ACC 2023 : l'étude STOP CA - Les statines sont bénéfiques pour réduire les dysfonctionnements cardiaques dus aux anthracyclines

Auteur :
Dr Nacim EZZOUHAIRI
Bordeaux
Relecteur : Dr Guillaume Bonnet, New York
En direct de l'ACC 2023
D'après la présentation de Tomas G. Neilan (Boston, Etats-Unis): "Statins To Prevent The Cardiotoxicity From Anthracyclines"
Messages clés
- Les anthracyclines, chimiothérapie régulièrement utilisée dans le cancer du sein ou la pathologie lymphomateuse, sont source d’une cardio-toxicité non négligeable et sans thérapeutique préventive efficace.
- Les statines réduisent l’altération de la FEVG (< 10 %) à 12 mois dans une population de patients lymphomateux traités avec de fortes doses d’anthracyclines.
- Aucune différence sur des évènements cliniques n’a pu être mise en évidence par manque de puissance (11 évènements sur l’étude).
Contexte
Le traitement par anthracyclines (doxorubicine, épirubicine…) constitue une des pierres angulaires de la chimiothérapie d’un certain nombre de pathologies néoplasiques. Plus de 1 million de personnes sont ainsi traitées tous les ans par cette classe thérapeutique.
Toutefois, leur toxicité cardiaque dose-dépendante est bien connue, et ce, dès le premier cycle de chimiothérapie. Le risque d’altération de la FEVG et d’insuffisance cardiaque est ainsi multiplié par près de 10 à 15.
La prévention du développement de cette cardiotoxicité est donc un enjeu majeur pour les patients bénéficiant de ce traitement, nécessaire et parfois salvateur.
De nombreuses thérapeutiques préventives ont été étudiées. Or, seul le Dexrazoxane a été approuvé par la FDA, mais reste peu utilisé, du fait de nombreux effets indésirables (nausées, vomissements, aplasie). Les bloqueurs neuro-hormonaux (bétabloquants, bloqueurs du SRA) possèdent également des effets, mais qui restent assez modestes.
Si trouver une thérapeutique sûre et efficace est d’une importance capitale, les pistes restent rares.
Les statines, molécules éprouvées et utilisées couramment par les cardiologues dans le cadre de la prévention cardio-vasculaire afin de limiter le développement de l’athérosclérose, semblent prometteuses concernant cette cardiotoxicité liée aux anthracyclines. En effet, elles possèdent des effets pléiotropes par l’inhibition de petites GTPases (Rho), ce qui aboutit à une réduction de l’inhibition de la topoisomérase II, et donc une réduction de la génération de dérivés réactifs de l’oxygène. Mécanismes impliqués dans la cardiotoxicité du Trastuzumab et de l’Anthracycline.
Des données expérimentales, des études rétrospectives et une petite étude randomisée ont mis en évidence un bénéfice des statines sur le développement d’une dysfonction systolique et sur le développement d’insuffisance cardiaque liés à un traitement par anthracyclines. Mais une étude randomisée multicentrique contre placebo récente n’a pas montré de différence significative entre l’atorvastatine et le placebo à 24 mois de suivi. Dans cette étude, lymphomes et cancer du sein étaient représentés à part égale.
Toutefois, dans la pathologie lymphomateuse, comparativement au cancer du sein, la survie est meilleure avec les progrès de l’onco-hématologie, les doses d’anthracyclines utilisées sont plus importantes et le risque de développement d’une cardiotoxicité propre, aboutissant à une insuffisance cardiaque, l’est également.
C’est dans ce contexte que l’étude STOP-CA ("Statines TO Prevent Cardiotoxicity associated with Anthracyclines") a été proposée et financée par le National Institutes for Health et le National Heart and Lung Blood Institute.
Méthodes
STOP CA est une étude multicentrique (9 centres américains et canadiens), randomisée (ratio 1 :1), en double aveugle, contre placebo (Figure 1).
La statine administrée est l’atorvastatine, dosée à 40 mg.
Les principaux critères d’inclusion comprennent :
- Lymphome hodgkinien ou non hodgkinien
- Protocole de chimiothérapie comprenant des anthracyclines.
Les principaux critères d’exclusion comprennent :
- Utilisation actuelle ou indication à une statine
- FEVG pré thérapeutique < 50 %
- Cytolyse hépatique > 3N
- Utilisation concomitante de ciclosporine
Le critère de jugement primaire (CJP) est la réduction de la FEVG > 10 % associée à une FEVG < 55 % à 12 mois.
Figure 1 : Diagramme de flux de l’étude
Source: présentation de Tomas G. Neilan - ACC 2023
Résultats
Après randomisation, les 2 groupes étaient comparables sur l’ensemble des caractéristiques étudiées. L’âge médian était de 52 ans et la dose cumulée médiane d’anthracycline de 300 mg/m2 dans les 2 groupes.
On notera une bonne observance thérapeutique au cours de l’étude, de plus de 90 %.
Il y avait assez peu de données manquantes, puisque la FEVG à 12 mois a pu être documentée pour 95 % de la population randomisée, dont près de 80 % par IRM (du fait de problèmes d’accessibilité au cours de la pandémie liée au COVID-19).
Concernant le CJP, 46 patients (15 %) ont présenté une réduction de la FEVG > 10 % associée à une FEVG < 55 %. On retrouve un OR à 2,9 (1,4 – 6,4) en défaveur du groupe placebo (Cf iconographie)
Iconographie : critère de jugement primaire de l'étude STOP CA
Source: présentation de Tomas G. Neilan - ACC 2023
Concernant le CJS, 64 patients (21 %) ont présenté une réduction de la FEVG > 5 % associée à une FEVG < 55 %. L’incidence de survenue du CJS était de 13 % dans le groupe Atorvastatine versus 29 % dans le groupe placebo (p = 0, 0001).
Sur la totalité de la cohorte, la FEVG pré-thérapeutique moyenne était de 63 % et la FEVG post thérapeutique moyenne était de 59 %.
La réduction absolue de la FEVG dans le groupe Atorvastatine était de -4,1 % et de -5,4 % dans le groupe Placebo. La différence de réduction absolue de la FEVG entre les 2 groupes était donc de -1,3 % (p = 0,029).
Seuls 11 cas d’insuffisance cardiaque clinique sont survenus au cours de l’étude, sans différence significative entre les 2 groupes (p = 0,77).
L’analyse de sous-groupes pré-spécifiés a permis d’objectiver certaines populations pour lesquelles le bénéfice de l’Atorvastatine semblait plus marqué. À savoir : les femmes, les patients obèses (IMC > 30 kg/m2), les patients les plus âgés (âge > 52 ans) et ceux ayant reçu une dose d’anthracyclines > 250 mg/m2.
L’étude de sécurité ne retrouvait pas plus d’effets secondaires dans le groupe Atorvastatine, notamment musculaires et hépatiques.
Conclusion
L’étude STOP-CA montre que l’atorvastatine réduit de manière significative la survenue d’une altération de la FEVG comparée au placebo chez les patients lymphomateux bénéficiant d’une chimiothérapie par anthracyclines.
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