ACC 2023 : l'essai BIOVASC - quel timing de revascularisation complète chez les patients pluri-tronculaires au cours du syndrome coronarien aigu ?

Mis à jour le lundi 13 mars 2023
dans
Nabil Bouali

Auteur :
Nabil Bouali
Poitiers

Relecteur : Dr Guillaume Bonnet, New York

En direct de l'ACC 2023

D'après la présentation de Roberto Diletti (Rotterdam, Pays-Bas): “BIOVASC: Complete Revascularization Strategies in Patients Presenting With Acute Coronary Syndrome and Multivessel Coronary Disease”

Messages clés

  • L’intérêt d’une revascularisation complète au cours de l’hospitalisation est établi face à un syndrome coronarien aigu révélant des lésions pluritronculaires. La pratique habituelle est à la revascularisation en deux temps. BIOVASC est un essai clinique randomisé international à évaluer la revascularisation complète immédiate en un temps vs en plusieurs temps.
  • La stratégie de revascularisation complète en un temps est non inférieure à une stratégie de revascularisation complète différée en plusieurs temps sur un critère composite de mortalité, de revascularisation non programmée ou d’événements cérébrovasculaires. Cette stratégie est associée à une diminution du risque de récidive d’infarctus à 1 an, de revascularisation non programmée à 1 an et à une réduction de la durée d’hospitalisation.
  • Cette étude ouvre la porte à la revascularisation complète dans le syndrome coronarien aigu mais l’hétérogénéité des présentations cliniques doit faire discuter de la stratégie en regard du degré d’urgence, des conditions de la revascularisation, de la stabilité du patient et des lésions non coupables ainsi que des difficultés techniques. “Il ne s'agit pas de savoir si l'on doit tout régler, mais si l'on peut tout régler en même temps. Et la réponse est oui, on peut le faire."

Contexte

Une part substantielle des syndromes coronariens aigus (SCA) font découvrir une atteinte coronarienne pluritronculaire1-2, et cette caractéristique est associée à une mortalité accrue et à un pronostic plus péjoratif3-4. Les recommandations actuelles préconisent une revascularisation complète5-9, le meilleur timing pour la revascularisation des lésions non coupables reste controversé. La revascularisation complète en 1 temps présente des bénéfices théoriques (diminution de la durée d’hospitalisation et des ressources hospitalières), mais son efficacité et sa sécurité n’ont jamais été évaluées.

L’objectif de l’étude BIOVASC est de démontrer la non infériorité d’une revascularisation par angioplastie complète et immédiate en un temps vs une revascularisation complète différée en plusieurs temps sur un critère de jugement composite comprenant la mortalité toutes causes, les récidives d’infarctus, les revascularisations non programmées et les évènements cérébrovasculaires à 1 an.

Design

BIOVASC est un essai contrôlé randomisé de non-infériorité avec une évaluation en ouvert du critère de jugement principal. Le recrutement multicentrique européen (29 centres à travers la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne) a permis d’inclure 1 525 patients admis pour un SCA (avec ou sans sus-décalage du segment ST) faisant découvrir une atteinte multitronculaire et pour laquelle la lésion coupable (culprit lesion) était clairement identifiée soit dans le groupe revascularisation complète immédiate au cours de la procédure index (n= 764) soit dans le groupe revascularisation complète différée en plusieurs temps mais dans les 6 semaines après la procédure index (N= 761). Les patients avec un antécédent de pontage aorto-coronaire et présentant une instabilité hémodynamique étaient exclus de l’étude. L'atteinte pluritronculaire est définie par au moins 2 artères coronaires d'un diamètre > 2,5mm présentant > 70 % de sténose lors l'estimation visuelle ou un test de physiologie coronaire qui revient positif.

Résultats

Caractéristiques des patients à baseline : 78 % des patients étaient des hommes d’âge médian 65,5 ans et 21 % d’entre eux présentaient un diabète. La présentation clinique était un STEMI dans 40 % des cas, un NSTEMI dans 52 % et un angor instable dans 8 % des cas.

