Carence martiale : du diagnostic au traitement

Publié le lundi 29 novembre 2021
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Florence BEAUVAIS

Dr Florence Beauvais
Cardiologue Praticien Hospitalier
Hôpital Lariboisière, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Université de Paris
Paris

La carence martiale doit être systématiquement recherchée chez les patients insuffisants cardiaques et corrigée quand elle existe (recommandations ESC 2021). Son diagnostic repose sur le dosage de la ferritinémie et du coefficient de saturation de la transferrine (CST), dont les valeurs seuils sont spécifiques, indépendamment du statut anémique. Le dosage du fer sérique n’est plus justifié. Son traitement dans l’insuffisance cardiaque repose sur l’utilisation de fer par voie intraveineuse dont les modalités pratiques sont bien définies.

A- Valeurs seuils pour le diagnostic de la carence martiale

La carence martiale se définit par le déficit en fer disponible pour le métabolisme cellulaire; entrainant des conséquences délétères; en particulier sur la lignée érythrocytaire et sur le métabolisme énergétique. L’examen de référence pour estimer la quantité de fer « actif » dans l’organisme est l’examen de la moelle osseuse après coloration spécifique du fer qui n’est bien sûr pas réalisé en routine.

L’identification de la carence martiale repose sur le dosage plasmatique de certains marqueurs du métabolisme du fer : la ferritine (protéine de stockage du fer), reflétant les réserves tissulaires mobilisables, et le coefficient de saturation de transferrine (protéine de transport du fer), estimant la quantité de fer réellement disponible et utilisable par l’organisme. Le dosage du fer sérique n’est plus justifié du fait de sa grande variabilité, et les autres marqueurs du métabolisme du fer ne sont pas dosés en pratique courante. Le dosage de l’hémoglobine est nécessaire pour connaitre le statut anémique, mais l’anémie n’est pas nécessaire pour le diagnostic de carence martiale.

Chez le patient insuffisant cardiaque (IC) les valeurs seuils retenues pour le diagnostic de carence martiale sont une ferritinémie ≤ 100 µg/l ou une ferritinémie ≤ 300 µg/l associée à un coefficient de saturation de transferrine (CST) ≤ 20 %. Ces seuils retenus par la Société Européenne de Cardiologie sont ceux en dessous desquels un traitement correctif s’est révélé efficace.

Ces valeurs seuils sont plus élevées que celles utilisées habituellement pour l’identification d’une carence martiale lors du bilan d’une anémie. Elles dérivent du postulat que dans l’insuffisance cardiaque, le taux plasmatique de la ferritine sous-estime la quantité de fer réellement disponible et utilisable et que le retentissement fonctionnel et pronostique apparaît pour des valeurs supérieures aux valeurs habituellement utilisées.

Les valeurs normales de la ferritine sérique sont variables en fonction de l’âge, du sexe et du contexte inflammatoire. Une ferritinémie inférieure à 15 µg/l témoigne d’un épuisement complet des réserves en fer (définition OMS). Le coefficient de saturation en fer de la transferrine informe sur le transport et la livraison du fer aux cellules utilisatrices. Les valeurs habituelles chez l’adulte sont entre 20 % et 40 %.

Chez le patient IC, la notion théorique de sous-estimation des valeurs seuils a notamment été retrouvée dans une étude de 2006, ayant inclus des patients IC avec anémie. Sur la base d’une biopsie de moelle osseuse, un déficit en fer a été retrouvé chez 73 % des sujets alors que la ferritinémie moyenne était de 75 µg/l chez ces patients. Une étude plus récente, ayant étudié la moelle osseuse chez 42 patients IC ayant une FEVG inférieure à 45 %, a retrouvé une carence martiale chez 40 % des patients. Dans cette étude, la valeur du CST inférieure à 19,8 % est ressortie comme étant la plus performante pour sélectionner les patients ayant une CM et identifier les patients présentant le risque de décès le plus élevé. Ces résultats valident le seuil de CST actuellement utilisé de ≤ 20 % pour l'identification de la CM chez les patients atteints d'IC.

Il est important de connaitre les valeurs seuils de la carence martiale chez le patient IC et de ne pas attendre que ces valeurs atteignent les valeurs d’épuisement complet des réserves en fer ou qu’une anémie apparaisse pour agir. En l’absence d’une prise en charge adaptée le risque d’aggravation en termes fonctionnel et pronostic est réel et ne doit pas être sous-estimé.

B- Corriger la carence martiale : pourquoi le fer par voie intraveineuse ?

Le fer donné par voie orale n’a pas montré son efficacité pour corriger la carence martiale chez le patient insuffisant cardiaque. L’étude IRON-HF ayant évalué le fer oral chez ces patients (100 à 200 mg/jour) a montré l’absence d’amélioration des taux de ferritine et de CST et l’absence d’amélioration de la tolérance fonctionnelle évaluée sur le pic de VO2 après 16 semaines de traitement.

