ACC 2023 : l'essai BETTER CARE-HF : des outils d’aide à la décision intégrés au dossier médical partagé pour mieux appliquer les recommandations sur l’IC

Publié le jeudi 9 mars 2023
dans
Nabil Bouali

Auteur :
Nabil Bouali
Poitiers

Relecteur : Dr Guillaume Bonnet, New York

En direct de l'ACC 2023

D'après la présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis): “BETTER CARE-HF: Building Electronic Tools To Enhance And Reinforce CArdiovascular REcommendations For Heart Failure (BETTER CARE-HF): A Pragmatic, Cluster-randomized Trial Comparing Two Ambulatory Clinical Decision Support Tools

Messages clés

  • BETTER CARE-HF évalue l’impact de 2 outils numériques intégrés au dossier médical partagé d’aide à la prescription d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes dans l’insuffisance cardiaque (IC) à FEVG altérée en consultation ambulatoire de cardiologie.
  • L’outil « Alerte » permettant l’envoi d’un pop-up pour chaque patient éligible au moment de la consultation sur le logiciel du praticien comprenant les dernières données biologiques et cliniques a permis de multiplier par 2,5 le nombre de patients éligibles traités par antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes.
  • L’outil « Message » permettant l’envoi d’un message mensuel au praticien avec la liste des patients éligibles, les dernières données biologiques et cliniques, et les prochains RDV a permis de multiplier par 1,5 le nombre de patients éligibles traités par antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes.
  • L’effet de ces outils numériques semble prédominer chez les personnes âgés (> 65 ans) et lorsque le praticien est un cardiologue général ou un sur-spécialiste de l’insuffisance cardiaque plutôt que lorsqu’il s’agit d’un cardiologue interventionnel ou d’un rythmologue et l’utilisation de ces outils n’est pas associée à une diminution de prescription des autres classes médicamenteuses de l’insuffisance cardiaque (BB, IEC, ARA2, ARNi).

Contexte

Les dernières recommandations sur l’IC ont clarifié et standardisé le traitement de l'IC à FEVG altérée. Toutefois, la mise en application de ces recommandations reste sous-optimale et 65 à 75 % des patients éligibles à la prescription d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM) n’en bénéficient pas1-2. On estime que réduire cet écart entre la théorie et la pratique pourrait sauver plus de 20 000 vies par an aux États-Unis3.

Les systèmes d’Aide à la Décision Médicale (CDS : Clinical Decision Support) proposent des algorithmes décisionnels basés sur les recommandations institutionnelles et peuvent être intégrés au dossier médical partagé via des logiciels d’aide à la prescription4. Ces outils sont peu coûteux, facilement adaptables et améliorables et ont déjà démontré un bénéfice modeste dans de nombreuses études5 malgré un très haut niveau d’hétérogénéité de ces outils. Les différents formats et le meilleur timing d’utilisation de ces outils restent également très débattus. L’élaboration de ces deux outils s’est inspirée de la théorie de la charge cognitive (Cognitive Lod Theory), de la théorie de l’insistance (Nudge Theory) et des 5 règles d’élaboration d’un système d’aide à la décision6 (CDS Five rights) afin de fournir la bonne information, à la bonne personne, en utilisant le bon format, dans le bon canal et au bon moment pendant le flux de travail.

BETTER CARE-HF évalue l’efficacité de deux outils distincts d’aide à la décision médicale utilisables en ambulatoire et intégrées au dossier médical partagé :

Un outil d’alerte « pop-up »:

  • Une alerte s’affiche individuellement dans le dossier électronique du patient au moment de sa consultation.
  • Lors du message d’alerte, un rappel est fait sur les traitements déjà introduits chez le patient, sur les dernières données concernant la pression artérielle et les résultats biologiques afin de faciliter la prescription médicamenteuse.
  • Cette méthode peut perturber le flux de travail.

Un outil de message :

  • Un message est envoyé mensuellement via le dossier médical partagé pour être lu entre les différentes consultation avec un listing des patients éligibles à l’adjonction d’ARM.
  • Un rappel est fait également sur les traitements déjà introduits de l’IC et les dernières données concernant la pression artérielle et les résultats biologiques ainsi que la prochaine consultation.  
  • Cette méthode perturbe moins le flux de travail.

 

Figure 1. Les outils d’alerte & messages integrés au DMP (A) Alerte s’affichant à chaque visite d’un patient éligible (B) Message automatique présentant la liste des patients éligibles.

Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023

Design de l'étude

Les 180 cardiologues impliqués dans cette étude ont été randomisé (1/1/1) en cluster formant 3 groupes de 60 praticiens afin que leurs 2 221 patients soient affectés dans le groupe « Alerte » (n=755), « Message » (n= 812) ou le groupe contrôle « Traitement standard » (n=644) sur une période de 6 mois (mai-octobre 2022) dans cet essai pragmatique contrôlé randomisé national états-unien.

Figure 2. Design de l’étude – Randomisation en cluster dans les 3 bras

Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023

Pour être inclus, les patients devaient avoir une FEVG < 40 %, ne pas bénéficier d’une prescription d’ARM et ne présenter aucune contre-indication à ceux-ci (PAS < 90 mmHg, Ka > 5,0 mmol/L, DFG < 30 mL/min/1,73m² ou allergie ou intolérance aux ARM). Les patients dotés d’une assistance ventriculaire, atteints d’une amylose cardiaque ou en soins palliatifs étaient également exclus de l’étude.

Au total, l’âge moyen des patients étaient de 73 ans, il s’agissait d’hommes dans 71 % des cas, le plus souvent d’ethnie blanche (69 %) et 69 % disposait du service d’assurance-maladie Medicare. À l’inclusion, 80 % des patients étaient déjà traités par bétabloquants et 74 % par un bloqueur du SRA (IEC ou ARA2 ou ARNi). Les ¾ des patients étaient vus par un cardiologue général ou spécialisé en IC tandis que ¼ des patients étaient vus par un cardiologue d’une autre surspécialité (cardiologue interventionnel ou rythmologue).

