COVID-19 et système cardiovasculaire

Sélectionné dans Nature Reviews Cardiology par Antonin Trimaille

Mis à jour le mercredi 22 avril 2020
Antonin Trimaille

 

Par Antonin Trimaille (CCF, Strasbourg).

 

Relecture par Guillaume Bonnet (CCF, Paris).

Collège des Cardiologues en Formation

Auteurs :
Zheng YY, Ma YT, Zhang JY, Xie X

Référence :
Nat Rev Cardiol. 2020 Mar 5 [Epub ahead of print]

Date de publication :
Mars 2020

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Le résumé de Antonin Trimaille

 Points clés :

  1. Le récepteur fonctionnel du SARS-CoV-2 est l’ACE2, une enzyme de contre-régulation du système rénine-angiotensine exprimée dans le myocarde ;
  2. Les patients avec comorbidités vasculaires représentent une part importante des cohortes infectées dans les premières données publiées et leur présence semble aggraver la sévérité de la maladie ;
  3. Le virus a des effets cardiaques aigus avec possibilité d’une souffrance myocardique dont le mécanisme reste à élucider (atteinte myocardique directe via l’ACE2, atteinte myocardique indirecte d’origine coronaire) ;
  4. Les virus de la famille des coronavirus sont connus pour avoir des effets cardiovasculaires chroniques passant par une perturbation du métabolisme lipidique ;
  5. La plupart des médicaments spécifiques actuellement testés dans le traitement de l’infection possèdent des effets indésirables cardiovasculaires potentiellement graves.

L’infection à SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2), appelée COVID-19 (coronavirus disease 2019) a pris naissance en décembre 2019 dans la région de Wuhan en Chine. Elle est à l’origine de pneumonies potentiellement mortelles et s’est propagée à l’échelle mondiale au point de devenir une pandémie.

Bien que les manifestations cliniques soient dominées par des symptômes respiratoires pouvant aller jusqu’au SDRA (syndrome de détresse respiratoire aigu), le virus a un double impact cardiovasculaire : d’une part l’infection sera plus intense si l’hôte possède des comorbidités cardiovasculaires sévères et, d’autre part, le virus peut par lui-même causer des lésions cardiovasculaires potentiellement mortelles.

Interaction entre COVID-19 et système cardiovasculaire

L’enzyme de conversion 2 (ACE2) est une métalloprotéinase homologue à l’enzyme de conversion qui a pour effet de convertir l’angiotensine II (8 acides aminés) en angiotensine (1-7) (Ang1-7, 7 acides aminés). L’Ang1-7 a une activité opposée à celle de l’Ang II car elle possède des effets vasodilatateurs, anti-prolifératifs et pro-apoptotiques. L’ACE2 est ainsi considérée comme une enzyme de contre-régulation de l’enzyme de conversion et joue un rôle en physiologie dans la régulation de la fonction cardiaque et en pathologie dans l’hypertension artérielle et le diabète (1).

L’ACE2 a été identifiée comme un récepteur fonctionnel pour les coronavirus (SARS-CoV et SARS-CoV-2) (1). Elle est fortement exprimée dans le myocarde et les poumons. Le coronavirus possède des protéines lui permettant de se lier spécifiquement à l’ACE2 et d’envahir ainsi les cellules épithéliales alvéolaires à l’origine des symptômes pulmonaires. A noter qu’une étude récente a également montré son expression dans les cellules épithéliales de la muqueuse buccale (2).

Infection à COVID-19 chez des patients avec pathologies cardiovasculaires

Une méta-analyse de 2016 avait montré qu’un patient avec une pathologie cardiovasculaire préexistante était plus à risque d’être infecté par le MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus, un virus très virulent de la même famille que le SARS-CoV-2) (3). Parmi les patients infectés avec des symptômes considérés comme sévères, près de 30% avaient une cardiopathie sous-jacente. Les patients cardiovasculaires sont aussi largement concernés par l’infection par le COVID-19 puisque les premières données font état de 58% d’hypertendus, 25% de cardiopathies et 44% d’arythmies dans la population infectée (4).

Les symptômes sont plus intenses chez les patients avec maladie cardiovasculaire préexistante. L’hypothèse est qu’il existe dans ce cas une expression accrue d’ACE2 du fait d’une dérégulation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) (5). Les taux d’ACE2 sont également augmentés en cas de prise d’un inhibiteur du SRAA. Il est cependant trop tôt pour proposer aux patients sous de tels traitements d’en changer et des données plus précises sont nécessaires dans le futur. Plusieurs sociétés savantes se sont positionnées à ce titre pour ne pas modifier ces traitements chez les patients qui les prennent (ESC, ESH).

