Peut-on cibler un organe donné avec un ARNi ?

Mis à jour le jeudi 4 novembre 2021
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Jean-Sébastien Hulot

Pr Jean-Sébastien Hulot
Département Médico-Universitaire Cardiovasculaire & Transplantation
Hôpital Européen Georges Pompidou
Paris, France

 

On se rappelle tous de nos cours de pharmacologie et du cycle de vie d’un médicament après une administration : absorption, distribution dans l’organisme, puis métabolisme et élimination. Autrement dit, lorsqu’il est administré par voie générale, comme c’est quasiment toujours le cas en cardiologie, le médicament doit d’abord diffuser dans l’organisme pour rencontrer sa cible et ainsi exercer son effet thérapeutique. Comment est alors obtenu un effet spécifique d’un organe donné ? Et bien parce que les organes expriment des protéines spécifiques : par exemple les récepteurs béta-1 adrénergiques sont cardio-spécifiques. On peut aussi faire des thérapies dites ciblées qui vont spécifiquement reconnaître leurs cibles (comme des anticorps monoclonaux par exemple), mais il existe assez peu d’exemples de ce type en cardiologie.

Les ARN interférents vont faire appel à un concept différent et qui leur est propre. En effet, les ARN sont globalement des molécules que l’on ne peut pas administrer « nues » à un organisme. Nous sommes dotés de nombreuses enzymes de dégradation des ARN (dites RNAses) et l’administration directe d’ARN (quelle que soit leur forme) amène à un clivage et une élimination très rapide. Il faut donc « empaqueter » les ARN interférents pour pouvoir les administrer, et la nature du paquet va déterminer la cible où seront délivrés ces ARN interférents. On peut en effet coupler les ARN interférents avec un savoir-faire technologique de transport ciblé de ceux-ci.

Deux options sont pour l’instant disponibles :

La première option consiste à encapsuler les ARN interférents dans des gouttelettes lipidiques, faites de deux couches de lipides. Ces nanoparticules lipidiques sont devenues très populaires puisqu’elles ont été utilisées par les vaccins à ARN messagers anti COVID-19. Leur utilisation clinique est donc validée et leur tolérance est très bonne. Surtout, lorsqu’elles sont administrées par voie générale, ces particules lipidiques vont être largement captées par les hépatocytes. Ainsi la combinaison ARNi – nanoparticule lipidique permet de fixer très spécifiquement le foie, et même précisément l’hépatocyte. On obtient donc une thérapie ciblée pour des maladies impliquant les hépatocytes.

La seconde option consiste à faire une modification chimique directe des ARN interférents. Comme expliqué, ces ARN interférents se présentent en forme « double brins ». Seul l’un des deux brins a le potentiel interférent (dit anti-sens) et l’autre brin sert de transporteur. On peut donc travailler la formulation chimique de ce brin de transport, sans modifier l’efficacité de l’interférence. Sur ce principe, il a été proposé de greffer un sucre, le N-acétylgalactosamine dit GalNac. Ce sucre est un ligand de très forte affinité pour un récepteur très fortement exprimé à la surface des hépatocytes. On obtient donc aussi un système de transport ciblé des hépatocytes et donc une thérapie ciblée pour des maladies impliquant les hépatocytes.

Cette dernière option est très intéressante car, à l’inverse de la nanoparticule administrée en IV, celle-ci permet une administration en sous cutanée et permet également d’envisager d’autres modifications chimiques du brin transporteur pour cibler d’autres organes. Ceci est actuellement en développement mais représente une évolution pharmacologique majeure car on peut envisager le développement de thérapies ciblées en cardiologie.

Enfin, par rapport à toutes les autres options moléculaires comme les oligonucléotides anti-sens, les ARN interférents sont particulièrement adaptés pour être combinés à ces nouveaux transporteurs ou avoir des modifications chimiques améliorant leur délivrance. On gagne donc un nouveau type de thérapie moléculaire basé sur l’ARN et un nouveau type de délivrance et de ciblage de la thérapie. D’une pierre, deux coups !

 

Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Les traitements par ARN interférents en cardiologie "

 

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