Résultats

Figure 3Résultats principaux sur le pourcentage de patients éligibles traités par ARM au cours de l’étude dans les 3 groupes

Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023

Résultats principaux

Les alertes ont permis d’introduire des ARM chez près de 30 % des patients tandis que les messages ne l’ont permis que pour 16 % des patients et seulement 12 % des patients dans le groupe traitement standard ont bénéficié de l’ajout de cette classe pharmacologique.

Ainsi, la probabilité de prescription d’ARM était multipliée par 2,5 grâce au système d’alerte et par 1,5 grâce au système de message comparativement au traitement standard.

Le nombre de patients à traiter pour avoir un effet était de 5,6 dans le groupe « Alerte » et de 23,6 dans le groupe « Message ».

Résultats secondaire

Il n’y avait pas de différence significative entre les 3 groupes (p>0,05) en ce qui concerne l’introduction d’autres classes médicamenteuses (BB ou bloqueurs du SRA : IEC ou ARA2 ou ARNi), ce qui illustre que cette incitation à prescrire des ARM ne s’est pas faite au détriment des autres classes pharmacologiques.

Analyses en sous-groupe

Les analyses en sous-groupe montrent que l’effet des outils d’aide à la décision médicale (alerte et message) semblent prédominer de manière statistiquement significative chez les personnes âgés (> 65 ans) et chez les personnes consultant un cardiologue généraliste ou un spécialiste de l’IC vs chez les autres surspécialités (cardiologue interventionnel ou rythmologue).

Conclusion

  • Les outils d’aide à la décision médicale (alerte et message) ont tous les deux permis d’augmenter les prescriptions ambulatoires d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes dans l’IC à FEVG altérée chez les patients éligibles.
  • L’outil d’alerte s’est montré plus efficace que l’outil de message puisqu’il a permis de multiplier par 2,5 le nombre de patients traité antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes alors que l’outil de message l’a multiplié par 1,5.

 

En sortie de session

  • Les outils d’aide à la décision sont de plus en plus utilisés et leur développement est susceptible d’améliorer considérablement la qualité des soins dans une large population de patients. Les résultats obtenus dans cette étude sont supérieurs à ceux attendus en regard des études précédentes évaluant des outils d’aide à la décision. Une explication possible est le caractère ergonomique de cet outil, son intégration dans le logiciel de prescription et le fait que toutes les informations (comme la pression artérielle ou les résultats biologiques) ont été colligés et rassemblés au moment de l’alerte afin de limiter les freins à la prescription (tension artérielle, kaliémie…). Les patients éligibles ont été hautement sélectionnés pour réduire le phénomène de « fatigue d’alerte » qui peut conduire les praticiens à ne plus tenir compte de celle-ci en cas d’excès d’alerte en particulier lorsqu’elles sont inutiles, peu pertinentes ou trop fréquentes.
  • Il aurait pu être intéressant de recueillir un feedback des praticiens sur le ressenti de la charge de travail et le retentissement dans le flux de travail de ces outils d’aide à la prescription et d’évaluer l’engagement des praticiens vis-à-vis de ces outils. Le critère de jugement utilisé reste un critère intermédiaire et il sera intéressant de voir quelle place les outils d’aide à la décision prendront à l’avenir et comment les différents outils pourra s’harmoniser entre eux. L’algorithme décisionnel bien qu’exigeant sur la sélection reste monosynaptique et ne permet qu’une intervention (ajout d’un ARM) et ne reflète pas la complexité du choix thérapeutique (que ce soit dans la titration de l’ARM ou même des autres classes pharmacologiques). D’ailleurs, on peut également reprocher l’absence d’information concernant les iSGLT2 qui sont désormais comme une classe thérapeutique de première ligne dans le traitement de l’IC.
  • Enfin, ces outils d’aide à la décision ont été évalués dans une population de cardiologues aux États-Unis et ne permettent pas d’extrapoler les résultats à des médecins de premier recours ou à d’autres systèmes de santé, le problème de l’intégration de ces outils dans le dossier médical partagé dépendant grandement du système et de l’infrastructure locale.
  • Les outils d’aide à la décision restent cependant un outil très intéressant susceptibles d’avoir un impact très important pour un faible coût.

Figure clé

Figure Clé. Schéma résumé du JACC

Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023

Références

  1. Greene, S.J., J. Butler, N.M. Albert, et al., Medical Therapy for Heart Failure With Reduced Ejection Fraction: The CHAMP-HF Registry. J Am Coll Cardiol, 2018. 72(4): p. 351-366.
  2. Mukhopadhyay, A., H.R. Reynolds, A.R. Nagler, et al., Missed opportunities in medical therapy for patients with heart failure in an electronically-identified cohort. BMC Cardiovascular Disorders, 2022. 22(1): p. 354
  3. Fonarow, G.C., C.W. Yancy, A.F. Hernandez, et al., Potential impact of optimal implementation of evidence-based heart failure therapies on mortality. Am Heart J, 2011. 161(6): p. 1024-30.e3.
  4. Éléments pour élaborer une aide à la prise de décision partagée entre patient et professionnels de santé, HAS – Fiches méthodologique, Mars 2018
  5. Kwan, J.L., L. Lo, J. Ferguson, et al., Computerised clinical decision support systems and absolute improvements in care: meta-analysis of controlled clinical trials. BMJ, 2020. 370: p. m3216.
  6. Campbell R. The five "rights" of clinical decision support. J AHIMA. 2013 Oct;84(10):42-7

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