En cas de revascularisation en plusieurs temps, 30 % des patients ont pu bénéficier de ce complément de revascularisation au cours de la même hospitalisation. Dans ce bras, la revascularisation a pu être guidé de manière significativement augmentée par des méthodes d’imagerie endocoronaire (IVUS/OCT) ou d’évaluation hémodynamique (FFR/iFR). Le nombre de stents utilisés ainsi que la longueur de stent au total était comparable entre les groupes à la fin de la revascularisation complète quelle que soit la stratégie considérée. La stratégie de revascularisation en plusieurs temps permet de fractionner les doses injectées de produits de contraste. En revanche, il n’est pas retrouvé de différence significative au terme de la revascularisation complète en ce qui concerne le niveau d’irradiation par le patient au cours de la procédure.

Tableau 1. Caractéristiques procédurales dans les deux bras de l’étude

Source : présentation de Roberto Diletti (Rotterdam, Pays-Bas) à l'ACC 2023

Résultat principal

Le critère composite a été rencontré chez 7,6 % des patients en cas de revascularisation complète immédiate et chez 9,4 % des patients en cas de revascularisation en plusieurs temps permettant de conclure à la non-infériorité à un an de la stratégie de revascularisation complète immédiate en un temps (HR=0,78 avec un IC95% [0,55-1,11], p < 0,0011).

Figure 1. Survenue du critère de jugement principal (mortalité toutes causes ou récidive d'infarctus ou revascularisation non programmée ou évènement cérébrovasculaire) à 1 an. (En bleu : revascularisation immédiate en 1 temps. En rouge : revascularisation différée en plusieurs temps) 

Source : présentation de Roberto Diletti (Rotterdam, Pays-Bas) à l'ACC 2023

Résultats secondaires

  • La supériorité de la stratégie de revascularisation en un seul temps n’a pas pu être démontrée (p= 0,17), mais une analyse prévue a priori à 30 jours a retrouvé une supériorité de cette stratégie sur le critère composite (HR=0,38 avec un IC95% [0,22-0,66], p < 0,0001)
  • Il a été observé significativement plus de récidive d’infarctus (HR =0,41 avec un IC95% [0,22-0,76], p=0,0045) dans le groupe revascularisation en plusieurs temps et de revascularisation non programmée dans l’année (HR =0,61 avec un IC95% [0,39-0,95], p=0,030) à 1 an. La différence concernant les récidives d’infarctus dans ce groupe étaient essentiellement drivés par les récidives précoces cas ceux-ci survenaient avant la fin de la revascularisation dans 40 % des cas. Ce résultat a pu être tracté en partie par les IDM de type 4a (post procéduraux) mais cette différence semble persister même après exclusion de ces IDM de type 4a.
  • La durée d’hospitalisation médiane était également plus courte d’environ 1 jour (3 vs 4 jours  avec un p< 0,001) en cas de revascularisation complète en 1 temps.  
  • En revanche, il n’a pas été retrouvé de différence significative à 1 an sur la mortalité toutes causes (HR =1,56 avec un IC95% [0,68-3,61], p=0,30), sur les évènements cérébrovasculaires (HR =0,91 avec un IC95% [0,40-2,07], p=0,83) et sur les complications hémorragiques (HR 1,73  avec un IC95% [0,68-4,39], p=0,25)
  • Les analyses en sous-groupe confirment la robustesse dans les différents sous-groupes.

Tableau 2. Survenue du critère de mortalité toutes causes ou récidive d'infarctus ou revascularisation non programmée ou évènement cérébrovasculaire à 1 mois 

Source : présentation de Roberto Diletti (Rotterdam, Pays-Bas) à l'ACC 2023

Conclusion

  • La revascularisation complète immédiate en un temps au cours de la procédure index a montré sa non-infériorité sur une stratégie de revascularisation complète différée en plusieurs temps en cas de syndrome coronarien aigu faisant découvrir des lésions coronaires pluritronculaires sur un critère composite de mortalité, de revascularisation non programmé ou d’événements cérébrovasculaires.
  • La revascularisation complète immédiate en un temps est associée à une diminution du risque de récidive d’infarctus à 1 an, de revascularisation non programmée à 1 an et à une réduction de la durée d’hospitalisation.

