Traitements par ARN interférents en cardiologie : pourquoi ce n’est pas de la thérapie génique

Pr Jean-Sébastien Hulot
Département Médico-Universitaire Cardiovasculaire & Transplantation
Hôpital Européen Georges Pompidou
Paris, France
La cardiologie est une discipline où l’on a déjà beaucoup entendu parler de biothérapies que ce soit de thérapies cellulaires ou géniques, notamment pour le traitement des cardiomyopathies et de l’insuffisance cardiaque. Pourtant, l’ARN interférence ne correspond pas à ce type de biothérapies et il ne faut pas la confondre avec la thérapie génique.
Thérapie génique veut dire soigner par le gène. On entend donc par thérapie génique, des approches qui visent directement le niveau du gène, donc le niveau de l’ADN et donc du code génétique contenu dans le noyau cellulaire. On intervient donc au niveau même de la bibliothèque. Intuitivement, on comprend que les approches de thérapies géniques sont particulièrement appropriées pour le traitement des maladies génétiques, c’est à dire des maladies provenant d’anomalies (des mutations) au niveau du code génétique. L’approche de thérapie génique consiste donc à venir corriger le gène au niveau de l’ADN ou alors à venir substituer le gène muté et malade par un gène normal. Dans l’approche de thérapie génique, on manipule de l’ADN. On cherche globalement à remplacer ou à corriger un code génétique anormal par un autre ADN qui lui sera normal.
Or, les ARN interférents n’agissent pas au niveau du noyau mais au niveau du cytoplasme. Ils n’interférent pas avec le code génétique mais avec la copie de ce code au niveau de l’ARN. Enfin, nous avons vu qu’ils agissent selon un mécanisme très différent qui interfère avec l’expression des gènes ce qui n’a rien à voir avec une supplémentation génique. Il faut probablement considérer les ARN interférents comme un nouveau type de thérapie moléculaire qui interagit avec le produit des gènes. Ce n’est pas de la thérapie génique.
Ce qui peut parfois créer de la confusion, c’est qu’on peut aussi modifier l’expression des gènes avec des molécules d’ADN. Ce sont des oligonucléotides anti-sens (aussi dits ASO). Ils agissent par complémentarité de séquence d’un ARN messager cible. Ils se fixent donc sur la séquence complémentaire de l’ARN messager mais ils ne peuvent pas mobiliser le complexe RISC à la différence des ARN interférents. Ainsi, ils vont accélérer la dégradation de l’ARN messager cible mais par une voie traditionnelle de dégradation enzymatique (RNase H1) des couples ARN : ADN. Ces oligonucléotides anti-sens se rapprochent donc beaucoup des ARN interférents dans l’objectif final d’inhiber la traduction d’un ARN messager cible, mais le mécanisme mis en jeu est fort différent. Certains oligonucléotides anti-sens ont aussi des applications thérapeutiques qui concernent les cardiologues, comme dans le domaine des hypercholestérolémies.
Dernier niveau de la compréhension : les microARN. Les microARN fonctionnent en fait des ARN interférents naturels ! On savait que notre génome (au niveau de l’ADN) comporte de nombreuses régions de fonction inconnues et qui pouvaient exprimer des petits morceaux d’ARN dont on ne comprenait pas la fonction. La découverte du mécanisme d’ARN interférence a permis de comprendre que certains de ces petits ARN naturels (donc ces microARN) peuvent mobiliser le complexe RISC et venir aussi interférer avec des ARN messagers par complémentarité de séquence. Il s’agit en fait d’un système naturel de régulation de l’expression génique. Pour faire simple, toutes nos cellules possèdent une copie entière de la bibliothèque ! Mais toutes les cellules n’ont pas besoin de lire tous les livres, les cellules cardiaques par exemple font appel à des plans de fabrication qui ne sont pas les mêmes que nos cellules nerveuses par exemple. Les microARN sont ainsi un des moyens naturels de venir inhiber l’expression d’ARN messagers qui ne sont pas souhaitables dans un type de cellule différenciée. Il existe ici aussi des microARN thérapeutiques, car certains microARN sont dérégulés dans certaines maladies. Mais ici aussi, ce n’est pas de la thérapie génique.
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