ACC 2023 : l'étude STOP CA - Les statines sont bénéfiques pour réduire les dysfonctionnements cardiaques dus aux anthracyclines

Publié le dimanche 5 mars 2023
dans
Nacim Ezzouhairi

Auteur :
Dr Nacim EZZOUHAIRI
Bordeaux

Relecteur : Dr Guillaume Bonnet, New York

En direct de l'ACC 2023

D'après la présentation de Tomas G. Neilan (Boston, Etats-Unis): "Statins To Prevent The Cardiotoxicity From Anthracyclines"

Messages clés

  1. Les anthracyclines, chimiothérapie régulièrement utilisée dans le cancer du sein ou la pathologie lymphomateuse, sont source d’une cardio-toxicité non négligeable et sans thérapeutique préventive efficace.
  2. Les statines réduisent l’altération de la FEVG (< 10 %) à 12 mois dans une population de patients lymphomateux traités avec de fortes doses d’anthracyclines.
  3. Aucune différence sur des évènements cliniques n’a pu être mise en évidence par manque de puissance (11 évènements sur l’étude).

Contexte

Le traitement par anthracyclines (doxorubicine, épirubicine…) constitue une des pierres angulaires de la chimiothérapie d’un certain nombre de pathologies néoplasiques. Plus de 1 million de personnes sont ainsi traitées tous les ans par cette classe thérapeutique.

Toutefois, leur toxicité cardiaque dose-dépendante est bien connue, et ce, dès le premier cycle de chimiothérapie. Le risque d’altération de la FEVG et d’insuffisance cardiaque est ainsi multiplié par près de 10 à 15.

La prévention du développement de cette cardiotoxicité est donc un enjeu majeur pour les patients bénéficiant de ce traitement, nécessaire et parfois salvateur.

De nombreuses thérapeutiques préventives ont été étudiées. Or, seul le Dexrazoxane a été approuvé par la FDA, mais reste peu utilisé, du fait de nombreux effets indésirables (nausées, vomissements, aplasie). Les bloqueurs neuro-hormonaux (bétabloquants, bloqueurs du SRA) possèdent également des effets, mais qui restent assez modestes.

Si trouver une thérapeutique sûre et efficace est d’une importance capitale, les pistes restent rares.

Les statines, molécules éprouvées et utilisées couramment par les cardiologues dans le cadre de la prévention cardio-vasculaire afin de limiter le développement de l’athérosclérose, semblent prometteuses concernant cette cardiotoxicité liée aux anthracyclines. En effet, elles possèdent des effets pléiotropes par l’inhibition de petites GTPases (Rho), ce qui aboutit à une réduction de l’inhibition de la topoisomérase II, et donc une réduction de la génération de dérivés réactifs de l’oxygène. Mécanismes impliqués dans la cardiotoxicité du Trastuzumab et de l’Anthracycline.

Des données expérimentales, des études rétrospectives et une petite étude randomisée ont mis en évidence un bénéfice des statines sur le développement d’une dysfonction systolique et sur le développement d’insuffisance cardiaque liés à un traitement par anthracyclines. Mais une étude randomisée multicentrique contre placebo récente n’a pas montré de différence significative entre l’atorvastatine et le placebo à 24 mois de suivi. Dans cette étude, lymphomes et cancer du sein étaient représentés à part égale.

Toutefois, dans la pathologie lymphomateuse, comparativement au cancer du sein, la survie est meilleure avec les progrès de l’onco-hématologie, les doses d’anthracyclines utilisées sont plus importantes et le risque de développement d’une cardiotoxicité propre, aboutissant à une insuffisance cardiaque, l’est également.

C’est dans ce contexte que l’étude STOP-CA ("Statines TO Prevent Cardiotoxicity associated with Anthracyclines") a été proposée et financée par le National Institutes for Health et le National Heart and Lung Blood Institute.

Méthodes

STOP CA est une étude multicentrique (9 centres américains et canadiens), randomisée (ratio 1 :1), en double aveugle, contre placebo (Figure 1).

La statine administrée est l’atorvastatine, dosée à 40 mg.

Les principaux critères d’inclusion comprennent :

  • Lymphome hodgkinien ou non hodgkinien
  • Protocole de chimiothérapie comprenant des anthracyclines.

Les principaux critères d’exclusion comprennent :

  • Utilisation actuelle ou indication à une statine
  • FEVG pré thérapeutique < 50 %
  • Cytolyse hépatique > 3N
  • Utilisation concomitante de ciclosporine

Le critère de jugement primaire (CJP) est la réduction de la FEVG > 10 % associée à une FEVG < 55 % à 12 mois.

