ACC 2023 : l'essai BETTER CARE-HF : des outils d’aide à la décision intégrés au dossier médical partagé pour mieux appliquer les recommandations sur l’IC

Auteur :
Nabil Bouali
Poitiers
Relecteur : Dr Guillaume Bonnet, New York
En direct de l'ACC 2023
D'après la présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis): “BETTER CARE-HF: Building Electronic Tools To Enhance And Reinforce CArdiovascular REcommendations For Heart Failure (BETTER CARE-HF): A Pragmatic, Cluster-randomized Trial Comparing Two Ambulatory Clinical Decision Support Tools”
Messages clés
- BETTER CARE-HF évalue l’impact de 2 outils numériques intégrés au dossier médical partagé d’aide à la prescription d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes dans l’insuffisance cardiaque (IC) à FEVG altérée en consultation ambulatoire de cardiologie.
- L’outil « Alerte » permettant l’envoi d’un pop-up pour chaque patient éligible au moment de la consultation sur le logiciel du praticien comprenant les dernières données biologiques et cliniques a permis de multiplier par 2,5 le nombre de patients éligibles traités par antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes.
- L’outil « Message » permettant l’envoi d’un message mensuel au praticien avec la liste des patients éligibles, les dernières données biologiques et cliniques, et les prochains RDV a permis de multiplier par 1,5 le nombre de patients éligibles traités par antagoniste des récepteurs aux minéralocorticoïdes.
- L’effet de ces outils numériques semble prédominer chez les personnes âgés (> 65 ans) et lorsque le praticien est un cardiologue général ou un sur-spécialiste de l’insuffisance cardiaque plutôt que lorsqu’il s’agit d’un cardiologue interventionnel ou d’un rythmologue et l’utilisation de ces outils n’est pas associée à une diminution de prescription des autres classes médicamenteuses de l’insuffisance cardiaque (BB, IEC, ARA2, ARNi).
Contexte
Les dernières recommandations sur l’IC ont clarifié et standardisé le traitement de l'IC à FEVG altérée. Toutefois, la mise en application de ces recommandations reste sous-optimale et 65 à 75 % des patients éligibles à la prescription d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM) n’en bénéficient pas1-2. On estime que réduire cet écart entre la théorie et la pratique pourrait sauver plus de 20 000 vies par an aux États-Unis3.
Les systèmes d’Aide à la Décision Médicale (CDS : Clinical Decision Support) proposent des algorithmes décisionnels basés sur les recommandations institutionnelles et peuvent être intégrés au dossier médical partagé via des logiciels d’aide à la prescription4. Ces outils sont peu coûteux, facilement adaptables et améliorables et ont déjà démontré un bénéfice modeste dans de nombreuses études5 malgré un très haut niveau d’hétérogénéité de ces outils. Les différents formats et le meilleur timing d’utilisation de ces outils restent également très débattus. L’élaboration de ces deux outils s’est inspirée de la théorie de la charge cognitive (Cognitive Lod Theory), de la théorie de l’insistance (Nudge Theory) et des 5 règles d’élaboration d’un système d’aide à la décision6 (CDS Five rights) afin de fournir la bonne information, à la bonne personne, en utilisant le bon format, dans le bon canal et au bon moment pendant le flux de travail.
BETTER CARE-HF évalue l’efficacité de deux outils distincts d’aide à la décision médicale utilisables en ambulatoire et intégrées au dossier médical partagé :
Un outil d’alerte « pop-up »:
- Une alerte s’affiche individuellement dans le dossier électronique du patient au moment de sa consultation.
- Lors du message d’alerte, un rappel est fait sur les traitements déjà introduits chez le patient, sur les dernières données concernant la pression artérielle et les résultats biologiques afin de faciliter la prescription médicamenteuse.
- Cette méthode peut perturber le flux de travail.
Un outil de message :
- Un message est envoyé mensuellement via le dossier médical partagé pour être lu entre les différentes consultation avec un listing des patients éligibles à l’adjonction d’ARM.
- Un rappel est fait également sur les traitements déjà introduits de l’IC et les dernières données concernant la pression artérielle et les résultats biologiques ainsi que la prochaine consultation.
- Cette méthode perturbe moins le flux de travail.
Figure 1. Les outils d’alerte & messages integrés au DMP (A) Alerte s’affichant à chaque visite d’un patient éligible (B) Message automatique présentant la liste des patients éligibles.
Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023
Design de l'étude
Les 180 cardiologues impliqués dans cette étude ont été randomisé (1/1/1) en cluster formant 3 groupes de 60 praticiens afin que leurs 2 221 patients soient affectés dans le groupe « Alerte » (n=755), « Message » (n= 812) ou le groupe contrôle « Traitement standard » (n=644) sur une période de 6 mois (mai-octobre 2022) dans cet essai pragmatique contrôlé randomisé national états-unien.
