Recommandations 2023 pour la prise en charge de l’HTA

Mis à jour le lundi 31 juillet 2023
dans
Romain Boulestreau (Ancien CCA, Bordeaux)

Dr Romain Boulestreau
Cardiologie et maladies vasculaires
CHU de Bordeaux

Introduction

Les recommandations ESH (Société Européenne et Internationale d’Hypertension Artérielle, Société européenne de Néphrologie) 2023 viennent renforcer et compléter les recommandations de 2018, avec quelques nouveautés, que nous allons parcourir ensemble, en attendant les recommandations ESC de 2024.

Les figures et tables de ce résumé sont issues de la publication, qui est encore en format « draft ».

Les changements majeurs qui peuvent impacter notre pratique

  • La place de la mesure ambulatoire de la pression artérielle est renforcée : on ne se base plus sur la pression artérielle de consultation pour adapter les traitements si on peut obtenir une mesure ambulatoire.
  • Les appareils « cuffless » sont exclus des options de mesure de la pression artérielle.
  • Les indications de bilans d’HTA secondaire sont élargies, compte tenu de leur prévalence importante dans certains sous-groupes.
  • Il est recommandé d’introduire un traitement anti-HTA chez les patients en prévention secondaire dès que la pression artérielle dépasse 130/80 mmHg pour les ramener sous ce seuil, en particulier chez les coronariens, si les règles hygiéno-diététiques ne suffisent pas.
  • L’heure de prise des traitements est libre, au choix du patient.
  • En cas d’HTA résistante avérée, si le DFG est < 30 ml/min/1,73m², un double blocage du néphron est recommandé, en associant un diurétique de l’anse et un diurétique thiazidique
  • En cas d’HTA résistante avérée, si le DFG est > 40 ml/min/1,73m², une dénervation rénale peut être proposée au patient.
  • Implémentation d’un paragraphe conséquent sur la prise en charge des patients porteurs d’un cancer et traités pour cela.
  • Il est recommandé de démarrer un traitement anti-hypertenseur adapté chez la femme enceinte dès que la pression artérielle dépasse 140/90 mmHg en consultation (confirmée en ambulatoire), indépendamment du profil de risque de la patiente.
  • La finerenone et les ISGLT2 (gliflozines) entrent dans les recommandations chez les patients présentant une maladie rénale chronique, pour leurs effets cardio et néphroprotecteurs.

Overview des recommandations

1. Définition, classification et mesure de l'hypertension artérielle

a) Définition et classification

Table 1 : Classification de la pression artérielle en cabinet et définitions des grades d'hypertension

La relation entre la pression artérielle et les événements cardiovasculaires / rénaux, ainsi que la mortalité, est continue, ce qui rend la distinction entre une pression artérielle dite « normale » et l'hypertension quelque peu arbitraire.

L'HTA est définie comme le niveau de pression artérielle auquel les avantages d’un traitement l'emportent sur les risques, tels que documentés par des essais cliniques.

La classification des différents grades d’hypertension, et la définition (basées sur la mesure de la pression artérielle en cabinet) sont inchangées par rapport aux recommandations précédentes de 2018.

b) Évaluation du risque cardiovasculaire

Table 2 : Scores d'évaluation du risque cardiovasculaire

 

Table 3 : Liste des lésions organiques dues à l'hypertension

L’évaluation et la quantification du risque cardiovasculaire total sont importants chez les patients hypertendus afin de :

  1. Définir l’importance de la protection cardiovasculaire apportée au patient par le traitement et adapter la prise en charge (les patients à haut risque et très haut risque auront un tel bénéfice en termes de prévention qu’ils pourront être traité dès que la pression artérielle systolique (PAS et PAD) au cabinet dépasse 130 / 80 mmHg)
  2. Déterminer l’éventuelle indication à un bilan vasculaire (Doppler des troncs supra-aortiques, score calcique coronaire)
  3. Définir la cible de LDLc du patient

Les « guidelines » insistent sur l’importance de prendre en considération les atteintes d’organes liées à l’HTA dans l’évaluation du risque cardiovasculaire des patients. En effet, l’inclusion des atteintes d’organes liées à l’HTA aide à identifier les patients hypertendus à haut risque ou à très haut risque CV qui pourraient, sinon, être mal classés, comme présentant un niveau de risque inférieur par la table SCORE.

c) Mesure de la pression artérielle

Table 4 : Définitions de l'hypertension en fonction de la correspondance entre les valeurs de la pression artérielle à domicile et en ambulatoire et la pression artérielle au cabinet médical

  • L’importance de se baser en priorité sur des mesures de pression artérielle hors du cabinet (automesures tensionnelles ou holter tensionnel) a été renforcée dans ces recommandations (I, C).
  • Ces nouvelles guidelines insistent également sur l’importance d’utiliser des appareils de bras, automatiques et validés pour la mesure de la pression artérielle (liste des appareils validés ici : www.stridebp.org.

À défaut, des mesures répétées de la PA doivent être prises au cabinet sur plus d'une consultation, sauf lorsque l'HTA est sévère. À chaque consultation, trois mesures de PA doivent être enregistrées, espacées de 1 à 2 minutes, et des mesures supplémentaires doivent être effectuées si les deux premières lectures diffèrent de > 10 mmHg (I,C).