Atteinte cardiaque aigüe du COVID-19

Plusieurs données avaient mis en évidence que le MERS-CoV pouvait être à l’origine de myocardites aigues (6). Une souffrance myocardique associée à l’infection par le COVID-19 a pu être mise en évidence par une élévation de troponine chez 5 des 41 premiers patients infectés à Wuhan (7). Sur ces 5 patients, 4 ont été hospitalisés en soins intensifs pour la prise en charge de l’infection (sans que l’atteinte cardiaque soit en cause). Dans une autre série de 138 patients traités à Wuhan, les biomarqueurs cardiaques étaient plus élevés chez les patients traités en soins intensifs ou réanimation que chez les autres (4). D’après les données du NHC (National Health Commission of China), certains patients infectés par le COVID-19 sont entrés dans le système de soins avec comme première plainte des symptômes cardiovasculaires (palpitations, douleur thoracique) (5). Parmi les patients décédés du COVID-19 en Chine, 11.8% avaient des signes de lésions cardiaques avec une élévation de la troponine (5).

Les mécanismes de la souffrance myocardique secondaire au COVID-19 ne sont pas univoques :

  • Atteinte myocardique directe via l’ACE2 que les cardiomyocytes expriment de manière importante. Cela pourrait être à l’origine de véritables myocardites, hypothèse corroborée par l’existence de cas décrits de dysfonction ventriculaire gauche aigue au cours de l’infection ;
  • Atteinte myocardique indirecte par infarctus de type 1 (rupture de plaque favorisée par l’infection comme avec la grippe) ou de type 2 (secondaire à une inadéquation de la demande et des apports myocardiques en oxygène secondaire à l’insuffisance respiratoire).

Effets cardiovasculaires chroniques du COVID-19

Des données obtenues chez des patients infectés par le SARS-CoV et suivis sur une période de 12 ans plaident en faveur d’une dérégulation du métabolisme lipidique induite par le virus (8) qui pourrait être à l’origine d’une augmentation des événements cardiovasculaires à long terme chez les survivants sans que le mécanisme n’ait été identifié à l’heure actuelle.

Effets cardiaques des traitements antiviraux

Une attention toute particulière doit accompagner la prescription des médicaments antiviraux. Les premières données font état d’une prescription de ces médicaments chez plus de 90% des patients pris en charge à Wuhan (4,7). Pourtant, ces médicaments peuvent être à l’origine d’effets secondaires cardiaques tels que des arythmies (comme c’est le cas de l’oseltamivir) ou des troubles de conduction (ribavirine) (9).

Enfin, la Chloroquine semble être efficace in vitro dans le ralentissement de l’infection virale via une inhibition de la fusion des membranes cellulaires et virales, et la glycosylation des récepteurs cellulaires du virus (10). Elle est cependant à l’origine de potentiels effets indésirables, notamment cardiaques. Cette molécule allonge en effet l’intervalle QTc favorisant ainsi les troubles du rythme ventriculaire. Elle a également été à l’origine de troubles de la conduction (toxicité chronique) et de dysfonctions ventriculaires gauches. Des essais cliniques sont en cours pour préciser le rapport bénéfice/risque dans cette indication.

Références

1. Turner AJ, Hiscox JA, Hooper NM. ACE2: from vasopeptidase to SARS virus receptor. Trends Pharmacol Sci. 2004 Jun;25(6):291–4.

2. Xu H, Zhong L, Deng J, Peng J, Dan H, Zeng X, et al. High expression of ACE2 receptor of 2019-nCoV on the epithelial cells of oral mucosa. Int J Oral Sci. 2020 Feb 24;12(1):8.

3. Badawi A, Ryoo SG. Prevalence of comorbidities in the Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV): a systematic review and meta-analysis. Int J Infect Dis. 2016 Aug 1;49:129–33.

4. Wang D, Hu B, Hu C, Zhu F, Liu X, Zhang J, et al. Clinical Characteristics of 138 Hospitalized Patients With 2019 Novel Coronavirus-Infected Pneumonia in Wuhan, China. JAMA. 2020 Feb 7;

5. Zheng Y-Y, Ma Y-T, Zhang J-Y, Xie X. COVID-19 and the cardiovascular system. Nat Rev Cardiol [Internet]. 2020 Mar 5; Available from: https://doi.org/10.1038/s41569-020-0360-5

6. Alhogbani T. Acute myocarditis associated with novel Middle East respiratory syndrome coronavirus. Ann Saudi Med. 2016;36(1):78–80.

7. Huang C, Wang Y, Li X, Ren L, Zhao J, Hu Y, et al. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. Lancet Lond Engl. 2020 15;395(10223):497–506.

8. Wu Q, Zhou L, Sun X, Yan Z, Hu C, Wu J, et al. Altered Lipid Metabolism in Recovered SARS Patients Twelve Years after Infection. Sci Rep. 2017 22;7(1):9110.

9. Sakabe M, Yoshioka R, Fujiki A. Sick sinus syndrome induced by interferon and ribavirin therapy in a patient with chronic hepatitis C. J Cardiol Cases. 2013 Dec;8(6):173–5.

10. Wang M, Cao R, Zhang L, Yang X, Liu J, Xu M, et al. Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro. Cell Res. 2020 Mar;30(3):269–71.