Figure 2. Design de l’étude – Randomisation en cluster dans les 3 bras
Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023
Pour être inclus, les patients devaient avoir une FEVG < 40 %, ne pas bénéficier d’une prescription d’ARM et ne présenter aucune contre-indication à ceux-ci (PAS < 90 mmHg, Ka > 5,0 mmol/L, DFG < 30 mL/min/1,73m² ou allergie ou intolérance aux ARM). Les patients dotés d’une assistance ventriculaire, atteints d’une amylose cardiaque ou en soins palliatifs étaient également exclus de l’étude.
Au total, l’âge moyen des patients étaient de 73 ans, il s’agissait d’hommes dans 71 % des cas, le plus souvent d’ethnie blanche (69 %) et 69 % disposait du service d’assurance-maladie Medicare. À l’inclusion, 80 % des patients étaient déjà traités par bétabloquants et 74 % par un bloqueur du SRA (IEC ou ARA2 ou ARNi). Les ¾ des patients étaient vus par un cardiologue général ou spécialisé en IC tandis que ¼ des patients étaient vus par un cardiologue d’une autre surspécialité (cardiologue interventionnel ou rythmologue).
Résultats
Figure 3. Résultats principaux sur le pourcentage de patients éligibles traités par ARM au cours de l’étude dans les 3 groupes
Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023
Résultats principaux
Les alertes ont permis d’introduire des ARM chez près de 30 % des patients tandis que les messages ne l’ont permis que pour 16 % des patients et seulement 12 % des patients dans le groupe traitement standard ont bénéficié de l’ajout de cette classe pharmacologique.
Ainsi, la probabilité de prescription d’ARM était multipliée par 2,5 grâce au système d’alerte et par 1,5 grâce au système de message comparativement au traitement standard.
Le nombre de patients à traiter pour avoir un effet était de 5,6 dans le groupe « Alerte » et de 23,6 dans le groupe « Message ».
Résultats secondaire
Il n’y avait pas de différence significative entre les 3 groupes (p>0,05) en ce qui concerne l’introduction d’autres classes médicamenteuses (BB ou bloqueurs du SRA : IEC ou ARA2 ou ARNi), ce qui illustre que cette incitation à prescrire des ARM ne s’est pas faite au détriment des autres classes pharmacologiques.
Analyses en sous-groupe
Les analyses en sous-groupe montrent que l’effet des outils d’aide à la décision médicale (alerte et message) semblent prédominer de manière statistiquement significative chez les personnes âgés (> 65 ans) et chez les personnes consultant un cardiologue généraliste ou un spécialiste de l’IC vs chez les autres surspécialités (cardiologue interventionnel ou rythmologue).
Conclusion
- Les outils d’aide à la décision médicale (alerte et message) ont tous les deux permis d’augmenter les prescriptions ambulatoires d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes dans l’IC à FEVG altérée chez les patients éligibles.
- L’outil d’alerte s’est montré plus efficace que l’outil de message puisqu’il a permis de multiplier par 2,5 le nombre de patients traité antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes alors que l’outil de message l’a multiplié par 1,5.
Figure clé
Figure Clé. Schéma résumé du JACC
Source : présentation d'Amrita Mukhopadhyay (New York, États-Unis) à l'ACC 2023
Références
- Greene, S.J., J. Butler, N.M. Albert, et al., Medical Therapy for Heart Failure With Reduced Ejection Fraction: The CHAMP-HF Registry. J Am Coll Cardiol, 2018. 72(4): p. 351-366.
- Mukhopadhyay, A., H.R. Reynolds, A.R. Nagler, et al., Missed opportunities in medical therapy for patients with heart failure in an electronically-identified cohort. BMC Cardiovascular Disorders, 2022. 22(1): p. 354
- Fonarow, G.C., C.W. Yancy, A.F. Hernandez, et al., Potential impact of optimal implementation of evidence-based heart failure therapies on mortality. Am Heart J, 2011. 161(6): p. 1024-30.e3.
- Éléments pour élaborer une aide à la prise de décision partagée entre patient et professionnels de santé, HAS – Fiches méthodologique, Mars 2018
- Kwan, J.L., L. Lo, J. Ferguson, et al., Computerised clinical decision support systems and absolute improvements in care: meta-analysis of controlled clinical trials. BMJ, 2020. 370: p. m3216.
- Campbell R. The five "rights" of clinical decision support. J AHIMA. 2013 Oct;84(10):42-7
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