Figure 1 : Diagramme de flux de l’étude
Source: présentation de Tomas G. Neilan - ACC 2023

Résultats

Après randomisation, les 2 groupes étaient comparables sur l’ensemble des caractéristiques étudiées. L’âge médian était de 52 ans et la dose cumulée médiane d’anthracycline de 300 mg/m2 dans les 2 groupes.

On notera une bonne observance thérapeutique au cours de l’étude, de plus de 90 %.

Il y avait assez peu de données manquantes, puisque la FEVG à 12 mois a pu être documentée pour 95 % de la population randomisée, dont près de 80 % par IRM (du fait de problèmes d’accessibilité au cours de la pandémie liée au COVID-19).

Concernant le CJP, 46 patients (15 %) ont présenté une réduction de la FEVG > 10 % associée à une FEVG < 55 %. On retrouve un OR à 2,9 (1,4 – 6,4) en défaveur du groupe placebo (Cf iconographie)

 

 

Iconographie : critère de jugement primaire de l'étude STOP CA
Source: présentation de Tomas G. Neilan - ACC 2023

 

 

 

Concernant le CJS, 64 patients (21 %) ont présenté une réduction de la FEVG > 5 % associée à une FEVG < 55 %. L’incidence de survenue du CJS était de 13 % dans le groupe Atorvastatine versus 29 % dans le groupe placebo (p = 0, 0001).

Sur la totalité de la cohorte, la FEVG pré-thérapeutique moyenne était de 63 % et la FEVG post thérapeutique moyenne était de 59 %.

La réduction absolue de la FEVG dans le groupe Atorvastatine était de -4,1 % et de -5,4 % dans le groupe Placebo. La différence de réduction absolue de la FEVG entre les 2 groupes était donc de -1,3 % (p = 0,029).

Seuls 11 cas d’insuffisance cardiaque clinique sont survenus au cours de l’étude, sans différence significative entre les 2 groupes (p = 0,77).

L’analyse de sous-groupes pré-spécifiés a permis d’objectiver certaines populations pour lesquelles le bénéfice de l’Atorvastatine semblait plus marqué. À savoir : les femmes, les patients obèses (IMC > 30 kg/m2), les patients les plus âgés (âge > 52 ans) et ceux ayant reçu une dose d’anthracyclines > 250 mg/m2.

L’étude de sécurité ne retrouvait pas plus d’effets secondaires dans le groupe Atorvastatine, notamment musculaires et hépatiques.

Conclusion

L’étude STOP-CA montre que l’atorvastatine réduit de manière significative la survenue d’une altération de la FEVG comparée au placebo chez les patients lymphomateux bénéficiant d’une chimiothérapie par anthracyclines.
 

En sortie de session

La réduction absolue de la FEVG, à la faveur du groupe Atorvastatine, objectivée dans l’étude, ne paraît pas cliniquement pertinente, mais certains sous-groupes semblent tirer un bénéfice plus marqué du traitement. Il pourra être utile de déterminer avec plus de précision quelle serait la population cible idéale d’une telle thérapeutique.

Aussi, la cardiotoxicité liée aux anthracyclines survenant parfois de manière retardée, un suivi plus prolongé aurait pu montrer un résultat différent, sans que l’on puisse dire si celui-ci pencherait en faveur du traitement par statine.

L’étude d’autres paramètres, tels que la fonction diastolique ou le strain, réalisés en pratique clinique pour cette population, n’a pas été réalisée.

En revanche, aucune amélioration clinique n’a pu être mise en évidence concernant le risque de développement d’une insuffisance cardiaque clinique. Cela étant grandement lié au manque de puissance de l’étude. L’auteur confie que pour ce type d’analyse, une population d’environ 3 000 patients serait nécessaire.

Le bénéfice des statines dans la prévention de la cardiotoxicité des anthracyclines n’est pas encore clairement établi. Cette étude nous amène finalement beaucoup de nouvelles questions :

  • L’effet des statines est pour le moment évalué à très court terme. Cet effet est-il durable ?
  • Le critère de jugement est intermédiaire (la FEVG). La thérapie aura-t-elle une répercussion positive sur la mortalité toute cause à long terme ?
  • Les doses d’anthracyclines étaient très élevées. L’effet des statines perdure-il avec des doses d’anthracyclines plus faibles ?
  • Quelle est l’explication physiopathologique des statines dans ce contexte ? Le « mystérieux » effet anti-inflammatoire ?

 

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