Les recommandations suivantes n’ont pas changé non plus :

  • Mesurer la PA aux deux bras au moins lors de la première consultation, car une différence de PA entre les bras > 15-20 mmHg suggère une maladie athéromateuse et est associée à un risque CV accru (I,A).
  • Si une différence de PA entre les bras est enregistrée, il est recommandé que toutes les mesures de PA utilisent le bras avec la mesure de la PA la plus élevée (I, C).
  • Il faut également rechercher une hypotension orthostatique, qui modifierait l’attitude thérapeutique.

2. Évaluation clinique et paraclinique du patient hypertendu

a) Évaluation clinique

Objectifs :

  • Préciser le niveau de pression artérielle et de risque cardiovasculaire, et évaluer les atteintes d’organes cibles (cf ci-dessus)
  • Rechercher des signes orientant vers une des causes d’HTA secondaire

Signes à rechercher :

  • Symptômes et facteurs de risque cardiovasculaires
  • Consommation de drogue, toxicomanie, thérapies concomitantes: corticoïdes, vasoconstricteur nasal, chimiothérapie, réglisse
  • Grossesse en cours et utilisation de contraceptifs oraux
  • Antécédents de maladie rénale / urinaire, HTA rénovasculaire
  • Recherche d’hyperaldostéronisme : antécédents d'hypokaliémie spontanée ou provoquée par les diurétiques, épisodes de faiblesse musculaire et tétanie
  • Souffle lombaire à la recherche d’une sténose artérielle rénale
  • Recherche phéochromocytome : sueurs, maux de tête, anxiété ou palpitations ; tâche cutanée café-au-lait (neurofibromatose)
  • Symptômes / signes évocateurs d'une maladie thyroïdienne ou d'hyperparathyroïdie
  • Comparaison du pouls radial avec le fémoral, la tension artérielle aux membres supérieurs et inférieurs pour détecter la différence radio-fémorale dans la coarctation aortique, souffle sous clavier gauche.
  • Signes évocateurs d’un syndrome de Cushing ou d’une acromégalie
  • Antécédents d’apnée du sommeil

b) Évaluation paraclinique

Les objectifs sont les mêmes que l’évaluation clinique : évaluer le niveau de risque cardiovasculaire, les atteintes d’organe cible de l’HTA et les signes orientant vers une HTA secondaire.

Table 5 : Sélection d'analyses de laboratoire standards pour le bilan des patients hypertendus

Le bilan initial, appelé autrefois « bilan standard de l’OMS », est à réaliser chez tous les patients hypertendus au diagnostic. Il associe une hémoglobine, HBA1C, et glycémie à jeun, un bilan lipidique complet, le niveau d’acide urique, le niveau de créatininémie / le DFG, la kaliémie natrémie calcémie, un RAC (ratio albuminurie / créatinurie, qui remplace la microalbuminurie) et un ECG.

Les autres examens (notamment ETT et épreuve d’effort) ne sont recommandés que sur point d’appel lors de bilan initial (Table 6 ci-dessous).

Table 6 : Évaluation des lésions organiques liées à l'hypertension

Un des objectifs principaux de cette évaluation est de déterminer si le patient appartient à l’une des catégories suivantes, associées à une prévalence importante d’HTA secondaire :

Table 7 : Caractéristiques des patients qui doivent faire suspecter une hypertension secondaire

  • Apparition précoce d'une HTA de grade 2 ou 3 (< 40 ans)
  • HTA résistante
  • HTA avec point d’appel clinique ou biologique (kaliémie < 3.5 mmol/l quelque soit le contexte, même une seule fois, même avec des diurétiques, insuffisance rénale, protéinurie par exemple)
  • HTA avec atteinte disproportionnée des organes cibles
  • HTA d’emblée sévère, ou devenant brutalement sévère, urgences hypertensives

Si le patient correspond à l’une de ces catégories, il devra bénéficier d’un bilan d’HTA secondaire complet auprès d’un praticien formé.

Vous trouverez ci-dessous 3 infographies sur la présentation typique d’un patient porteur d’un hyperaldostéronisme primaire, d’une sténose athéromateuse des artères rénales, ou d'une fibrodyslplasie des artères rénales.

Infographies : Profils caractéristiques de patients présentant une HTA secondaire

Hyperaldostéronisme primaire

Sténose athéromateuse des artères rénales

Fibrodysplasie des artères rénales

Table 8 : Incidence des différentes formes d’HTA secondaire en fonction de l’âge
Les 4 causes les plus fréquentes étant la prise de toxique, l’hyperaldostéronisme primaire, la maladie rénale et la sténose des artères rénales

3. Traitement de l'HTA

a) Les seuils de pression artérielle nécessitant un traitement

Des interventions sur le mode de vie sont recommandées pour tous les patients à partir d’une pression artérielle normal-haute (> 130 / 80 mmHg). Le seuil nécessitant de démarrer un traitement pharmacologique a été ramené à 140/90 mmHg pour la majorité des patients, sauf pour les patients de plus de 80 ans, où il est fixé à 160/90 mmHg.

