La cardiopathie carcinoïde

Mis à jour le lundi 3 avril 2023
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Laurent Francois

Dr Laurent François
Hospices Civils
Lyon

Les tumeurs neuroendocrines (TNE) malignes ont une incidence de l’ordre de 12 à 25/1 000 000 et une localisation primitive à l’intestin grêle (dans 70 % des cas), les bronches, le colon ou les ovaires, et les localisations hépatiques secondaires sont fréquentes.

Certaines TNE sont fonctionnelles, c’est-à-dire qu’elles secrètent des hormones vasoactives, en particulier de la sérotonine entrainant un syndrome carcinoïde (SC) clinique qui se caractérise par des diarrhées motrices, flushs, wheezing et une cardiopathie carcinoïde (CC).

La CC est présente dans environ 20 % des cas au diagnostic du SC, et va survenir chez environ 50 % des malades au cours du suivi.

Sur le plan cardiaque, cette pathologie se caractérise essentiellement par une atteinte valvulaire. On assiste en effet, sous l’effet de cette sécrétion, par la TNE, de substances vasoactives, à des dépôts de plaques carcinoïdes constituées, entre autres, de myofibroblastes et de composants de matrice extracellulaire. Ces dépôts vont se localiser sur l’appareil sous-valvulaire, sur la face endothéliale des valves.

L’atteinte se traduit par des feuillets épaissis, rétractés, devenant rigides et fixés, souvent de position semi-ouverte, responsables d’un diastasis important.

La conséquence en est l’apparition de valvulopathies sténosantes et ou fuyantes, responsables, à terme, de dysfonction ventriculaire droite ou gauche et d’insuffisance cardiaque sévère.

Du fait des locations hépatiques secondaires fréquentes et d’un site primitif de la TNE au niveau de l’intestin grêle dans 70 % des cas, le CC se traduit plus fréquemment par une atteinte de la valve tricuspide et pulmonaire. L’atteinte des valves gauches est plus rare (10 % des cas), essentiellement en cas de foramen ovale perméable ou de TNE de localisation bronchique. En effet, une grande partie de la sérotonine circulante subit une élimination pulmonaire, alors que les cavités droites sont directement exposées via le système cave.

Par ailleurs, il semble exister une corrélation entre le taux circulant de sérotonine (et de son métabolite urinaire, le 5HIAA) et la probabilité de voir apparaitre un CC ; un taux de 24h de 5HIAA urinaire supérieur à 300 µmol et l’existence de plus de 3 flushs par jour semblent être des facteurs prédictifs d’apparition de CC1.

Le diagnostic de la CC repose sur des éléments cliniques (souffle, dyspnée, signe d’insuffisance cardiaque congestive) mais surtout sur la paraclinique.

Le taux de NT pro BNP est plus élevé en cas de CC et semble un marqueur de sévérité. En fait, il est surtout proposé par certain comme un outil de sélection des patients nécessitant une échocardiographie.

L’échocardiographie (ETT) a évidemment une place centrale pour le dépistage, le diagnostic, le suivi et la prise en charge thérapeutique. Outre la mise en évidence de l’atteinte carcinoïde valvulaire, elle appréciera l’importance de la valvulopathie, et son retentissement en particulier ventriculaire droit. Elle répond à un standard d’examen édicté par l’ENETs 2.

L’IRM peut être utile, en particulier pour l’exploration de la valve pulmonaire en cas de difficulté d’analyse en ETT.

Par ailleurs, aucune amélioration ne peut être obtenue chez les malades atteints d’une CC par un traitement médical (réduction de la sécrétion de sérotonine), et les traitements cardiologiques sont symptomatiques (diurétique en particulier).

Seul un traitement chirurgical de remplacement valvulaire semble être à même d’améliorer le pronostic, mais au prix d’une morbi-mortalité péri-opératoire importante, tant en rapport avec des complications cardiologiques post-opératoires que la survenue d’une crise carcinoïde réfractaire. Ce type d’intervention est à réaliser dans des centres experts, en particulier du fait de la gestion péri-opératoire répondant à des protocoles standardisés. Sur certaines séries récentes, la mortalité péri-opératoire s’établirait à 6%3, mais d’autres équipes font état d’une mortalité à 30 jours entre 15 et 20 %, cependant en diminution régulière.

L’essor de remplacement valvulaire per cutané est associé avec un espoir de voir se réduire cette morbi-mortalité post-opératoire.

Le choix du moment de l’indication opératoire reste difficile, et doit faire l’objet d’une discussion multi-disciplinaire entre oncologues, chirurgiens, anesthésistes réanimateurs et cardiologues.

Figure

Recommandations d'évaluation et de prise en charge d'un cœur carcinoïde selon les recommandations ESC 2022 

 

References :

  1. Bhattacharyya S et Al. Risk factors for the development and progression of carcinoid heart disease. Am J Cardiol 2011 ; 107 : 1221-6
  2. Hofland J et Al. ENETS Carcinoid Heart Disease Task Force. Synoptic reporting of echocardiography in carcinoid heart disease (ENETS Carcinoid Heart Disease Task Force). J Neuroendocrinol. 2022 Mar;34(3)
  3. Connolly HM et Al. Early and late outcomes of surgical treatment in carcinoid heart disease. J Am Coll Cardiol 2015 ; 66 : 2189-96

 

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