Supplémentation de la carence en fer chez l’insuffisant cardiaque : ce qu’il faut garder en tête

Auteur:
Dr Anne-Céline Martin
Unité Médico-Chirurgicale d’Insuffisance Cardiaque Sévère (UMICS)
Hôpital Européen Georges Pompidou
Paris

Auteur :
Dr Marie-Cécile Bories
Innovations thérapeutiques en Hémostase INSERM UMRS_1140 – Paris
Unité INSERM U970 - Paris
Il est recommandé de supplémenter par fer injectable parentéral toute carence martiale diagnostiquée chez un patient insuffisant cardiaque symptomatique avec fonction systolique modérément altérée ou altérée pour en améliorer le statut fonctionnel et diminuer les hospitalisations pour IC (1).
Cependant, il est important de connaître les limites et les écueils du diagnostic et du traitement pour faire de ce traitement un usage adapté et raisonné.
- D’abord, toute carence martiale chez un IC ne doit pas être aveuglément supplémentée sans en avoir recherché une cause (maladie inflammatoire chronique, cancer, saignements occultes, insuffisance rénale) qui nécessiterait une prise en charge spécifique.
- Ensuite, les seuils biologiques retenus pour définir la carence martiale chez l’IC sont larges. Ils ont été extrapolés à partir de ceux établis dans les maladies inflammatoires chroniques et validés a posteriori. Leur valeur prédictive positive pour identifier une carence en fer dans la moelle osseuse est faible (VPP 67%) ce qui signifie qu’un tiers des patients avec une carence martiale biologique ont en réalité des réserves en fer normales (3).
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De plus, le fer administré par voie injectable peut avoir des effets délétères mal connus. Sur le plan physiopathologique, la grande quantité de fer administrée par voie injectable dans la circulation peut dépasser les capacités de liaison à la transferrine, dépasser les mécanismes de régulation du fer dans la circulation et causer l’accumulation de radicaux libres hautement réactif à l’intérieur des cellules. En particulier, le fer en excès perturbe l’homéostasie du phosphate et entraine une hypophosphatémie, elle-même responsable d’une majoration de la résorption osseuse et d’une ostéomalacie (4). L’incidence de l’hypophosphatémie biologique peut aller jusqu’à 51% selon les séries. Elle est le plus souvent modérée et asymptomatique. Mais elle peut aussi être sévère et symptomatique en particulier chez des patients dénutris, comme peuvent l’être les patients IC, ou lors d’administrations répétées à intervalles rapprochés et être responsable d’une ostéomalacie dont l’incidence est sous-estimée en raison de symptômes aspécifiques et frustres (asthénie, douleurs diffuses).
Ces données incitent à respecter les doses et les schémas d’administration prévus par l’AMM. Il n’existe pas de recommandation spécifique sur la prévention et la prise en charge de ces complications. Un dosage du phosphate sérique avant les injections et une supplémentation en vitamine D et phosphate en cas de déficit pourraient être proposés aux patients à risque.
- Enfin, les indications de prescription ne peuvent être déconnectées des enjeux médico-économiques et organisationnels. Il s'agit d'un produit coûteux, lié à son procédé de fabrication complexe et innovant. Son administration en milieu hospitalier limite l’accès aux patients suivis en ville et impose une réflexion sur l’organisation du parcours de soins. Les HDJ d’IC ont déjà activement participé à son déploiement. Celui-ci devrait être encore renforcé par les résultats des premières études médico-économiques qui confirment la rentabilité de la stratégie actuelle en diminuant drastiquement les coûts liés aux hospitalisations pour IC (5).
Références
(1) McDonagh T, Metra M, Adamo M, et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. European Heart Journal, ehab368, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehab368.
(2) Jankowska EA, von Haehling S, Anker SD, et al. Iron deficiency and heart failure: diagnostic dilemmas and therapeutic perspectives. Eur Heart J. 2013 Mar;34(11):816-29.
(3) Jankowska EA, Kasztura M, Sokolski M, et al. Iron deficiency defined as depleted iron stores accompanied by unmet cellular iron requirements identifies patients at the highest risk of death after an episode of acute heart failure. Eur Heart J. 2014 Sep 21;35(36):2468-76.
(4) Ghafourian K, Shapiro JS, Goodman L, et al. Iron and Heart Failure: Diagnosis, Therapies, and Future Directions. JACC Basic Transl Sci. 2020 Mar 23;5(3):300-313
(5) McEwan P, Ponikowski P , Davis JA, et al. Ferric carboxymaltose for the treatment of iron deficiency in heart failure: a multinational cost-effectiveness analysis utilising AFFIRM-AHF. Eur J Heart Fail. 2021.
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