Insuffisance cardiaque sévère : le protocole de coopération entre médecins et infirmiers essaime en dehors de l'AP-HP

Publié le vendredi 25 novembre 2022
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STRASBOURG, 24 novembre 2022 (APMnews) - Le protocole de coopération mis en place dans le cadre d'une expérimentation dite "article 51" sur le suivi par télésoins des patients souffrant d'insuffisance cardiaque sévère à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), a commencé à essaimer en dehors du CHU francilien avec la formation d'une vingtaine d'infirmiers par an depuis 2019 à travers toute la France, a relaté la cheffe du projet, Armelle Duchenne, lors du Séminaire national des hospitaliers (SNH).

Elle est intervenue dans le cadre d'une session sur "le nécessaire renforcement de la prévention en lien avec l'hôpital" lors du SNH, organisé lundi et mardi à Strasbourg par la Fédération hospitalière de France (FHF).

L'expérimentation "article 51" (de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018) de parcours des patients insuffisants cardiaques sévères a été autorisée sur cinq groupes hospitalo-universitaires (GHU) de l'AP-HP à partir du 30 décembre 2019 pour quatre ans (cf dépêche du 07/01/2022)

Son objectif est notamment d'améliorer le parcours de soins de ces patients, actuellement très cloisonné entre l'hôpital, le domicile et la ville, afin de réduire les hospitalisations et les passages aux urgences et d'améliorer la survie et la qualité de vie des patients.

En France, il y a près de 1,5 million d'adultes qui souffrent d'insuffisance cardiaque, sévère pour 10% d'entre eux, ce qui conduit à des complications et environ 160.000 à 170.000 hospitalisations par an, a rappelé Sophie de Chambine, endocrinologue au service de santé publique à l'hôpital Lariboisière à Paris.

Une étude récente a montré que lors des décompensations d'insuffisance cardiaque en poussée aiguë, près de 60% des patients arrivaient directement aux urgences et n'étaient pas pris en charge dans un circuit organisé et structuré, alors que la moitié avait des symptômes depuis une quinzaine de jours, a-t-elle déploré.

De plus, le traitement repose sur la combinaison progressive de plusieurs molécules mais seuls la moitié des patients ont l'ensemble et parmi ceux-là, seul un sur deux les a à dose efficace, a-t-elle poursuivi.

Le projet "article 51", monté à l'initiative de la collégiale des cardiologues de l'AP-HP à partir d'un travail de l'équipe de cardiologie de l'hôpital Henri-Mondor (Créteil), propose une nouvelle organisation visant à "projeter l'expertise de l'hôpital à distance".

Elle utilise la télésanté et repose sur un protocole de coopération qui permet de déléguer plusieurs tâches des cardiologues à des infirmiers formés (diplôme universitaire -DU- et formation pratique spécifique), a expliqué Sophie de Chambine.

Plusieurs circuits ont été mis en place pour orienter les patients, en fonction de critères de sévérité, vers des cellules d'expertise et de coordination de l'insuffisance cardiaque sévère (Cecics), constituées de ces cardiologues et infirmiers.

Ces cellules assurent une permanence téléphonique pour les patients et les acteurs de ville, avec de l'accompagnement à distance en télésanté (télésurveillance, télésoin et téléconsultation) et elles travaillent en coordination avec les professionnels de ville.

Le cardiologue référent peut choisir entre télésurveillance pour repérer de façon très précoce des décompensations cardiaques, consultation de titration par des infirmiers pour monter progressivement les différentes classes thérapeutiques ou consultation non programmée pour voir le patient rapidement.

Outre ces trois modules socles, trois modules complémentaires peuvent être activés: l'identification de la fragilité, l'hospitalisation à domicile (HAD) pour prendre en charge des décompensations pas trop graves et le télésuivi des prothèses cardiaques implantées.

"Aujourd'hui ce protocole de coopération est bien parti en dehors de l'AP-HP", avec "70 infirmiers qui ont été formés un peu partout en France depuis 2019", a indiqué Armelle Duchenne, cheffe de ce projet article 51.

"Et ça continue, on en forme entre 15 et 20 maintenant chaque année", et La Réunion et la Guadeloupe commencent à nous solliciter pour qu'on puisse trouver un moyen de les former à distance, a-t-elle indiqué.

