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L’intelligence artificielle à l’ACC 2025

Publié le lundi 7 avril 2025

Antonin Trimaille

Antonin Trimaille

Cardiologie interventionnelle - Strasbourg

En direct du congrès de l'ACC 2025

L’intelligence artificielle (IA) prend une place croissante dans nos vies personnelles et professionnelles. La cardiologie n’échappe pas à ce constat et de nombreuses solutions d’IA entrent progressivement dans nos pratiques pour assister le diagnostic, la prise en charge thérapeutique et le suivi de nos patients. L’ACC 2025 a mis à l’honneur l’IA via plusieurs sessions dédiées à ces nouvelles technologies, l’impact qu’elles auront sur les pratiques et des études dédiées à l’évaluation de leurs performances.
Le Cercle Cardio-IA de la SFC vous propose un résumé de plusieurs présentations marquantes sur le sujet.

Une première synthèse de l’intégration pratique de l’IA en cardiologie vous permettra de mieux comprendre quelles technologies peuvent être utilisées dans notre spécialité et pour quels usages.

Un deuxième résumé abordera l’impact actuel et futur de l’IA dans les laboratoires d’échocardiographie.

Enfin, nous vous proposons deux exemples pratiques de l’intérêt de l’IA en cardiologie avec un résumé du design et les résultats d’une étude visant à évaluer les performances d’un logiciel d’IA dédié au diagnostic échographique du rétrécissement aortique sévère, et d’une étude évaluant la capacité d’une solution d’IA pour assister les novices en échocardiographie.

 

L’intelligence artificielle au service de la cardiologie : intégration en pratique de l’IA

D’après la présentation de Barry D. Mangel : « Real World Implementation of AI »

L’intelligence artificielle (IA) s’impose progressivement dans notre quotidien, et le domaine de la santé ne fait pas exception. Plus qu’un simple outil technologique, elle devient une véritable alliée dans le parcours de soins, en particulier dans la prise en charge des pathologies cardiovasculaires.
On distingue différents types d’IA :

  • Le machine learning : il s'agit d'une méthode d’IA qui permet aux logiciels d’apprendre à partir de données. Elle fonctionne en reconnaissant des schémas (patterns), en résolvant des problèmes, et en apprenant à améliorer ses algorithmes à mesure qu’elle est exposée à plus d’informations.
  • Le deep learning : c’est une forme avancée de machine learning, inspirée du fonctionnement du cerveau humain en « réseaux de neurones ». Elle est particulièrement efficace pour des tâches complexes comme la reconnaissance d’images, la reconnaissance vocale ou le traitement du langage naturel (NLP), c’est-à-dire comprendre et générer du texte ou de la parole comme le ferait un humain.
  • L’IA générative : c’est un sous-domaine du machine learning qui a la capacité de créer de nouveaux contenus (générer du texte, des images ou du code), optimiser les tâches médicales (rédaction de comptes-rendus, triage des informations données aux patients, résumé des conversations médicales pour les rendre plus accessibles aux patients).

On peut prendre l’exemple d’une solution d’IA lancée en 2022 permettant l’analyse des données de rapports de scanners de patients avec un anévrisme de l’aorte. Grâce au traitement du langage naturel, l’IA identifie en temps réel les patients présentant des anomalies. Un tableau de bord regroupe ensuite les patients par catégorie (localisation et taille de l’anévrisme) et déclenche des actions spécifiques : revue du dossier par une infirmière coordinatrice, notification au médecin traitant, prise de rendez-vous dans un service dédié si le médecin n’oppose pas de refus, suivi dans le temps avec rappels automatiques. Depuis son lancement en juillet 2022, cette solution d’IA a permis d’identifier près de 21 000 patients porteurs d’anévrismes, dont 6 500 ont été suivis. L’impact clinique est significatif avec une hausse de 7% des consultations dans le service dédié.

D’autres solutions IA sont en cours de déploiement et ont le pouvoir d’assister les cardiologues. Par exemple, le système Dax Copilot vise à assister les professionnels de santé en générant automatiquement des comptes-rendus de consultation. Malgré une adoption encore partielle, plusieurs cliniciens rapportent une réduction de leur temps administratif leur permettant d’être plus disponibles pour leurs patients. D’autres logiciels d’IA permettent d’automatiser de nombreuses tâches administratives : pré-enregistrement des patients, validation des lettres d’adressage, codage médical assisté par IA et NLP, facturation directe sans intervention humaine.

En conclusion, des solutions d’IA sont en cours d’intégration dans la pratique médicale. Elles pourraient aider considérablement les professionnels de santé, en les libérant de certaines tâches administratives et répétitives, leur permettant d’être plus disponibles pour leurs patients.

