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Études BedMed & BedMed Frail : à quel moment prendre son traitement antihypertenseur ?
Publié le samedi 31 août 2024
En direct du congrès de l'ESC 2024
D’après la présentation de Scott Garrison (Edmonton, Canada) "BedMed et BedMed-Frail : Evening vs. morning dosing of blood pressure medication: no differences seen
Points clés de l’étude
- Après les études MAPEC, HYGIA et TIME qui présentaient des résultats contradictoires, les études BedMed et BedMed-Frail apportent des preuves supplémentaires sur l’absence d’intérêt à donner un traitement antihypertenseur le soir plutôt que le matin.
- L’étude BedMed en population générale et BedMed-Frail qui est son pendant gériatrique ne retrouvent pas de différence significative entre la prise du traitement antihypertenseur matinale ou vespérale sur les évènements cardiovasculaires majeurs, avec une durée de suivi médiane de 5 ans pour BedMed et 1 an pour BedMed-Frail.
- Ces études ne soutiennent pas le concept de chronothérapie dans la gestion l’hypertension artérielle.
- Alors, à quel moment prendre son traitement antihypertenseur ? Probablement au moment où le patient a le moins de chances de l’oublier en prenant en compte ses préférences et son organisation et en rassurant les patients qui préfèrent le traitement le matin. Et ceux qui préfèrent le soir.
Introduction
La question de savoir si le moment de la prise des antihypertenseurs influence les résultats de prévention cardiovasculaire est longtemps restée incertaine, en raison des résultats contradictoires issus d'études antérieures. La pression artérielle (PA) suit un rythme circadien, atteignant un pic après le réveil et un creux pendant le sommeil. L’élévation de pression artérielle nocturne est particulièrement associée aux événements cardiovasculaires majeurs. L’hypothèse selon laquelle une réduction préférentielle de la PA nocturne pourrait diminuer le risque cardiovasculaire a été explorée dans plusieurs études avec des résultats hétérogènes.
Les études MAPEC1 en 2010 et HYGIA2 en 2019 avaient montré une diminution des évènements cardiovasculaires lors de la prise des médicaments antihypertenseurs le soir plutôt que le matin, avec des résultats toutefois contestés. L’étude TIME3 parue en 2022 ne montre pas, quant à elle, pas de différence significative entre la prise le matin et le soir.
Dans ce contexte, les essais BedMed et BedMed-Frail ont été conçus pour évaluer l'impact du moment de prise des antihypertenseurs sur les événements cardiovasculaires majeurs, tant dans la population générale que chez les patients âgés fragiles et se présentent comme les dernières études de cette série.
Méthodologie et résultats
BedMed :
L’essai BedMed est une étude canadienne contrôlée randomisée (en 1/1) avec une évaluation en ouvert qui incluait les patients hypertendus traités médicalement en centre de soins primaires. Le recrutement a eu lieu entre 2017 et 2022 et le suivi s’est poursuivi jusqu’en 2023. Pour être inclus, les participants devaient être identifiés comme hypertendus, avec la prise d’au moins un traitement antihypertenseur. Ils devaient également être âgés de plus 19 ans, et vivre en milieu communautaire. Étaient exclus les patients ayant des antécédents de glaucome, les travailleurs de nuit ou ayant une activité postée qui perturbait le sommeil, et enfin les personnes considérées comme en situation palliative ou incapable de délivrer leur consentement. Les participants ont donc été assignés aléatoirement à prendre tous leurs médicaments antihypertenseurs soit le matin (au réveil), soit le soir (idéalement au moment du coucher, et en cas d’intolérance au moment du dîner). La répartition des participants dans les deux groupes a été réalisée de manière aléatoire, en utilisant un système de randomisation centralisé.
Le critère de jugement principal évaluait les évènements cardiovasculaires majeurs (MACE) comprenant les décès toutes causes, le fait de présenter un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral ou encore un épisode d’insuffisance cardiaque congestive ainsi que les hospitalisations ou consultations aux urgences. De manière secondaire, était exploré un critère d’efficacité qui évaluait d’une part individuellement l’ensemble des composants du critère de jugement principal composite ; et d’autres parts les hospitalisations non programmées et consultations aux urgences et un critère de sécurité. Le critère de sécurité évaluait les évènements liés à l’hypotension orthostatiques (tels que les fractures non vertébrales, les chutes, les syncopes et les sensations de vertige), liés à la vision (incluant l'apparition d'un glaucome ou la dégradation auto-rapportée de la vision) ainsi que des critères cognitifs (comme le déclin cognitif à 18 mois, l'apparition de troubles compatibles avec la démence et les institutionnalisations).
Le suivi des patients prévoyait des évaluations à une semaine, à six semaines, à six mois, puis tous les six mois par le biais d'enquêtes téléphoniques ou par e-mail. De plus, un comité d'adjudication en aveugle a examiné les données administratives de santé ainsi que les rapports des patients et pouvait solliciter des informations supplémentaires auprès des médecins de famille en cas de discordance entre les sources.