/!\ Pour les patients en prévention secondaire, en particulier les coronariens, il est recommandé de démarrer un traitement si la pression artérielle reste > 130 et/ou 80 mmHg de systolique et diastolique malgré les hygiéno-diététiques (Recommandation IA)  /!\

Table 9 : Seuils de pression artérielle en cabinet pour l'instauration d'un traitement médicamenteux

b) Objectifs de pression artérielle sous traitement

Pour les patients de 18 à 64 ans : moins de 130/80 mmHg (IA) en consultation

Pour les patients de 64 à 79 ans : moins de 140/80 mmHg, voire moins de 130/80 mmHg si le traitement est bien toléré.

Pour les patients de plus de 80 ans :

  • systolique entre 140 et 150 mmHg : viser 130-139 mmHg si la tolérance est bonne
  • Diastolique entre 70 et 80 mmHg

Ne pas viser moins de 120/70 mmHg

c) Traitement de l’HTA : mesures hygiéno-diététiques systématiques

Des modifications du mode de vie peuvent prévenir ou retarder l'apparition de l'HTA et réduire le risque CV, ainsi que prévenir le besoin d'un traitement médicamenteux chez les patients présentant une hypertension de grade 1. Elles doivent être systématiques.

Cependant, une intervention sur le style de vie ne devrait jamais retarder le début du traitement médicamenteux chez les patients présentant une atteinte d’organe liée à l’HTA, ou présentant un risque CV élevé. 

d) Traitement médicamenteux de l'HTA

L'algorithme décisionnel a été développé pour fournir une recommandation de traitement simple et pragmatique pour le traitement de l'HTA, basé sur quelques principes et recommandations clés. Celui-ci est comparable à l’algorithme de 2018 de part son efficacité :

  • Utilisation de bithérapies combinées afin d'améliorer la rapidité, l'efficacité et la prévisibilité du contrôle tensionnel (I,A). Cela provient du concept selon lequel un traitement initial efficace de l'hypertension nécessite au moins 2 médicaments pour la plupart des patients. Attention cependant à adapter la dose au niveau tensionnel ambulatoire pour ne pas « sur-traiter» le patient. Monothérapie pour les patients âgés et ceux à faible risque CV présentant une hypertension de grade 1 (I,B).
  • Les associations médicamenteuses à préférer sont un IEC/ARA2 avec un inhibiteur calcique ou un diurétique (I,A). Bêta-bloquant si indication spécifique (I,A).
  • Une triple association comprenant un IEC (ou un ARA2) , un inhibiteur calcique et un diurétique doit être utilisée si la PA n'est pas contrôlée par une bithérapie à pleine dose (I,A).
  • L’addition de spironolactone à une triple thérapie est le traitement de choix dans les cas d’hypertension résistante si le patient présente un DFG > 30 ml/min/1,73 m².

Nouveautés des recommandations 2023 :

  • Si le DFG est < 30 ml/min/m², il est recommandé de réaliser un double blocage par diurétique de l’anse et diurétique thiazidique (IIB).
  • La dénervation rénale peut être discutée en cas d’HTA résistante prouvée à une trithérapie bien conduite, sans HTA secondaire, si le patient présente un DFG > 40 ml/min/m² (IIB).
  • L’heure de prise du traitement anti-hypertenseur est libre, au choix du patient. Le médecin devra limiter le nombre de comprimés et de prises par jour dans son ordonnance.

Table 10 : Stratégie générale de réduction de la pression artérielle chez les patients souffrant d'hypertension

Table 11 : Stratégie d'abaissement de la pression artérielle dans l'hypertension artérielle dite résistante

Le suivi 

Table 12 : Encourager l'utilisation des technologies de surveillance de la pression artérielle à domicile et de télésanté pour améliorer les soins

 

4. Cas particulier : prise en charge de l’HTA chez un patient porteur d’un cancer

Avec les nouveaux traitements anticancéreux, la survie de cette population s’améliore. Ces patients sont à haut risque cardiovasculaire, entrainant un nouveau domaine pour le cardiologue, y compris lors de la prise en charge de l’hypertension artérielle.

Les recommandations 2023 s’y consacrent en profondeur, avec plusieurs messages clés :

  • On ne démarre pas un traitement anti-cancéreux chez un patient présentant une HTA Sévère (grade 3) confirmée en ambulatoire
  • Prudence avec les diurétiques thazidiques en cas d’atteinte osseuse (risque d’hypercalcémie), et à l’utilisation des diurétiques avec les traitements allongeant le QT (risque d’hypokaliémie et de torsade de pointe)
  • Éviter les inhibiteurs calciques bradycardisants, qui peuvent entrainer des interactions pharmacologiques avec les anticancéreux (VERAPAMIL, DILTIAZEM)
  • Privilégier les IEC ou ARA2 lors des HTA sous anti-angiogéniques
  • Revoir la prescription anti-HTA en cas d’état général altéré, dans les situations palliatives

Table 13 : Prise en charge de l’HTA chez un patient porteur d’un cancer