Comment l’intelligence artificielle va transformer les laboratoires d’échocardiographie

D’après la présentation de Theodore P. Abraham (San Francisco, USA) : « How AI Will Transform Echo Lab Operations? »

Du fait du vieillissement de la population, les besoins de soin dans le domaine de la cardiologie sont en augmentation permanente. L’échocardiographie est un des principaux outils à disposition du cardiologue et est souvent la pierre angulaire de la prise en charge diagnostique et thérapeutique de nos patients. De ce fait, le nombre d’échocardiographies pratiquées chaque année augmente considérablement.

L’intelligence artificielle présente des avantages potentiels dans l’assistance du cardiologue pour la réalisation et l’analyse des échocardiographies (Figure 1) :

  • Organisation : aide au triage des informations, guidage de l’imagerie, automatisation de certaines mesures
  • Interprétation : analyse des mesures classiques mais aussi de nouvelles données dérivées directement des analyses d’IA
  • Analyses complexes : modélisation, fusion d’images, prévision des conséquences et possibilités de gestes d’une chirurgie
  • Démocratisation de l’échocardiographie : utilisation par des professionnels non-cardiologues permettant ainsi un meilleur accès à cet examen
Applications potentielles de l’IA en échocardiographie

Figure 1 : applications potentielles de l’IA en échocardiographie

Il existe déjà actuellement plusieurs applications de l’IA en échocardiographie, en particulier dans l’acquisition et l’analyse des images (FEVG auto, strain), la prise de décision diagnostique et thérapeutique (par exemple l’aide à la prise de décision pour une revascularisation chirurgicale ou percutanée, ou l’aide au diagnostic différentiel entre une CMH et un cœur d’athlète), la prédiction d’événements et la recherche. (Figure 2)

Applications actuelles de l’IA en échocardiographie

Figure 2 : applications actuelles de l’IA en échocardiographie

De futures solutions IA sont déjà en cours de développement. Par exemple, un logiciel approuvé par la FDA (EchoGO) permet de diagnostiquer une insuffisance cardiaque à FEVG préservée à partir d’une seule boucle apicale 4 cavités avec 84% de sensibilité et 86% de spécificité.

Enfin, bien que les possibilités de l’IA en échocardiographie semblent infinies, elle comporte aussi quelques risques, en particulier la nécessité d’une standardisation et d’une validation dans plusieurs populations, les problèmes réglementaires, éthiques et économiques, et enfin la nécessité d’une formation de tous les professionnels à ces nouvelles technologies.

En résumé, les solutions d’IA sont déjà en train d’envahir les laboratoires d’échocardiographies et ont le potentiel de transformer la prise en charge des patients. L’intégration appropriée de ces technologies dans l’organisation des soins en cardiologie sera un enjeu majeur des prochaines années.

Un exemple pratique : quel impact de l’intelligence artificielle pour aider au diagnostic échocardiographique du rétrécissement aortique ?

D’après la présentation de David Playford (Fremantle, Australie) : « A Randomized Controlled Crossover Study of Cardiologist Reporting of Severe AS with and without AI Assistance »

Le rétrécissement aortique (RA) est la valvulopathie acquise la plus fréquente dans les pays développés. Il peut être diagnostiqué et donc traité tardivement, exposant les patients à un risque de morbimortalité important. Dans cette étude, les auteurs ont évalué la capacité d’une solution d’intelligence artificielle (IA) à assister les cardiologues dans le diagnostic échographique de RA sévère. Le logiciel EchoSolv-AS a été développé pour prédire le diagnostic de RA sévère à partir des données échographiques seules (aucune analyse d’image n’est faite, seules les mesures sont interprétées). Les données minimales à recueillir pour le logiciel sont l’âge, le poids et la taille, la vélocité maximale aortique et la FEVG.

Dans cette étude, les échographies de 200 patients étaient réparties aléatoirement entre 5 cardiologues expérimentés qui en effectuaient la lecture. Pour chacun d’entre eux, l’utilisation ou pas du logiciel d’IA était randomisée (100 patients sans et 100 patients avec IA). Après 4 semaines, une nouvelle randomisation était effectuée selon les mêmes modalités, de telle sorte que chaque échographie était analysée deux fois par chaque cardiologue : une fois avec et une fois sans IA. Le gold standard était représenté par un comité d’adjudication composé de 3 cardiologues.

