stable, d’une artériopathie des membres inférieurs chez un patient claudicant non urgente, d’une fermeture de FOP en sont des exemples.

L’attitude doit être éclairée par le jugement clinique des praticiens de manière à ce que le report ne soit pas une perte de chance pour le patient.

  • Prise en charge des patients présentant un syndrome coronarien avec sus décalage du ST (STEMI) 

Un récent rapport issu de littérature chinoise évoque l’utilisation de tests de diagnostic COVID-19 rapides puis d’un recours à la fibrinolyse systémique (2). C'est une méthode controversée en particulier aux États-Unis où la coronarographie primaire est le « gold standard » pour les patients présentant un STEMI. D’autant plus que l'accès aux tests rapides est très limité.

Cependant, chez les patients COVID-19 confirmés et présentant un STEMI, l'équilibre entre le risque d’exposition et de contamination du personnel et les bénéfices potentiels pour le patient doivent être pesés avec soin.

La fibrinolyse peut donc être considérée comme une option pour les patients présentant un STEMI relativement stable avec un test COVID-19 positif.

Chez les patients présentant une infection active à SARS-CoV-2 et chez qui une coronarographie primaire doit être effectuée, un équipement de protection individuel approprié doit être porté par l’opérateur, y compris une blouse, des gants, des lunettes (ou boucliers) et un masque FFP2 (N95), notamment en raison de la capacité limitée de récupérer les antécédents des patients dans ce contexte ainsi que le risque de détérioration clinique dans les cas de STEMI (avec nécessité d’intubation et donc risque d’exposition direct).
L’ACC propose également l’utilisation de systèmes de respirateurs à air filtré (PAPR), en particulier pour les patients qui sont à risque de régurgitation (ex : STEMI inférieur), ou ceux qui nécessiteraient une Réanimation Cardio-Pulmonaire (RCP) et/ou une intubation. Malheureusement, ces systèmes ne sont pas disponibles en France dans les services hospitaliers classiques.

Il est important de noter que la majorité des laboratoires de cathétérisme ont des systèmes d’aération à pression normale ou positive et ne sont pas conçus pour l'isolement et la prise en charge des patients à risque infectieux. Par conséquent, les laboratoires de cathétérisme nécessiteront un nettoyage suivant les protocoles d’aseptisation spécifique au COVID-19 entraînant des retards prévisibles pour les procédures suivantes.

  • Prise en charge des patients présentant un syndrome coronarien sans sus décalage du ST (NSTEMI)

Pour les patients suspects de COVID-19, il est le plus souvent possible de réaliser un test viral de diagnostic par PCR avant la procédure, et ainsi permettre une décision plus éclairée concernant le contrôle des infections. La durée d’hospitalisation suivant le geste doit être la plus courte possible. La télémédecine prend une place capitale pour le suivi de ces patients.

Pour les patients présentant un NSTEMI et dont l’infection à COVID-19 est confirmée, un traitement médical non invasif doit être envisagé en cas de stabilité hémodynamique compte tenu du nombre élevé d’infarctus de type 2. En effet, une atteinte myocardique est observée chez 7% des patients présentant une infection à SARS-CoV-2 avec une proportion importante d’infarctus de type 2 ou de myocardites (3).

Des efforts devraient être faits pour essayer différencier les infarctus de type 2 et les syndromes coronariens aigus « primaires » en raison de la possibilité du report de la prise en charge invasive dans le premier cas, surtout si le patient est hémodynamiquement stable.

Les patients présentant un NSTEMI à très haut risque et dont l’instabilité est due au syndrome coronarien aigu doivent être évalués et pris en charge de la même manière qu’un STEMI.

  •  Prise en charge des patients nécessitant une intubation, une aspiration orotrachéale ou une réanimation cardiopulmonaire (RCP) 

Intubation, aspiration orotrachéale et RCP entraînent un risque élevé d’aérosolisation des sécrétions respiratoires augmentant la probabilité d’exposition du personnel.

Les patients déjà intubés, quant à eux, présentent moins de risques de transmission pour le personnel étant donné que leur ventilation se déroule dans un circuit fermé.

Les patients avec COVID-19 ou suspects de l’être et nécessitant une intubation doivent être, dans la mesure du possible, intubés avant l’arrivée au laboratoire de cathétérisme. Par ailleurs, les indications d’intubation chez un patient avec statut respiratoire précaire doivent être évalués en fonction du bénéfice risque afin d’éviter au maximum une intubation en salle de cathétérisme.