En dehors des effets indésirables gastro-intestinaux bien connus du fer oral, l’absence d’efficacité du fer oral peut être expliquée par la limitation de l’absorption intestinale et par le fait que même si l’absorption intestinale du fer n’est pas altérée, la reconstitution des stocks en fer est trop lente.

L’absorption du fer oral peut être altérée par l’œdème intestinal retrouvé dans l’IC décompensée et par l’existence de phénomènes physiopathologiques plus complexes liés à l’hepcidine. Cette hormone peptidique sécrétée par le foie, en particulier lors de l’inflammation, régule négativement le fer plasmatique. Il existe une inflammation de bas grade dans l’IC et l’augmentation de l’hepcidine entraine une immobilisation du fer dans les entérocytes, mais également dans le système réticulo-endothélial et hépatocytaire en l’empêchant de sortir de ces cellules et de passer dans le sang.

Le fer donné par voie intraveineuse permet de contourner le problème de l’absorption intestinale et de l’immobilisation des réserves et rend le fer immédiatement disponible pour son utilisation. Une étude récente a évalué par IRM le taux en fer du myocarde à 7 et 30 jours après l’injection de fer (fer carboxymaltose 1g). Les résultats montrent que la réplétion en fer du myocarde est constatée dès le 7ème jour. Cette amélioration rapide de l’utilisation du fer au niveau myocardique explique en partie l’amélioration fonctionnelle et pronostique dès les toutes premières semaines après l’injection.

Selon les recommandations de l’HAS en 2019, les préparations orales de fer n’étant pas recommandées dans la carence martiale associée à l’insuffisance cardiaque, le fer carboxymaltose est un traitement de première intention chez les adultes atteints d’insuffisance cardiaque symptomatique avec réduction de la fraction d’éjection ventriculaire gauche associée à une carence martiale avec ou sans anémie.

C- Prescription du fer injectable : modalités pratiques

Le fer carboxymaltose est le seul fer injectable indiqué dans l’insuffisance cardiaque. Par mesure de précaution, comme pour tous les fers intraveineux, son administration doit être effectuée dans une structure permettant de surveiller attentivement les patients afin de détecter tout signe et symptôme de réaction d’hypersensibilité et disposant des moyens nécessaires pour assurer une réanimation. Une hospitalisation est donc nécessaire.

L’administration de fer injectable s’intègre dans le parcours de soins du patient insuffisant cardiaque en fonction des ressources hospitalières disponibles sur le plan locorégional, que ce soit en hospitalisation classique (MCO), de jour (HDJ), en réadaptation (SSR), voire en hospitalisation à domicile (HAD). Les services de cardiologie, de médecine interne, et les unités de réadaptation cardiaque sont particulièrement à même de répondre à ces besoins.

Les besoins individuels en fer à supplémenter avec le fer carboxymaltose sont déterminés à partir du poids corporel et du taux d’hémoglobine (Hb) du patient.

Hb Poids corporel du patient
g/dl inférieur à 35 kg de 35 kg à < 70 kg 70 kg et plus
 ≤ 10  500  1 500  2 000
 de 10 à 14  500  1 000  1 500
 ≥ 14  500  500  500

La dose cumulée maximale recommandée de fer carboxymaltose est de 1 000 mg de fer par semaine. Une administration unique ne doit pas dépasser 15 mg de fer/kg de poids corporel (pour l’administration par injection intraveineuse) ou 20 mg de fer/kg de poids corporel (pour l’administration par perfusion intraveineuse), soit 1 000 mg de fer (20 ml). La dose unique maximale de 200 mg de fer injectable ne doit pas être dépassée chez les patients insuffisants rénaux chroniques hémodialysés.

L’administration peut se faire par perfusion intraveineuse de 15 à 30 minutes pour une dose entre 500 à 1000 mg, exclusivement diluée dans une solution stérile de 250 ml chlorure de sodium à 0,9 %. Des précautions doivent être prises pour éviter une extravasation lors de l'administration, car il existe un risque tatouage indélébile. Le patient doit être surveillé (prise régulière de la pression artérielle) afin de détecter l'apparition de tout effet indésirable pendant l’administration et au moins 30 minutes après.

Après la supplémentation en fer, le clinicien doit procéder à la réévaluation en fonction de l’état du patient individuel. En cas d’anémie, le taux d’Hb doit être réévalué au moins 4 semaines après la dernière administration de fer injectable afin de laisser le temps nécessaire à l’érythropoïèse et à l’utilisation du fer.

Un contrôle systématique de la ferritinémie et du CST doit être effectué une à deux fois par an dans le cadre du suivi des patients insuffisants cardiaques. Si le patient nécessite une nouvelle supplémentation en fer, les besoins en fer doivent être recalculés sur la base du tableau précèdent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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