En sortie de session

  • La différence entre les deux groupes est principalement « drivée » par des infarctus précoces (dans les 15 premiers jours) dans le groupe revascularisation en deux temps, (dont 40 % entre les deux procédures). Cette différence si précoce entre les deux stratégies soulèvent des interrogations : comment les infarctus précoces ont-ils été définis ? Sont-ils le reflet d’une simple augmentation de troponine post-procédurales ? Le diagnostic de récidive d’IDM en phase aigüe après une revascularisation n’est pas toujours aisée. Ce biais apparait asymétrique entre les deux groupes, dans le contexte d’une évaluation en ouvert. Cette limitation nous fait prendre du recul par rapport à l’étude, d’autant que ces augmentations de troponine post-procédurales sont connues pour avoir un impact pronostic minime.
  • Cette étude ouvre la porte à la revascularisation par angioplastie des syndromes coronariens aigus quels qu’ils soient, de manière complète et en un seul temps.
  • La prise en compte du contexte est importante et les considérations sont différentes en cas de STEMI avec des lésions critiques et dans des conditions hostiles par rapport à une situation de NSTEMI chez un patient stable avec des lésions stables et des conditions favorables. Il faut se rappeler que les patients les plus graves avec instabilité hémodynamique et ceux avec lésion coupable douteuse ont été exclus de l’étude.
  • En vie réelle, la question des horaires est également importante et les résultats de cette étude ne sont pas de nature à contraindre le cardiologue interventionnel découvrant un STEMI à 3h du matin avec des atteintes pluri-tronculaires complexes à  la revascularisation complète en un temps. Comme le souligne le Dr Moliterno, “ Il ne s'agit pas de savoir si l'on doit tout régler, mais si l'on peut tout régler en même temps. Et la réponse est oui, on peut le faire."

Références

  1.  Goldstein JA, Demetriou D, Grines CL, Pica M, Shoukfeh M, O’Neill WW. Multiple complex coronary plaques in patients with acute myocardial infarction. N Engl J Med 2000; 343: 915–22.
  2. Park DW, Clare RM, Schulte PJ, et al. Extent, location, and clinical significance of non-infarct-related coronary artery disease among patients with ST-elevation myocardial infarction. JAMA 2014.312: 2019–27.
  3. Mehta SR, Granger CB, Boden WE, et al. Early versus delayed invasive intervention in acute coronary syndromes. N Engl J Med 2009; 360: 2165–75.
  4. Sorajja P, Gersh BJ, Cox DA, et al. Impact of multivessel disease on reperfusion success and clinical outcomes in patients undergoing primary percutaneous coronary intervention for acute myocardial infarction. Eur Heart J 2007; 28: 1709–16.
  5. Mehta SR, Wood DA, Storey RF, et al. Complete revascularization with multivessel PCI for myocardial infarction. N Engl J Med 2019 381: 1411–21.
  6. Wald DS, Morris JK, Wald NJ, et al. Randomized trial of preventive angioplasty in myocardial infarction. N Engl J Med 2013;369: 1115–23.
  7. Engstrøm T, Kelbæk H, Helqvist S, et al. Complete revascularization versus treatment of the culprit lesion only in patients with ST-segment elevation myocardial infarction and multivessel disease (DANAMI-3—PRIMULTI): an open-label, randomised controlled trial. Lancet 2015; 386: 665–71.
  8. Smits PC, Abdel-Wahab M, Neumann FJ, et al. Fractional flow reserve-guided multivessel angioplasty in myocardial infarction. N Engl J Med 2017; 376: 1234–44.
  9. Gershlick AH, Banning AS, Parker E, et al. Long-term follow-up of complete versus lesion-only revascularization in STEMI and multivessel disease: the CvLPRIT trial. J Am Coll Cardiol 2019;74: 3083–94.
  10. Rathod KS, Koganti S, Jain AK, et al. Complete versus culprit-only lesion intervention in patients with acute coronary syndromes. J Am Coll Cardiol 2018; 72: 1989–99.

Toute l'actualité de l'ACC 2023