Lésions coronariennes complexes : réduire le risque hémorragique et thrombotique - l'étude GLOBAL LEADERS


Sandra Zendjebil
Interne à Paris
Membre du Collège des Cardiologues en Formation

Double antiagrégation plaquettaire chez les patients (angioplastie urgente ou non) par Kardegic et Ticagrelor 1 mois puis Ticagrelor seul pendant 23 mois vs Kardegic et Ticagrelor un an, puis Kardegic seul pendant un an :
Absence de différence significative à 2 ans sur la mortalité toutes causes et les infarctus du myocarde.
En revanche, réduction significative de la mortalité toutes causes et des infarctus dans le bras traitement expérimental chez les patients à haut risque thrombotique, sans majoration du risque hémorragique.
Contexte
La tendance actuelle est à raccourcir la durée de la double antiagrégation plaquettaire dans le cadre d’une angioplastie programmée mais également des syndromes coronaires aigus du fait du risque hémorragique accru.
Néanmoins, chez les patients à haut risque thrombotique (diabétique, insuffisants rénaux chroniques, pluritronculaires, plusieurs lésions traitées, longueur de stent importante…) sans risque hémorragique majeur, il est à présent possible de poursuivre une biantiagrégation plaquettaire par Ticagrelor à la dose de 60 mg deux fois par jour et Kardegic selon le DAPT score.
L’étude a évalué d’une part l’intérêt de réduire le risque hémorragique par une réduction de la durée de la double antiagrégation à un mois, et d’autre part le risque thrombotique par la poursuite de ticagrelor seul jusqu’à deux ans.
L’étude en sous-groupe présentée s’intéresse plus particulièrement aux patients ayant eu des lésions coronariennes complexes.
Principe de l'étude
Essai contrôlé randomisé de supériorité en ouvert multicentrique international (18 pays) comparant :
- 1 groupe contrôle ayant reçu une double antiagrégation plaquettaire par Kardegic et Ticagrelor 12 mois si syndrome coronarien aigue, ou Kardegic et Clopidogrel 12 mois si coronaropathie stable, puis relais par Kardegic 12 mois
- 1 groupe expérimental ayant reçu une double antiagrégation plaquettaire par Kardegic et Ticagrelor 1 mois puis une Ticagrelor seul jusqu’à deux ans.
Inclusion de patients : inclusion si indication à une angioplastie élective ou urgente (stables et syndromes coronarien aigu)
Exclusion de patients : patients thrombolysés dans les 24h, indication à une anticoagulation, antécédent d’hémorragie majeure, AVC récent, insuffisance hépatocellulaire
Patients comparables dans les deux groupes :
- 25% de diabète
- 74% d’hypertension, 70% de dyslipidémie, 23%, d’antécédent d’infarctus du myocarde
- 53% de coronaropathie stable vs 47% de syndrome coronarien aigu (13% de STEMI)
- 75% d’abord radial, lésions : IVA dans 42% des cas, coronaire droite dans 30% des cas, circonflexe dans 24% des cas
Randomisation : en 1:1, par blocs permutés, informatisée et centralisée. Stratification sur le contexte stable ou instable et sur le centre
Suivi : pendant 2 ans, avec visites à la sortie, 3, 6, 12 et 24 mois avec ECG.
Critère de jugement principal (composite) : mortalité toutes causes ou infarctus du myocarde avec séquelle électrique (onde Q)
Critères de jugement secondaires : Mortalité toutes causes, infarctus du myocarde avec séquelle électrique (onde Q), AVC, évènements hémorragiques majeurs BARC 3 ou 5
Analyse en intention de traiter
Étude en sous-groupe présentée à l’EuroPCR 2019 :
Analyse d’interaction en sous-groupe a posteriori sur 4570 patients à haut risque (selon critères de l’ESC 2018 : pluritronculaires, plusieurs lésions à traiter, lésions de bifurcation, longueur totale de stent > 60 mm) vs 11880 autres patients, quelle que soit la stabilité de la maladie coronaire

Résultats principaux
Déjà connus sur l’étude principale :
- Pas de différence significative sur la mortalité toutes causes ou les infarctus du myocarde à 2 ans (HR 0,87 (0,75-1,01), p value 0,073), ni sur les critères secondaires
- Pas de différence d’effet entre les coronaropathies stables et les syndromes coronariens aigus
Néanmoins, chez les patients ayant des lésions coronariennes complexes :
- Réduction significative de 36% de la mortalité toutes causes et des infarctus : HR 0,64 (0,48-0,85), p value 0,015
- Réduction significative de 20% des NACE (MACE + évènements hémorragiques) HR 0,80 (0,69-0,92), p value 0,011
- Pas de différence significative sur les évènements hémorragiques majeurs : HR 0,97 (0,67-1,40), p value 0,834
Différence plus importante pour les patients cumulant plusieurs facteurs de risque thrombotiques.

Discussion
Bien qu’il s’agisse d’une étude en ouvert avec possibilité que les résultats positifs sur le groupe expérimental soient dus à un classement différentiel des infarctus diagnostiqués à l’ECG, il ne semble néanmoins pas exister d’effet sur l’étude mère GLOBAL LEADERS, le critère composite analysé reste robuste avec la mortalité toutes causes, et les cliniciens analysant les ECG étaient en aveugle de la stratégie de traitement du patient.
L’étude mère ne retrouve pas de différence significative, possiblement du fait d’un manque de puissance (nombre d’évènements inférieurs à celui attendu) et d’une possible diminution de l’effet de la stratégie étudiée dûe à moins bonne compliance au traitement dans le groupe testé.
L’analyse en sous groupe chez les patients à lésions coronariennes complexes montre des résultats positifs mais il s’agit d’une analyse réalisée a posteriori et non prévue par le protocole initial, dont les résultats doivent être analysés avec précaution.
Conclusion
En dépit du fait que cette étude ne permette pas de conclure sur une supériorité de la stratégie expérimentale sur la mortalité toutes causes et les infarctus chez les patients tout venant ayant une angioplastie, il existe des signaux positifs en faveur d’un intérêt de cette stratégie chez les patients à haut risque thrombotique, qui sont par ailleurs souvent également à haut risque hémorragique.
Néanmoins, il est nécessaire de rester prudents sur ce résultat issu d’une analyse de sous groupe réalisée a posteriori, qui reste à confirmer par des essais contrôlés randomisés sur le sujet.
L’étude TWILIGHT devrait notamment éclairer ce point. Cet essai controlé randomisé en double aveugle analyse chez près de 9000 patients à haut risque thrombotique ayant eu une angioplastie élective ou urgente, après double antiagrégation plaquettaire de 3 mois par Kardegic et Ticagrelor, la stratégie de ticagrelor seul vs ticagrelor et kardegic pendant 1 an.
Références
- Vranckx P, Valgimigli M, Jüni P, Hamm C, Steg PG, Heg D, et al. Ticagrelor plus aspirin for 1 month, followed by ticagrelor monotherapy for 23 months vs aspirin plus clopidogrel or ticagrelor for 12 months, followed by aspirin monotherapy for 12 months after implantation of a drug-eluting stent: a multicentre, open-label, randomised superiority trial. Lancet Lond Engl. 2018 15;392(10151):940–9.
- Serruys PW, Chichareon P, Takahashi K, Kogame N, Carrier D, Janssen L, et al Effect of ticagrelor monotherapy for 23 months following 1-month DAPT vs. standard DAPT for 12 months followed by 12 months aspirin monotherapy in patients undergoing complex PCI.