Comment fonctionnent les thérapies basées sur l’ARN interférence ?

Pr Jean-Sébastien Hulot
Département Médico-Universitaire Cardiovasculaire & Transplantation
Hôpital Européen Georges Pompidou
Paris, France
On appelle ARN interférence un processus biologique naturel qui permet d’inactiver spécifiquement la traduction d’un ARN messager, empêchant ainsi l’expression et la synthèse d’une protéine donnée. Interférence veut donc dire que l’on va interférer avec la machine naturelle de traduction des ARN messagers au niveau du ribosome et ainsi rendre « silencieux » cet ARN messager et empêcher la production de la protéine dont l’ARN messager portait les plans de fabrication.
L’ARN interférence est obtenue grâce à des ARN interférents (d’où l’acronyme ARNi). Ces ARN interférents sont des petits ARN « double brins » :
- Petits, car leur séquence est très courte (quelques dizaines de nucléotides).
- « Double brins », car il y a 2 petits ARN qui sont associés par complémentarité de séquence. En effet, les pères de la description du code génétique « Watson & Crick » ont montré que les nucléotides qui composent le code génétique ont un système d’appariement complémentaire et sélectif. Ainsi les bases A (adénine) forment une paire spécifique avec les U (uracile pour l’ARN, équivalent des T thymidine pour l’ADN), et réciproquement (les U avec les A). Les bases C (cytosine) vont avec les bases G (Guanine) et réciproquement. C’est un mécanisme évolutif très fort, conservé dans l’ensemble des espèces et basé sur la capacité chimique à faire les ponts hydrogène entre ces bases. Cet appariement est très classique et on connaît la fameuse forme en double hélice de l’ADN !
Pour les ARN interférents, cette forme double brin est importante et va procurer un avantage thérapeutique. Ainsi, l’un des brins est le « vrai » ARN interférent (aussi dit anti-sens) car il comporte la séquence complémentaire parfaite pour venir s’apparier spécifiquement avec une partie de l’ARN messager cible (souvent beaucoup plus grand que quelques dizaines de nucléotides). L’autre brin peut être considéré comme un brin « transporteur » (aussi dit sens) et il va avoir un autre rôle important (cf infra).
Une fois arrivé dans le cytoplasme de la cellule, cet ARN interférent double brin va être pris en charge par une machinerie naturelle avec un complexe formé de plusieurs protéines et qui s’appelle « RISC » pour « RNA induced silencing complex ». Pourquoi ce complexe RISC est essentiel ? Car il va éliminer le brin transporteur et charger l’ARN interférent. Puis il va interroger tous les différents ARN messagers présents dans la cellule, comme une sorte de scanner moléculaire qui va interroger la possible complémentarité entre l’ARN interférent et un ARN messager cible. Dès que la complémentarité parfaite entre l’ARN interférent et un ARN messager cible est trouvée, alors le complexe RISC coupe cet ARN messager. Cet ARN messager coupé est dégradé et la protéine correspondante ne peut plus être synthétisée.
Ce mécanisme d’action repose donc sur un mécanisme naturel, décrit au début des années 1990 dans le monde végétal, puis en 1998 chez l’animal et l’homme. Il vaudra le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 2006 à ceux qui l’ont découvert (Andrew Fire et Craig Mello), et en 2017 un premier essai thérapeutique positif basé sur les ARN interférents !
Le mécanisme d’ARN interférence est en effet très puissant car il a trois caractéristiques essentielles :
- C’est une machinerie qui est retrouvée et fonctionnelle dans toutes les cellules de notre organisme
- Une fois chargé, le complexe RISC + ARN interférents peut servir plusieurs fois. On peut donc dégrader plusieurs copies d’ARN messagers avec un seul ARN interférent.
- Le système est extrêmement spécifique : les ARN messagers avec lesquels il n’y a pas de complémentarité parfaite ne sont pas dégradés. Comme on connaît maintenant le code génétique humain, on sait dessiner des ARN interférents spécifiques d’un ARN messager donné.
Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Les traitements par ARN interférents en cardiologie "
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