L’IA a diagnostiqué un RA sévère chez 100% des patients avec RA sévère, chez 36% des patients avec RA modéré et chez aucun des patients avec RA léger ou sans RA. Les cardiologues sans assistance de l’IA se sont trompés dans plus de 20% des cas en rejetant le diagnostic de RA sévère alors qu’il y en avait un (dans la majorité des cas, il s’agissait d’un RA sévère low flow-low gradient). De manière intéressante, le taux d’erreur était équivalent avec assistance de l’IA, car les cardiologues n’ont pas pris en compte le diagnostic du logiciel. De ce fait, aucune différence significative n’a été mise en évidence dans les capacités prédictives entre l’échographie assistée par l’IA et l’échographie non assistée par l’IA. Il faut noter tout de même une diminution du temps d’analyse de 24% avec le logiciel d’IA.

En résumé, il s’agit de la première étude randomisée évaluant la lecture d’une échographie pour le diagnostic de RA sévère avec ou sans l’aide d’un logiciel d’IA. Le logiciel d’IA a identifié un RA sévère chez tous les patients avec RA sévère, alors que les cardiologues sans assistance de l’IA se sont trompés dans plus d’un cas sur cinq. Le taux d’erreur a persisté après assistance de l’IA, car les cardiologues n’ont pas adhéré à la proposition diagnostique de l’IA. Ces résultats illustrent bien le potentiel intérêt des logiciels d’assistance IA dans les lectures d’échographie, mais également le manque de confiance actuelle des professionnelles dans cette solution. (Figure 3)

Résumé de l’étude

Figure 3 : résumé de l’étude

L’intelligence artificielle pour assister les novices en échocardiographie

D’après la présentation de Caroline Ong (New-York, USA) : « Artificial Intelligence Empowers Novice Users To Acquire Diagnostic- quality Echocardiography »

L’échocardiographie est un des principaux outils diagnostiques en cardiologie et permet d’orienter de nombreuses décisions thérapeutiques. Une de ses limites est qu’elle nécessite une expertise technique élevée. Son utilisation par des professionnels non qualifiés et avec peu d’expérience augmente le risque d’erreur diagnostique. Faciliter l’utilisation de cet examen par des novices grâce à l’intelligence artificielle (IA) permettrait d’améliorer son accès et les soins des patients. 
L’objectif de cette étude était d’évaluer si un logiciel d’IA permettait d’assister des utilisateurs novices de l’échocardiographie dans l’acquisition de 10 vues échocardiographiques permettant d’évaluer 4 paramètres cardiaques clés : taille et fonction du ventricule gauche, taille du ventricule droit et présence d’un épanchement péricardique.

Le logiciel à l’étude est le logiciel HeartFocus qui permet un guidage en temps réel de l’échographiste via une indication visuelle de la bonne position de la sonde, une détection automatique de la qualité diagnostique de l’image et un enregistrement intelligent (automatique ou de manière rétrospective). (Figure 4)

Description du logiciel à l’étude

Figure 4 : description du logiciel à l’étude

Au plan méthodologique, il s’agit d’une étude de non-infériorité, internationale, prospective, non-randomisée réalisée dans deux centres (Bordeaux et New-York). 
Au total, 240 patients ont été inclus (120 à Bordeaux, 120 à New York) et 480 examens ont été réalisés (240 par des experts, 240 par des novices). Les novices étaient des infirmiers avec une courte formation (4 dans chaque centre) : ils réalisaient les examens en étant assistés par l’IA. Les experts étaient des cardiologues expérimentés (3 à New-York et 4 à Bordeaux) qui réalisaient les examens sans IA. Cinq cardiologues relisaient chaque examen de manière indépendante. (Figure 5)

Design de l’étude

Figure 5 : design de l’étude

Les novices ont obtenu des images exploitables dans 100% des cas pour les 4 critères principaux. Le taux d’accord avec les experts était >85 % sur 12 paramètres secondaires (par exemple la fonction VD ou la taille de l’OG). (Figure 6)

Le temps moyen d’examen était d’environ 24 minutes pour les novices. Aucune complication ou défaillance technique n’a été rapportée. Concernant la modalité d’enregistrement, 66% des enregistrements ont été captés automatiquement, avec un taux de qualité diagnostique de 99,7%.

Résultats de l’étude

Figure 6 : résultats de l’étude

En conclusion, le logiciel HeartFocus permet aux novices de réaliser des échographies cardiaques de qualité, avec une courbe d’apprentissage rapide. L’IA ouvre la voie à une démocratisation de l’échocardiographie tout en garantissant une certaine fiabilité des résultats. Des études ultérieures visant à valider cette solution dans d’autres contextes permettraient de renforcer ces résultats prometteurs.

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