Les ARN interférents : pourquoi ça évolue si vite ?

Mis à jour le jeudi 27 octobre 2022
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Jean-Sébastien Hulot

Pr Jean-Sébastien Hulot
Spécialiste de l'insuffisance cardiaque et des cardiomyopathies
Paris

Par leur nature, les ARN sont des molécules qui ont une durée de vie très courte et qui sont rapidement dégradées. Nous sommes dotés de nombreuses enzymes de dégradation des ARN (dites RNAses) et l’administration directe d’ARN (quelle que soit leur forme) amène à un clivage et une élimination très rapide. Ainsi, les ARN (en général, et donc ceci inclut les ARN interférents) ne peuvent pas être administrés « nus » à un organisme. Plusieurs technologies ont ainsi été développées pour protéger les ARNi, et ceci explique que cette approche thérapeutique récente connaisse déjà plusieurs générations.

Deux principales options sont pour utilisées à l’heure actuelle :

  1. La première option a consisté à encapsuler les ARN interférents dans des gouttelettes lipidiques, faites de deux couches de lipides. Ces nanoparticules lipidiques sont devenues très populaires puisqu’elles ont été utilisées dans la formulation des vaccins à ARN messagers anti COVID-19. Leur utilisation clinique est donc de fait validée et leur tolérance est très bonne.
  2. La seconde option consiste à faire une modification chimique directe des ARN interférents. En effet, le brin d’ARN interférent ne vient pas seul, mais couplé à un brin d’ARN transporteur complémentaire. Ce deuxième brin va servir de véhicule et peut aussi servir de protecteur. Ainsi, seul l’un des deux brins a le potentiel interférent (dit anti-sens) et l’autre brin sert de transporteur.

On peut donc travailler la formulation chimique de ce brin de transport, sans modifier l’efficacité de l’interférence, et ainsi permettre l’administration dans l’organisme.

Mais ces approches vont aussi avoir deux autres implications très intéressantes.

La première concerne la spécificité d’organes, c’est-à-dire la capacité à envoyer les ARNi dans un organe cible, principalement le foie. En effet, la combinaison ARNi – nanoparticule lipidique ainsi que les ARNi modifiés chimiquement avec la greffe d’un sucre (le N-acétylgalactosamine dit GalNac) sont très largement captés par les hépatocytes. En effet, les lipides vont être captés par les récepteurs ApoE, et le GalNac va être capté par les récepteurs ASGPR, les deux étant très exprimés à la surface des cellules hépatiques. En couplant l’ARNi à ces technologies, on obtient donc une thérapie ciblée pour des maladies impliquant les hépatocytes. C’est aussi la raison du développement spectaculaire des ARNi pour traiter des maladies impliquant la production de protéines pathologiques à partir du foie : par exemple l’amylose TTR !

De nouvelles formulations sont en cours de développement pour utiliser le même principe et orientés les ARNi vers d’autres organes. On pourrait donc, à terme, imaginer des thérapies ARNi qui cibleraient spécifiquement le cœur, mais il faudra encore attendre un peu.

La deuxième implication, plus inattendue, concerne la durée d’action des ARNi. En effet, des modifications chimiques au niveau des nucléotides composant les ARNi permettent de stabiliser la molécule, et vont créer des conditions où la diffusion de l’ARNi au sein de la cellule va être prolongée. On pense que ces modifications permettent une sorte de stockage au sein de structures intra-cellulaires (appelés des endosomes), avec un relargage lent des ARNi. Ceci a un effet immédiat : prolonger de manière très importante la durée d’action des ARNi. Plus précisément, on peut ainsi obtenir des ARNi qui vont maintenir un effet pendant plusieurs mois ! Conséquence immédiate : la possibilité d’inhiber un processus pathologique avec une administration du médicament espacée de plusieurs mois.

Ainsi, dans le cas de l’amylose TTR, on connaît déjà trois générations d’ARNi. La toute première génération, le revusiran, développé au milieu des années 2010, avec une durée d’action assez courte (injections quotidiennes en début de traitement puis hebdomadaires) a donc été rapidement abandonné au profit de la seconde génération : le patisiran. Le patisiran est en effet administré en intra-veineux toutes les 3 semaines, et obtient une inhibition de la synthèse de TTR beaucoup plus stable dans le temps.

Enfin, le vutrisiran arrive et correspond à la toute dernière génération d’ARNi : une injection sous-cutanée tous les 3 mois ! On attend bien sur la démonstration de l’efficacité de cette nouvelle formulation, mais si cela se confirme, on voit bien la très rapide évolution des ARNi permettant une administration beaucoup plus simple.

 

Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Les ARN interférents et les amyloses à transthyrétine"

 

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