Les ARN interférents : comment ça marche ?

Mis à jour le jeudi 27 octobre 2022
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Jean-Sébastien Hulot

Pr Jean-Sébastien Hulot
Spécialiste de l'insuffisance cardiaque et des cardiomyopathies
Paris

À l’inverse de l’essentiel de notre arsenal thérapeutique, comportant des agonistes ou des antagonistes directs de diverses protéines impliquées dans un processus physiopathologique, les ARN interférents ne sont pas capables d’interagir directement avec une protéine, mais viennent bloquer la synthèse de cette protéine. Le principe ? Venir bloquer un processus biologique naturel qui permet la traduction d’un ARN messager, c’est à dire son expression, et ainsi la synthèse d’une protéine donnée.

Interférence veut donc dire que l’on va interférer avec la machine naturelle de traduction des ARN messagers au niveau du ribosome, et ainsi rendre « silencieux » cet ARN messager et empêcher la production de la protéine dont l’ARN messager portait les plans de fabrication. On appelle ces molécules des ARN interférents (ou ARNi).

Ils sont petits, composés d’acides nucléiques, dont l’enchainement (on peut aussi dire la séquence) va correspondre à celle de l’ARN messager cible. Ainsi, l’ARNi vient se coller sur l’ARN messager cible (on appelle cela un appariement), puis est pris en charge par une machinerie naturelle de destruction.

Pour être précis, l’ARNi arrive dans le cytoplasme d’une cellule cible, et est chargé par le complexe qui s’appelle « RISC » pour « RNA induced silencing complex ». Ce complexe RISC – ARNi va alors interroger tous les différents ARN messagers présents dans la cellule, comme une sorte de scanner moléculaire, et ceci jusqu’à identifier une complémentarité entre l’ARN interférent et un ARN messager cible.

En effet, les pères de la description du code génétique, « Watson & Crick », ont montré que les nucléotides qui composent le code génétique ont un système d’appariement complémentaire et sélectif. Dès que la complémentarité parfaite entre l’ARN interférent et un ARN messager cible est trouvée, alors le complexe RISC coupe cet ARN messager, le dégrade et empêche la synthèse de la protéine qui devait être produite.

Ce mécanisme d’action repose donc sur un mécanisme naturel, décrit au début des années 1990 dans le monde végétal, puis en 1998 chez l’animal et l’homme. Il a valu le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 2006 à ceux qui l’ont découvert (Andrew Fire et Craig Mello), et les ARN interférents thérapeutiques sont le résultat de cette découverte !

Le mécanisme d’ARN interférence tire sa puissance de trois caractéristiques essentielles :

  1. Ce système est retrouvé et est fonctionnel dans toutes les cellules de notre organisme. On peut donc en théorie l’appliquer à l’ensemble de notre organisme.
  2. Ensuite, c’est un processus qui est extrêmement spécifique : les ARN messagers avec lesquels il n’y a pas de complémentarité parfaite ne sont pas dégradés. Ainsi, à partir des données du code génétique humain, on peut dessiner aisément des ARN interférents spécifiques d’un ARN messager donné.
  3. Enfin, c’est un système qui peut servir plusieurs fois. Autrement dit, plusieurs copies d’ARN messagers sont dégradées avec un seul ARN interférent.

C’est donc un système très innovant, et dans le fond très différent de ce que l’on connaissait dans les principes thérapeutiques. On a vu les différences fondamentales avec la pharmacologie classique : plus d’interactions médicament – récepteur, un dessin moléculaire, des notions de pharmacocinétique totalement différentes…

Mais les ARNi sont aussi très différents de ce que l’on appelle la thérapie génique. Bien sur, ils sont « moléculaires ». Mais, on ne touche pas le code génétique, on ne peut pas atteindre l’ADN avec ces molécules. On interfère avec un produit de l’ADN, l’ARN messager qui était un produit transitoire, juste là pour transmettre l’information vers les ribosomes, là où se font les protéines selon les instructions données à partir du noyau.

Et on met à profit le savoir de biologie moléculaire acquis durant ces dernières décennies.

 

Retrouvez l'intégralité du dossier spécial "Les ARN interférents et les amyloses à transthyrétine"

 

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