Enfin, en cas d’impossibilité de recourir à une intubation, l’utilisation de machines BIPAP (VNI) en circuit fermé est possible.

Une coordination rapprochée entre les équipes de soins intensifs et d’anesthésie/réanimation pour la gestion des voies aériennes sera indispensable afin d’éviter la propagation de l’infection.

Affectation des ressources et protection des équipes de santé

Afin d’optimiser les ressources et le personnel, le nombre d’examens de cathétérisme cardiaque devrait être diminué (par exemple : report des cas électifs) et/ou diminuer le nombre d’équipes médicales et paramédicales présentes afin d’anticiper un futur manque de personnel.

Cette réduction d’effectif est corrélée au risque de contamination / exposition / mise en quarantaine ainsi qu’à l’impact indirect de l’épidémie sur le personnel dû aux fermetures d’écoles qui mettront à mal les ressources des foyers, des personnes à charge et des services de garde.

Il est conseillé de séparer les personnels surspécialisés, afin d’éviter un chevauchement des compétences (par exemple, éviter que deux cardiologues interventionnels soient dans le même zone de soins simultanément).

Étant donné le risque infectieux lié au transport de patients dans les salles de cathétérisme, certaines procédures habituellement effectuées en salle devraient, si possible, être réalisées au lit du patient. Exemples : placement de cathéter de Swan Ganz, péricardiocentèse et insertion de ballon de contre-pulsion intra-aortique.

Étant donné la nécessité d’aseptiser le laboratoire à la suite des procédures des patients infectés, les examens pour les patients positifs ou suspects de l’être devraient être effectuées à la fin du programme opératoire si possible.

Pour les patients dont l’infection est confirmée, la restriction des cas à une seule salle de cathétérisme dédiée peut être une possibilité en fonction des ressources locales.

Protection des travailleurs de la santé et des équipements de protection individuelle (EPI)

Tout le personnel du laboratoire de cathétérisme doit être formé à l’utilisation des masques et des équipements de protection individuelle, y compris la protection des yeux.

Tous les directeurs de laboratoire de cathétérisme et les gestionnaires devraient travailler en étroite collaboration avec leur groupe institutionnel de lutte contre les infections (Hygiéniste) afin d’assurer une disponibilité et une formation adéquate à l’utilisation de cet équipement.

Idéalement, pour les patients COVID-19, connus ou soupçonnés de l’être, devant se présenter au laboratoire, le patient doit porter un masque chirurgical et toute l’équipe de laboratoire doit revêtir l’EPI (de préférence en suivant les précautions « Air » étant donné le risque d’aérosolisation en cas d’intubation / aspiration / RCP).

En plus de la pénurie connue de masques FFP2 (N95), de nouveaux rapports font état de pénuries de blouses, de gants et de masques chirurgicaux. Cela justifie d’autant plus le report des cas programmés et une réduction du personnel présent pendant les procédures. Ceci est particulièrement pertinent pour les établissements d’enseignement où plusieurs médecins sont présents au cours des interventions.

Nécessité d’information en continue

À mesure que la communauté médicale acquiert des connaissances sur cette infection nouvelle et de progression rapide, nous devons créer des voies de communication et de collecte des données, pour diffuser rapidement ces informations afin de mieux prendre soin de nos patients et protéger les professionnels de la santé.

Bibliographie 

1.   Tsui K-L, Li S-K, Li M-C, Chan K-K, Leung T-C, Tse T-S, et al. Preparedness of the cardiac catheterization laboratory for severe acute respiratory syndrome (SARS) and other epidemics. J Invasive Cardiol. 2005 Mar;17(3):149–52.

2.   Zeng J, Huang J, Pan L. How to balance acute myocardial infarction and COVID-19: the protocols from Sichuan Provincial People’s Hospital. Intensive Care Med [Internet]. 2020 Mar 11 [cited 2020 Mar 29]; Available from: https://doi.org/10.1007/s00134-020-05993-9

3.   Clinical Characteristics of 138 Hospitalized Patients With 2019 Novel Coronavirus–Infected Pneumonia in Wuhan, China | Critical Care Medicine | JAMA | JAMA Network [Internet]. [cited 2020 Mar 29]. Available from: https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2761044

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