Statines et prévention de la toxicité cardiaque des anthracyclines : l'étude PREVENT

Dr Stéphane Ederhy
Président du Groupe de Cardio-Oncologie (GCO) de la SFC
Cardiologue à l'Hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris.
Messages clés
- Les anthracyclines peuvent entrainer une toxicité cardiaque (dysfonction systolique du ventricule gauche et / ou insuffisance cardiaque).
- Des registres rétrospectifs ont suggéré que les statines pouvaient réduire le risque de toxicité cardiaque liée à l’administration des anthracyclines.
- L’étude PREVENT ne confirme pas l’intérêt des statines pour prévenir la toxicité cardiaque des anthracyclines.
Contexte :
L’administration des anthracyclines peut entrainer une toxicité cardiaque pouvant se manifester, dans 5 à 30 % des cas, par une dysfonction systolique du ventricule gauche (DSVG) et/ou un épisode d’insuffisance cardiaque, dans 1 à 5 % des cas.
Le mécanisme de cette toxicité est secondaire à la majoration de la production de radicaux libres par la voie de la topoisomerase 2.
De nombreuses stratégies de prévention primaire reposant sur l’administration de modulateurs du système rénine-angiotensine-aldostérone, en amont de la prescription des anthracyclines, ont été évaluées, sans qu’aucun de ces essais ne permettent d’encourager la prescription d’un IEC, d’un ARA2 ou d’un béta-bloquant pour réduire l’incidence de la toxicité cardiaque des anthracyclines.
Des analyses rétrospectives de registres ont suggéré que la prescription de statines pouvait réduire le risque de DSVG et/ou d’insuffisance cardiaque.
Les recommandations 2022 de cardio-oncologie de l’ESC 2022 encouragent, chez les sujets à haut risque de toxicité évalués sur le score HFA ICOS, l’utilisation des statines, avec, cependant, un niveau de recommandation faible (Niveau de recommandation IIa).
PREVENT est la première étude à tester, dans un essai randomisé, l’hypothèse que la prescription d’une statine au cours de l’administration des anthracyclines permettrait de réduire l’incidence des effets cardiotoxiques des anthracyclines.
Principe de l'étude / Méthodologie :
Étude en double aveugle comparant l’Atorvastatine à un placebo pour la prévention de la toxicité cardiaque au sein d’un groupe de patients traités par anthracycline dans le cadre de la prise en charge d’un cancer du sein ou d’un lymphome (Figure 1).
Figure 1 : design de l'étude PREVENT
Résultats principaux :
279 participants (92 % de femmes, âge moyen : de 49 ans ± 12 ans), ont été inclus dans cet essais multicentrique. Ils ont été évalués par une IRM cardiaque avant l’administration des anthracyclines, à 12 mois et 24 mois (Figure 2).
Dans le groupe placebo, la FEVG moyenne était de 61,7 ± 5,5 % avant traitement, et de 57.4 ± 6.8 % à l’issu du suivi d’une durée de 24 mois. Dans le groupe traité par statine, la FEVG était de 62,6 ± 6,4 % avant traitement et de 57,7 ± 5,6 % à l’issu de l’essai.
À 24 mois, la baisse de FEVG était comparable et non significativement différente dans le groupe placebo (3,2 ± 0,7 %) et de 3,3 ± 0,6 % dans le groupe traité par Statines.
Au cours du suivi, 66 patients (23,6 %) ont présenté une altération de plus de 5 points de la FEVG, 31 (11,1 %) une baisse de plus de 10 points de FEVG, 11 (3,9%) patients une baisse de FEVG en deçà de 50 %. Aucun, de ces critères de jugement n’était significativement different entre les 2 groupes.
L’analyse en sous-groupe (hypertension artérielle, BMI > 30 ; irradiation) n’a par ailleurs pu montrer d’effet cardio-protecteur des statines sur la réduction de la FEVG.
Figure 2 : Valeur de la FEVG dans le groupe placebo et statine au cours de l’étude PREVENT (avant chimio, 6 mois et 24 mois)
Analyse critique :
Il s’agit de la 1ère étude évaluant de manière prospective l’intérêt des statines pour réduire le risque de cardiotoxicité lié à l’administration des anthracyclines.
Le critère de jugement robuste évalué à l’issu d’un suivi de 24 mois repose sur une mesure de la FEVG basée sur la réalisation d’une IRM cardiaque.
Cette étude, outre ses résultats négatifs, montre que les biomarqueurs cardiaques ne varient pas au cours de l’administration des anthracyclines.
Conclusion
Cette étude, reposant sur une méthodologie rigoureuse, infirme les résultats issus des analyses de registre.
Elle démontre pour la première fois que la prescription d’une statine ne permet pas de limiter la toxicité cardiaque liée à l’administration des anthracyclines.
Référence :
- Hundley WG, D'Agostino R Jr, Crotts T, Craver K, Hackney MH, Jordan JH, Ky B, Wagner LI, Herrington DM, Yeboah J, Reding KW, Ladd AC, Rapp SR, Russo S, O'Connell N, Weaver KE, Dressler EV, Ge Y, Melin SA, Gudena V, Lesser GJ. Statins and Left Ventricular Ejection Fraction Following Doxorubicin Treatment. NEJM Evid. 2022 Sep;1(9):10.1056/evidoa2200097. doi: 10.1056/evidoa2200097. Epub 2022 Aug 18. PMID: 36908314; PMCID: PMC9997095.
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