Au total, L'étude BedMed a permis d’inclure 3 357 participants, répartis équitablement entre ceux prenant leurs antihypertenseurs au coucher (1 677 patients) et ceux les prenant le matin (1 680 patients) avec une durée de suivi médiane de 4,6 ans. Les caractéristiques des patients à l'inclusion montrent une répartition équilibrée entre les deux groupes en termes d'âge médian (67 ans), de sexe (environ 56 % de femmes dans chaque groupe), et de comorbidités. Les affections les plus courantes incluent l'apnée du sommeil, le diabète, les maladies coronariennes et l'insuffisance rénale chronique (CKD). Le taux de perdus de vue est de l’ordre de 3 % avec une légère différence entre le groupe au coucher (3,4 %) et le groupe du matin (2,6 %). La majorité des patients (53-54%) prenait seulement un moléculeantihypertensive, 34-35% d’entre eux bénéficiaient d’une bithérapie et environ 1 participant sur 10 dans cette étude était sous trithérapie ou plus. L’analyse du cross-over a montré qu’à 6 mois, 5 % des patients du groupe matinal ont pris leur traitement le soir, et 17% du groupe nocturne prenait son traitement le matin.
Le taux d'événements cardiovasculaires majeurs était de 9,7 % dans le groupe prenant les médicaments le soir, contre 10,3 % dans le groupe prenant les médicaments le matin (HR ajusté 0,96 ; IC 95 % 0,77-1,19 ; p=0,70). Aucune différence significative n’a été objectivée entre les différents sous-groupes ni sur les critères d’efficacité ou de sécurité.
BedMed-Frail:
L’essai BedMed-Frail est le pendant gériatrique de l’étude BedMed avec des adaptations méthodologiques pour répondre aux besoins spécifiques des personnes âgées avec une fragilité gériatrique.
BedMed-Frail est un également un essai contrôlé randomisé en ouvert recrutant des patients hypertendus prenant au moins 1 traitement antihypertenseur, dans 17 unités de soins de suites dans la province canadienne d’Alberta, pour être randomisés dans le groupe traitement matinal ou traitement du soir. Les patients présentant un glaucome et ceux ayant choisi de ne pas participer à l’étude étaient également exclus.
L’analyse principale est comparable à celle de l’étude BedMed, basée sur la recherche évènements cardiovasculaires majeurs (MACE) définis de la même manière, et l’analyse du critère d’efficacité également, basée sur l’analyse individuelle des éléments du composites les hospitalisations non programmés et visites aux urgences. En revanche, l’analyse du critère de sécurité est plus particulièrement adaptée à cette population relativement vulnérable et fragile. Elle évalue les chutes et les fractures non vertébrales, le déclin cognitif et les troubles du comportement, le recours à des traitements neuroleptiques ou anxiolytiques ainsi que les signes de dépression et d’anxiété. Le critère de sécurité évaluait également de manière plus spécifique dans cette population les troubles trophiques (tels que les ulcères cutanées) et l’incontinence urinaire.
En population gériatrique fragile, BedMed-Frail a inclus 776 participants (394 dans le groupe vespéral, et 382 dans le groupe matinal) avec un âge médian de 88 ans, dont 72% de femmes avec une médiane de suivi de 1,1 an et un taux de perte de vue environ 4% avec une légère différence en faveur du groupe vespéral (3,6% de perte de vue dans le groupe vespéral vs 4,7% dans le groupe matinal).
Cette population était beaucoup plus comorbide avec 85% de démence, près de 50 % d’insuffisance rénale, de diabète, 40% de patients coronariens et 30 % ayant présenté un AVC. Les patients étaient plus souvent traités par monothérapie (dans 60% des cas), alors qu’ils bénéficiaient d’une bithérapie dans 32% des cas et d’une trithérapie ou plus dans 8% des cas.
Le taux de MACE était de 40,6 % dans le groupe de prise au coucher et de 41,9 % dans le groupe de soins habituels (HR ajusté 0,88 ; IC 95 % 0,71-1,11 ; p=0,28) et était essentiellement drivé par les décès. Aucune différence significative n'a été observée dans les critères de sécurité, à l'exception des hospitalisations non programmées et consultations aux urgences dans le groupe traité au couché (HR 0,74 ; IC 95 % 0,57-0,96 ; p=0,02). En analysant de manière post-hoc les hospitalisations non programmées et consultations aux urgences comme une variable continue avec une régression de Poisson, il n’a pas été démontré de différences significatives (RR ajusté 0,87 ; IC 95 % 0,71-1,07 ; p=0,20)
Figure 1 : Courbe d’incidence cumulée de survenue des MACE dans l’étude BedMed(à gauche) et BedMed-Frail (à droite)
Conclusion
- La prise des médicaments antihypertenseurs le soir n’a pas démontré de bénéfice cardiovasculaire ni de meilleure tolérance comparativement à une consommation des médicaments le matin que ce soit en population générale mais aussi en population gériatrique avec une fragilité.
- Ces nouvelles données ne supportent pas le concept de chronothérapie dans la gestion de l’hypertension et conforte l’idée de l’absence d’impact du moment de la prise du traitement antihypertenseur sur le pronostic cardiovasculaire.
- Les patients peuvent préférer prise matinale ou le soir, le meilleur moment pour le prendre, c’est probablement celui où le patient a le moins de chance de l’oublier et celui qu’il va préférer (par exemple les diurétiques plutôt le matin, ou les inhibiteurs calciques plutôt le soir pour moins ressentir les œdèmes des membres inférieurs, ou encore au moment de la prise de ses autres traitements)
Références
1. Hermida RC, Ayala DE, Mojon A, et al. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the MAPEC study. Chronobiol Int. 2010;27:1629–1651.
2. Hermida RC, Crespo JJ, Dominguez-Sardina M, et al. Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction: the Hygia chronotherapy trial. Eur Heart J. 2020;41:4565–4576.
3. Mackenzie IS, Rogers A, Poulter NR, et al. Cardiovascular outcomes in adults with hypertension with evening versus morning dosing of usual antihypertensives in the UK (TIME study): a prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint clinical trial. Lancet. 2022;400:1417–1425.
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