Plus de 600 patients dans la file active

A ce jour, huit sites des GHU participent au projet, 1.300 patients ont été inclus et la file active dynamique comporte un peu plus de 600 patients, a précisé Sophie de Chambine. L'objectif est de 5.000 patients inclus, rappelle-t-on.

Armelle Duchenne a observé que le parcours article 51 avait permis de maintenir 90% à domicile de janvier à juin 2022 et que 95% des situations avaient été gérées avec "l'expertise de l'hôpital".

L'équipe "fait 100% de son activité auprès de patients insuffisants cardiaques" et "réussi[t] rien que par téléphone, à distance, à envoyer les ordonnances au laboratoire et à la pharmacie", a-t-elle souligné.

Les décompensations représentent 83% de l'activité. À côté, il y a aussi le risque de rupture de soins par arrêt du traitement ou réduction de dose, que l'équipe essaye d'anticiper.

S'agissant du dépistage de la fragilité, avant de basculer dans la grande fragilité pour les personnes âgées, elle repose sur les infirmiers qui sont formés et sensibilisés dans le cadre du protocole de coopération. Ils sont au plus près des patients, même si c'est au téléphone, et ils identifient assez bien leurs fragilités, a noté la cheffe de projet.

Des scores étudiés avec des gériatres sont appliqués. Pour le moment, 156 scores ont été réalisés (dont 23 fragiles et 15 très fragiles). "On n'est encore qu'au début" et 71 patients ont été orientés de façon précoce vers un médecin traitant ou un gériatre pour essayer de revenir à un état de robustesse et éviter de tomber dans la grande fragilité, a relaté Armelle Duchenne. "C'est vraiment un enjeu majeur parce que ça peut changer totalement le parcours" et la vie de ces patients.

Les équipes font également de la prévention par rapport aux complications sociales ou aux complications psychiques, notamment les conduites à risque et la dépression réactionnelle ou chronique.

Armelle Duchenne a observé que le projet, associé à la campagne nationale sur le dépistage de l'insuffisance cardiaque, permettait de repérer davantage de patients. "Une fois que ces cellules existent et qu'elles sont connues et bien, finalement, les autres acteurs […] s'intéressent à cette pathologie, l'insuffisance cardiaque", actuellement "très très mal dépistée", avec la moitié des patients qui s'ignorent insuffisants cardiaques.

Les infirmiers formés font également de l'éducation thérapeutique, des vaccinations et de la prévention par rapport au mode de vie et aux autres pathologies dont peuvent souffrir les personnes (diabète, insuffisance rénale…). Ils se penchent également sur la fin de vie, doivent reconnaître l'insuffisance cardiaque terminale et déterminer le moment pour aborder ce sujet et le choix du lieu pour les derniers moments. Enfin, ils accompagnent les aidants pour éviter qu'ils ne se transforment en patients.

"Cette nouvelle organisation repose sur de la coopération et de la télésanté" et "nécessite une vision partagée de toutes les complémentarités" notamment entre médecins et infirmiers et entre la ville et l'hôpital, a conclu Armelle Duchenne.

Elle a un "impact immédiat" avec "l'optimisation des traitements" et la prévention des rechutes, permet de dépister et anticiper des risques grâce à l'accompagnement global et assure "une continuité des soins renforcée par une culture réseau et l'esprit de coordination", a ajouté la cheffe de projet.

Il reste désormais à trouver la juste place des télésoins et téléconsultations dans ce parcours. Les infirmiers "sont à la fois dans une pratique du champ médical et dans leur pratique infirmière" et "quand elles sont au téléphone, elles font un peu de téléconsultation, un peu de télésoin" mais "tout ça est encore à travailler", a observé Armelle Duchenne.

Elle a observé qu'il fallait aussi bien identifier la place des coopérations interprofessionnelles dans les organisations de soins et se pencher sur les sujets d'interopérabilité des systèmes d'information.

L'amélioration de la prise en charge et la prévention de l'insuffisance cardiaque par le renforcement du parcours de soins des patients font partie des objectifs de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) en 2023, rappelle-t-on (cf dépêche du 07/07/2022)

(Par Caroline BESNIER, au Séminaire national des hospitaliers)

Source: APMnews

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